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Les trente-six dispendieuses déboucheront inexorablement sur l'austérité

Sous procédure de déficit excessif depuis avril 2009, la France va, une fois encore, demander un nouveau délai pour apurer ses comptes publics, les quatre projets de lois de finances en cours d'examen à l'automne 2014 prévoyant des déficits nominaux de 4,4% en 2014, 4,3% en 2015, 3,8% en 2016 et 2,8% en 2017. L'objectif à moyen terme de 0,4% est officiellement repoussé en 2019 et le déficit structurel prévu à 2,4% en 2014, 2,2% en 2015, 1,9% en 2016 et 1,4% en 2017.

Analyse de l'évolution naturelle des recettes publiques et de l'impact des mesures de restriction gouvernementales

En juillet 2014, dans notre analyse critique de la première loi de finances rectificative 2014, nous anticipions un déficit public à 4,2% en 2014, « proche de 4% en 2015 et dans tous les cas au-dessus de 3% en 2016 et 2017 » [1]. Depuis l'été, la croissance de l'économie mondiale [2], européenne [3] et française [4] est toujours en phase de ralentissement. Il semble raisonnable d'envisager désormais une croissance de 0,4% en 2014, du même ordre en 2015 et surtout guère supérieure en 2016 et 2017 (alors qu'est officiellement envisagée une croissance supérieure de 1% en 2015 puis de 1,7% en 2016 et 1,9% en 2016). En effet et comme indiqué dans cette revue en juillet dernier, il est clair qu'en l'absence de réformes structurelles et d'allégement significatif des prélèvements obligatoires sur les entreprises et les ménages, le potentiel de croissance restera bridé à un niveau inférieur à 1% au cours des trois prochaines années.

Du fait de la stagnation et de la poursuite de la désinflation (sans même faire l'hypothèse d'une véritable déflation), les assiettes imposables vont au mieux stagner et la masse salariale va sans doute progresser à un rythme plus faible (moins de 1% par an) qu'anticipé officiellement (2% en 2015 puis 3,5% en 2016 et 4,2% en 2017). Dans ces conditions, les prévisions de recettes du gouvernement sont beaucoup trop optimistes d'autant que l'excès de prélèvements obligatoires continuera à affaiblir l'élasticité des recettes par rapport au PIB et abaissera la croissance potentielle [5].

Les dépenses publiques ont, elles, progressé de 2% en valeur en 2013 puis de 1,4% en 2014 soit, avec une inflation de 0,5% de près de 1% soit plus du double du PIB. Si la désinflation actuelle [6] favorise la baisse des taux d'intérêt et permet des économies substantielles sur les intérêts, elle pénalise la réduction des déficits puisque les rémunérations des fonctionnaires et le niveau des prestations sociales ne baissent pas. Sur la base des prévisions officielles d'une progression des dépenses publiques de 1,4% en valeur en 2014 (soit 0,9% en volume), de 1,1% en 2015 (soit 0,6% en volume), les dépenses progresseront sensiblement plus vite que le PIB. Les mesures d'économies annoncées étant soit très peu documentées (pour la sphère sociale), soit peu crédibles (pour l'État), soit… les deux (pour les collectivités locales).

Évaluation de l'évolution des déficits publics de 2014 à 2017

Avec des hypothèses de croissance faible (+ 0,4% cette année puis autour de + 0,5% pour les trois prochaines années) du fait de l'absence de réformes du secteur public et donc du maintien d'une chape de plomb sur les forces créatrices de richesse que sont les entreprises, d'une masse salariale dont la croissance sera beaucoup plus faible sous le double effet des pertes d'emploi et de la modération des salaires [7] en période de désinflation [8], et de l'incapacité de maîtriser les dépenses sociales (notamment du fait du vieillissement de la population) et les dépenses des collectivités (du fait de leur autonomie), le déficit public passera très probablement de 4,5% en 2014 à 5% en 2015 et restera autour de ce niveau en 2016 et 2017 (sauf choc exogène qui le plongerait alors au-delà de 7%).

