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Nouveau plan pénitentiaire : il manquerait toujours 4 000 à 10 000 places de prison en 2027

Dans le cadre de la discussion du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, le Gouvernement a accédé à la proposition du groupe Les Républicains d’augmenter le programme pénitentiaire « 15.000 places » de 3.000 places supplémentaires, portant ainsi l’objectif d’ici 2027 d’un parc pénitentiaire opérationnel de 78.000 places. Une mesure bienvenue permettant de limiter d’ici à 2027 la surpopulation carcérale sans pouvoir totalement la juguler. Un premier pas malheureusement insuffisant car tout porte à croire qu’en 2027 nous devrions avoir un stock de cellules opérationnelles de 70.000 places au mieux pour une population incarcérée de 74.000 individus selon la dernière projection… sauf que, il y a 2 ans à peine, le programme du gouvernement se basait sur une hypothèse de 80 000 détenus en 2027. Dans tous les cas, cela ne réglera pas les problèmes de surpopulation carcérale.

Un parc carcéral de places opérationnelles « qui patine » -0,23% sur un an

Tout d’abord un constat, d’après les derniers chiffres publiés par le ministère de la Justice au 1er juin 2023[1], la population détenue s’élevait à 73.699 dont 2.348 écroués placés en semi-liberté (2.209) ou à l’extérieur (139) mais hébergés en prison.

S’agissant du volume de places opérationnelles cependant, celles-ci s’élevaient à 60.562 contre 60.703 un an auparavant. Le nombre de places opérationnelles baisse donc de -0,23% sur un an glissant. Une situation qui malheureusement se poursuit depuis le 1er octobre 2019. Sur cette période, les places opérationnelles ont baissé de -0,86%.

Pour trouver une situation plus favorable en lien avec le déploiement des programmes pénitentiaires en cours, il faut remonter significativement plus loin, très exactement au 1er juin 2017, donc au tout début du premier mandat présidentiel d’Emmanuel Macron. Sur la période le parc pénitentiaire opérationnel croît de +3,2%, soit +1.881 places opérationnelles.

Le programme « 15.000 » places peine à s’insérer dans les chiffres

Pourquoi depuis presque 4 ans le nombre de places opérationnelles décroit-il ? Alors même que 7.000 places supplémentaires devaient avoir été livrées en sus fin 2022 ? Le reste du programme historique soit 8.000 places devant être déployé entre 2023 et 2027 ? Un récent rapport d’information relatif à la planification de la construction des prisons (mai 2023)[2] permet de lever un coin du voile sur ce paradoxe statistique : il soulève en particulier le fait que le programme « 15.000 » connait des retards importants, se traduisant par la livraison de seulement 2.441 places nettes[3], représentant la livraison de 11 établissements tandis que 17 autres étaient en travaux. Ce chiffre correspondant à un ratio de livraison de 35% des 7.000 places annoncées.

Mais cette constatation n’est pas suffisante pour expliquer la stagnation actuelle des places opérationnelles. En effet les 2.441 places nettes affichées ne proviennent pas directement du programme « 15.000 », puisque 85,2% de ces places nettes soit 2.081 places, sont des places ouvertes entre 2017 et 2021 « pour lesquelles les opérations de construction étaient en cours ou achevées lors de l’annonce du plan », donc provenant de plans de construction antérieurs. En conséquence « seules environ 400 places [360 places très exactement ndlr] sont imputables à des projets lancés à compter de la fin de l’année 2018. De fait si l’on prend le volume de places opérationnelles en décembre 2018 et qu’on le compare à celui de décembre 2022, on retrouve une progression de 559 places. Ce qui est globalement cohérent avec les éléments fournis par le rapport d’information.

Mais cela n’explique toujours pas leur lente baisse intervenue entre 2022 et juin 2023 et les phénomènes de hausses capacitaires (bosse) qui survient par exemple entre mars 2023 (60.949 places opérationnelles disponibles) soit une augmentation de 0,5% par rapport au mois précédent, suivi d’une baisse très importante jusqu’en juin (-0,6%). La raison se trouve dans le fait que « le ministère de la justice a confié à l’APIJ plusieurs programmes de réhabilitation de prison dont les opérations peuvent se chevaucher avec les opérations du plan « 15.000 » ». Ainsi par exemple le CBCM (contrôleur budgétaire et comptable ministériel) dans son rapport annuel précise que « des travaux importants sur des sites vétustes […] de nouvelles constructions et le recyclage d’opérations abandonnées, constituent une forme de nouveau programme ou de prolongement du « 15.000 » ». Ainsi des opérations de réhabilitation de centre pénitentiaire en Polynésie française, ou à Fresnes et aux Baumettes (Marseille), n’ont été déclenchés qu’à l’occasion de la mise en service de nouvelles capacités pénitentiaires permettant le transfert des détenus, typiquement pour Marseille la mise en service des établissements Beaumettes 2 et Aix 2, ce qui aboutit in fine à une baisse ou une stagnation du volume de places opérationnelles disponibles, alors même que de nouveaux établissement sont effectivement livrés.