La vraie valeur du déficit structurel en 2014 et sa trajectoire de 2015 à 2017

En réalité, le solde structurel 2014 ne sera pas de 2,4% car, en reprenant les hypothèses mêmes des projets de loi de l'automne, à savoir une croissance potentielle de 1,1% (à notre sens encore optimiste, on serait plutôt autour de 0,8%), une croissance du PIB de 0,4% et un déficit prévisionnel de 4,4% on obtient mécaniquement [9] un solde conjoncturel de (1 – 0,4)/2 = 0,3% [10] que l'on peut arrondir à 0,4% pour prendre en compte l'écart lié au nouveau référentiel comptable SEC 2010 (environ 0,1% du PIB). Dans ces conditions, le solde structurel, égal par définition à la différence entre le déficit de 4,4% et le déficit conjoncturel de 0,4% est bel et bien de 4% et non 2,4% [11].

En reprenant nos résultats et en conservant la même hypothèse (optimiste) de croissance potentielle de 1%, on obtient le tableau suivant :

2014201520162017
Déficit public -4,5% -5% -5% -5%
Déficit structurel -4% -4,5% -4,5% -4,5%

En l'absence d'ajustement structurel, 2017 verra le déficit bloqué autour de 5% et le déficit structurel au-delà de 4% : le pays aura perdu le peu de crédibilité qu'il lui reste dans la zone euro.

Un diagnostic clair

Les causes de cette trajectoire sont multiples, et tiennent d'abord à l'illusion qui fonde le pacte de responsabilité : les quelques allégements de charges ciblés principalement sur les entreprises et accessoirement sur les ménages modestes sont globalement inférieurs à la hausse des prélèvements obligatoires de ces dernières années et ne permettront pas aux entreprises de retrouver une compétitivité, ni aux ménages de maintenir leur pouvoir d'achat et leur consommation. L'excès de prélèvements obligatoires a atteint le seuil de tolérance que le pays peut supporter : une véritable réduction des dépenses publiques est donc indispensable, la seule réduction de la tendance naturelle à la hausse des dépenses étant manifestement insuffisante.

La France se situe donc dans une impasse budgétaire : elle ne peut réduire son déficit qu'en diminuant les prélèvements obligatoires pour améliorer la santé financière de ses entreprises, ce qui doit être la priorité mais ne peut se faire qu'au prix d'une diminution des dépenses publiques qui générera mécaniquement à court terme une baisse du taux de croissance. La volonté du projet de loi de programmation des finances publiques d'affirmer « trois choix : soutien au pouvoir d'achat des ménages, nouveau soutien à l'activité économique via un plan important pour le bâtiment, poursuite de l'assainissement des finances publique » [12] est utopique : en période de croissance nulle et d'inflation faible, il s'agit d'un triangle d'incompatibilité impossible à tenir.

Pour discipliner le pays, les contraintes externes du Pacte de stabilité et de croissance ont montré leur inefficacité malgré leur renforcement depuis la crise de 2008. En interne, le Haut conseil des finances publiques instauré par le TSCG (traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) a fait des débuts décevants en suivant une logique trop procédurale, en se focalisant sur la trajectoire d'ajustement structurel et en négligeant totalement de contrôler le niveau du solde structurel. En aval des lois de finances, le Conseil constitutionnel, qui a forgé depuis une trentaine d'années le concept délicat d'insincérité budgétaire désormais inscrit dans la loi organique de 2001, a toujours refusé de déclarer l'inconstitutionnalité des lois de finances alors même que depuis 2002 toutes les lois de finances sans exception ont manifestement sous-évalué les déficits.

Il n'y a plus d'alternative à une baisse concomitante et urgente des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires

Au terme du quinquennat, il n'y aura donc d'autres choix que de couper drastiquement dans les dépenses publiques et de contraindre les collectivités territoriales à contrôler leurs dépenses, sans doute via la création d'une loi de finances des collectivités locales. À moyen terme, il faudrait que les deux contrôleurs nationaux intègrent des raisonnements économiques à leurs avis et décisions, et que la Commission convainque le Conseil européen d'imposer le respect des traités signés par les pays de l'Eurogroupe en obligeant les États membres à profiter des périodes fastes de haut de cycle pour dégager un excédent budgétaire. La solution est sans doute, comme ce fut le cas avec la politique monétaire, de transférer une partie du pouvoir budgétaire à une entité à la fois compétente et indépendante, française ou supranationale. Dans tous les cas, les Trente six dispendieuses, les années de déficits ininterrompus dus à des dépenses publiques excessives de 1981 à 2017, et la longue tergiversation des gouvernements successifs à prendre les mesures nécessaires à l'équilibre des comptes publics, aboutiront inexorablement à l'avènement du grand tabou de la politique française depuis 1981 : l'austérité.