En somme, 4 phénomènes se conjuguent :

  • Une cannibalisation des nouveaux programmes par les anciens programmes en cours, afin d’afficher des ouvertures rapides de places supplémentaires ;
  • Un effet « noria » entre les places brutes livrées et les suppressions de places dans des établissements anciens ou vétustes ;
  • Des rénovations désormais possibles à la faveur de la livraison de nouveaux établissements pénitentiaires pour assurer le transfert des détenus ;
  • Des retards conséquents dans le déploiement des programmes, liés à la mauvaise volonté des élus locaux (et la volonté des pouvoirs publics de rapprocher les établissements des centre-villes ou des périphériques urbaines), et des chocs exogènes (crise Covid, prix des matières premières dans le cadre de la guerre en Ukraine etc.).

Par ailleurs les retards conduisent les pouvoirs publics à prioriser les programmes qui doivent influer sur la surpopulation carcérale. On assiste ainsi à une « priorisation » des cellules en maison d’arrêt, quartiers de maisons d’arrêt et centres de détention, au détriment des SAS (structures d’accompagnement à la sortie et des places des prisons expérimentales InSERRE). Or le volet 15.000 places, a été ventilé en 2.500 places de MA/QA, 2000 places de SAS et 540 InSERRE, soit 1/3 de places spécifiques en dehors des places de détention classiques. Cet arbitrage ne laisse sans doute pas assez de place en MA/QA où se loge pourtant principalement la surpopulation carcérale.

Une augmentation des places opérationnelles d’ici fin 2023 sans effet sur la surpopulation carcérale ?

Après les 2.441 places nettes livrées entre 2017 et 2022 (dont l’effet relatif sur le volume de places opérationnelles disponibles a été démontrée plus haut), 2023 devrait voir 1.958 places nettes supplémentaires créées (modulo l’importance des opérations de réhabilitation entreprises dans d’autres établissements à cette occasion). Cependant l’actualisation du programme 15.000 places effectué par l’administration pénitentiaire laisse entrevoir que 990 places livrées (soit 50,6%) seraient constitués par des places en SAS, donc ne devrait pas soulager la surpopulation carcérale située en MA/QA. Le déploiement du programme serait ensuite beaucoup moins ambitieux pour 2024 et 2025, l’essentiel des efforts intervenant en 2027 (8.361 places livrées).

Il y a à craindre que 3.000 places supplémentaires intégrées par les députés au programme « 15.000 » devenant « 18.000 » ne soient renvoyés qu’en 2027 voir au-delà.

Une augmentation de 3.000 places bienvenue compte tenu des projections de population carcérale

Comme le relève le député Patrick Hetzel, il existe de forts risques que le programme 15.000 places se révèle insuffisant dans sa version actuelle étant donné l’évolution de la population carcérale. Les chiffres rétrospectifs et prospectifs fournis par l’administration pénitentiaire sur l’évolution de la population carcérale ne sont guère encourageants :

La surpopulation carcérale serait évitée avec un taux de 100% d’occupation et de 80% d’encellulement individuel à horizon 2027 sans marge de manœuvre, puisqu’à un parc théorique de 75.000 places correspondrait un nombre de détenus de 74.996 individus, sans marge de manœuvre d’urgence. Or l’administration pénitentiaire a toujours besoin d’un volume de places inoccupées comprise entre 3.000 et 4.000 places afin de pouvoir faire face aux situations d’urgence. C’était d’ailleurs encore le cas en décembre 2018 (4.066 places inoccupées) tout comme en juin 2023 (2.935).

Par ailleurs ce que les chiffres prospectifs révèlent, c’est que l’encellulement individuel effectif serait réalisé grâce à un quasi doublement des placements sous surveillance électronique, passant de 11.075 au 1er juillet 2015 à près de 21.370 au 1er juillet 2027. Enfin en juin 2023, le nombre de détenu dépasse déjà les prévisions de juillet de la même année de près de 590 individus. Il semble donc parfaitement sage de constituer une capacité opérationnelle supplémentaire de 3.000 places, afin de sécuriser la trajectoire retenue par le Gouvernement. Le rapporteur soulignant qu’en l’état, le programme « 15.000 places » apparaît d’ores-et-déjà sous-dimensionné.

En effet, compte tenu de la dynamique actuelle tout laisse présager que les 3.000 places annoncées seront lancées en toute fin de programme. Les livraisons effectives corrigées des rénovations devrait déboucher sur seulement 70.000 places opérationnelles en 2027 pour une population carcérale plus ou moins régulée, qui pourrait atteindre entre 74.000 et plus vraisemblablement 78.000 détenus... Pour rappel, il y a 2 ans à peine, le programme du gouvernement se basait sur une hypothèse de 80 000 détenus en 2027. Dans tous les cas, l’effet surpopulation ne serait alors pas résorbé. 

A ce propos, il est dommage que l’amendement des Républicains ne spécifie pas la nature des places supplémentaires accordées. Elles auraient dû viser quasi-exclusivement les QA/MA, puisque si la surpopulation carcérale est visée de façon globale, elle est bien entendu beaucoup plus forte s’agissant de ces quartiers spécifiques où se croisent des courtes peines et des personnes en attente de jugement. L’amendement aurait même dû viser spécifiquement les quartiers pour homme qui sont les plus surpeuplés. En effet comme le relevait encore récemment l’OIP[4], les statistiques des places opérationnelles ne sont pas ventilées en fonction des quartiers pour hommes ou femmes, ce qui aboutit comme à Bordeaux-Gradignan à la suspension des admissions, un taux d’occupation en mai 2023 de 206% étant atteint, et des condamnations récurrentes par la CEDH comme le 6 juillet 2023 dans l’affaire B.M et autres c. France[5].

Conclusion : un point positif mais encore trop de zones d’ombres

Le passage d’un plan « 15.000 places » à « 18.000 places » est une bonne chose, mais l’essentiel de sa livraison devrait intervenir en 2027 au moins. Point négatif, ces créations nettes ne sont pas fléchées en direction des QA/MA qui en ont le plus besoin.

Par ailleurs, l’amendement déposé permettant la mise en place de cellules modulaires (en préfabriqué) pour un délai limité n’a pas été retenu. Cela aurait tout de même amélioré à court terme l’encellulement individuel en direction des courtes peines - le temps que les livraisons de cellules supplémentaires en QA/MA interviennent.

Enfin, de nombreuses zones d’ombre subsistent :

  • Le rapport du CBCM n’est pas rendu public alors qu’il comporte une analyse budgétaire certes accessibles aux rapporteurs spécialisés mais pas aux citoyens ;
  • Idem, un rapport annuel sur l’encellulement individuel est remis au Parlement, qui ne le rend pas non plus public. Il permettrait de détailler avec précision les conditions carcérales de l’ensemble de la population détenue en France ainsi que des comparaisons internationales pertinentes ;
  • Les statistiques pénitentiaires ne détaillent pas l’occupation des places opérationnelles en fonction des quartiers pour hommes ou pour femmes. Cela atténue la prise en compte effective de la surpopulation carcérale à un instant « t ».
  • Enfin, afin d’accélérer l’avancée des programmes pénitentiaires, la proposition Hetzel consistant à moduler les dotations de péréquation de la DGF afin de favoriser les communes accueillant des établissements pénitentiaires ou en assimilant les places de détentions au respect de la loi SRU (en les assimilant à des logements sociaux) nous semblent constituer des leviers pertinents.

[1] https://www.justice.gouv.fr/documentation/etudes-et-statistiques?categories%5B%5D=425&items_per_page=10

[2] M. Patrick HETZEL, rapport sur la planification de la construction des prisons : une inexorable procrastination, 25 mai 2023.

[3] Soit 3.951 places brutes ouvertes diminuées de 1.510 places fermées.

[4] https://oip.org/communique/surpopulation-carcerale-le-ministere-de-la-justice-affiche-des-chiffres-largement-sous-estimes/

[5] https://fr.statista.com/themes/5715/les-prisons-en-france/#topicOverview