Synthèse de l'étude parue le 27 novembre 2014 dans la Revue de droit fiscal n° 48

[1] É. Pichet, Programme de stabilité et Pacte de responsabilité : la trajectoire des finances publiques de 2014 à 2017, préc.

[2] Un indicateur fiable de ce ralentissement est la chute du prix du pétrole alors même que les tensions géopolitiques sont fortes, notamment au Moyen-Orient.

[3] Le Conseil des sages, groupe d'économistes qui conseillent officiellement le gouvernement allemand a revu en novembre 2014 ses prévisions de croissance à 1,2% en 2014 contre 1,9% en mars dernier ; pour 2015, il ne table désormais que sur une hausse de 1%.

[4] Signe du ralentissement économique, en octobre 2014, le marché automobile français est en baisse de 3,8% sur un an.

[5] À titre indicatif, le second projet de loi de finances rectificative pour 2014 a revu à la baisse les estimations de recettes de TVA pour 2014 de 140 milliards en juin 2014 à 137,8 milliards d'euros.

[6] La désinflation n'est pas uniquement le fait de la baisse des prix de l'énergie puisqu'en septembre 2014 l'inflation sous-jacente (hors les composantes volatiles que sont les produits énergétiques et alimentaires) était de 0,7% seulement dans la zone euro.

[7] On constate manifestement dans les pays qui connaissent une reprise économique comme le Royaume-Uni une faible intensité fiscale de la reprise : ainsi au cours des 12 derniers mois à fin août 2014 notre voisin d'outre-manche a créé 774.000 emplois mais l'impôt sur le revenu reste à un niveau inférieur à 2010 du fait d'embauches à un salaire moyen plus faible et d'une forte progressivité de l'impôt : cette observation est parfaitement transposable de ce côté-ci de la Manche.

[8] Bercy estime d'ailleurs qu'« une baisse d'un point d'inflation conduit à une hausse du ratio de déficit de 0,5 point de PIB, un grand nombre de dépenses ne réagissant pas totalement ni immédiatement à l'inflation et les recettes réagissant de façon unitaire », V. Projet de loi de finances pour 2015, Rapport économique, social et financier, « Stratégie de la politique économique de la France », p. 14.

[9] Pour calculer la perte de recettes directement liée à un ralentissement conjoncturel de la croissance, il faut estimer l'élasticité de chaque catégorie d'impôt (c'est-à-dire la perte de recettes en pourcentage pour une baisse de 1% du PIB). Cette élasticité dépend de deux grands paramètres : la sensibilité de la base taxable à la conjoncture (les bénéfices des sociétés ont logiquement une base taxable plus volatile que les dépenses de consommation alimentaire) et la progressivité de l'impôt (plus la progressivité est forte plus la volatilité l'est également du fait de la sensibilité à la variation de la base taxable). En simplifiant le modèle, on considère que les prélèvements obligatoires qui représentent environ la moitié du PIB ont une élasticité historique globalement proche de l'unité. On peut donc estimer qu'une baisse de 1% du PIB implique une baisse des recettes publiques de 0,5%.

[10] Même en retenant une élasticité forte des recettes aux variations du PIB (par exemple de 2), on aurait obtenu un solde conjoncturel de 0,7% et donc un solde structurel de 3,7%, soit bien au-dessus de l'évaluation officielle.

[11] Pour plus de détails sur la méthodologie de calcul du solde structurel, V. É. Pichet, Programme de stabilité et Pacte de responsabilité : la trajectoire des finances publiques de 2014 à 2017, préc., p. 16.

[12] V. Rabault, Rapp. Commission des finances de l'Assemblée nationale du 7 octobre 2014 sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, préc., p. 5.