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Le service militaire adapté et l'établissement public d'insertion de la défense : à rationaliser

Parmi les nombreux dispositifs d'insertion socioprofessionnelle des jeunes [1], 2 organismes assurant une mission sensiblement identique méritent d'être mis en évidence en vue de montrer l'opportunité d'une nécessaire rationalisation permettant non seulement de réaliser des économies de fonctionnement et d'investissement mais aussi de recentrer les militaires vers leur cœur de métier :

  • Le service militaire adapté (SMA) : créé en 1961 face à l'urgence sociale aux Antilles (graves émeutes en décembre 1959 de la jeunesse frappée par un chômage endémique), dispositif qui s'est étendu progressivement aux autres DOM-COM en raison notamment de problèmes similaires,
  • l'établissement public d'insertion de la défense (EPIDe) : créé par ordonnance du 2 août 2005 suite au discours de politique générale du Premier ministre qui s'était déclaré favorable à la transposition sur le territoire métropolitain du savoir-faire du SMA en matière d'insertion professionnelle.

Ces décisions se sont concrétisées par un rattachement ministériel différencié des 2 organismes qui est le suivant :

  • le SMA est rattaché au ministère des outre-mer (MIOM) avec une gouvernance assurée par un conseil consultatif composé de représentants des ministères du Travail (commission nationale de la certification professionnelle, délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle), des Affaires sociales et de la Santé (agence pour la cohésion sociale et l'égalité des chances), de l'outre-mer (agence de l'outre-mer pour la mobilité, délégué général à l'outre-mer, général commandant le SMA (COMSMA)) et de la Défense (état-major des armées - EMA) ;
  • l'EPIDe est sous la triple tutelle des ministères :
    • du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du dialogue social,
    • de la Ville, de la Jeunesse et des Sports,
    • de la Défense (MINDEF).

Les objectifs des 2 organismes sont sensiblement identiques

Leur mission est de garantir l'insertion socioprofessionnelle des stagiaires à partir d'une formation leur permettant d'acquérir un savoir et un savoir-faire (attribution de brevets et de qualifications), un savoir-vivre (assimilation aux règles de vie en collectivité), un savoir-être (valorisation du dépassement de soi), un savoir-donner (participation à des missions d'aide aux populations locales sur le territoire national et à l'étranger en ce qui concerne le SMA) à partir d'un accompagnement social individuel pour régler les difficultés passagères et construire un projet d'avenir.

Le public concerné par ces 2 organismes est sensiblement identique reposant sur la base du volontariat [2], ces organismes sont ouverts aux jeunes Français ou étrangers (EPIDe), sous réserve d'être en situation régulière et d'avoir une autorisation de travail, âgés entre 17 et 26 ans (SMA) et 16 et 25 ans [3] (EPIDe), sans qualification professionnelle, sans emploi, en situation de retard ou d'échec scolaires, voire en risque de marginalisation. La socialisation, l'orientation, la formation et l'emploi sont assurés dans le cadre d'internat (nourri et logé gratuitement, port d'un uniforme visant à éliminer toute discrimination sociale) reposant sur une discipline et un règlement intérieur stricts. Les cellules de base encadrées (sections pour le SMA et classes pour l'EPIDe) ont des effectifs réduits (entre 15 et 25 personnes en moyenne), permettant de donner aux stagiaires les meilleures chances de réussite à leur projet pédagogique. Le montant des indemnités versées aux stagiaires est sensiblement identique : SMA : 340 euros mensuels et EPIDe : 210 euros mensuels avec une prime mensuelle de 90 euros en fin de contrat ; de même pour les cursus : SMA : cursus long = entre 8 et 12 mois pour les volontaires sans diplôme et cursus court = 6 mois pour les volontaires détenteurs de CAP ou BEP et EPIDe : contrats allant de 6 à 12 mois pouvant être portés à 24 mois.

Les formations générales (à l'exception de la formation militaire donnée le 1er mois par le SMA) ont un socle commun : éducation physique et sanitaire, remise à niveau scolaire (avec l'obtention du certificat de formation générale) assurée par le personnel de l'Éducation nationale, formation aux gestes de premiers secours (PSC1 et CSST), sensibilisation à la sécurité routière incluant la préparation au permis de conduire (code de la route pour l'EPIDe, obtention du brevet de conduite militaire pour le SMA), éducation civique et cours d'informatique.

La nature des formations professionnelles sont sensiblement identiques : métiers du bâtiment, des travaux publics, de la terre et de la mer, de la mécanique et de la maintennace industrielle, de la sécurité, de la restauration, du tertiaire, du tourisme, du sport, du transport, des services d'aide à la personne et aux entreprises, de la logistique en adéquation avec le projet professionnel des stagiaires mais aussi afin de répondre aux besoins des entreprises et des filières qui recrutent. Ces formations « débouchent sur des formations pré-qualifiantes et qualifiantes [4] grâce à des dispositifs s'appuyant sur des contrats et conventions de partenariat passés avec les régions, les opérateurs et organismes financeurs, ou encore les centres de formation public et privé (solution développée par l'EPIDe) – le SMA privilégiant la formation en régie. Ces formations sont complétées par des périodes de stage en entreprise. »

Le déploiement des sites de ces 2 organismes est relativement différent :

  • le SMA dispose d'un nombre de sites à grande capacité d'accueil (plusieurs centaines de places) : Martinique (1), Guadeloupe (1), Saint Martin (1), La Réunion (3), Nouvelle Calédonie (2), Polynésie française (3), Mayotte (1),
  • l'EPIDe dispose actuellement de 18 emprises [5] pouvant accueillir 60 à 180 stagiaires environ et dont une partie est constituée d'anciennes casernes ; ces implantations lui ont été soit cédées, soit accordées au titre d'une autorisation d'occupation temporaire (AOT) gratuitement par différents ministères [6], soit transférées à la société 2IDE (filiale de la caisse des dépôts et consignations) qui, après avoir financé les travaux de rénovation, les loue à l'EPIDe ; cependant, en 2014, l'EPIDe confronté à des problèmes budgétaires soulignés par un rapport de la Cour des comptes, envisagerait l'abandon de 4 centres [7] principalement situés dans des zones rurales.

Mais l'organisation de ces 2 organismes est très différente

  • le SMA est articulé à partir d'un état-major (Paris) et de formations organisées sur le mode militaire [8] : régiments et bataillons regroupant entre 250 à 700 stagiaires et engerbant une compagnie de commandement, de formation professionnelle et de logistique (CCFPL) regroupant l'état-major et les services, et des compagnies de formation professionnelle (CFP) constituées de sections :
    • RSMA de Martinique basé au Lamentin,
    • RSMA de Guadeloupe basé sur le camp de la Jaille (Pointe-à-Pitre) auquel s'ajoute le détachement de Saint-Martin qui devrait évoluer vers une structure de bataillon,
    • RSMA de Guyane basé sur 2 sites : Saint Jean du Maroni et Cayenne,
    • RSMA de La Réunion basé sur 3 sites : Saint-Pierre, Saint-Denis et la Plaine des Caffres,
    • Bataillon du SMA de Mayotte basé a Combani,
    • RSMA de Polynésie française basé sur 3 sites : Tahiti, les Marquises, et les Australes,
    • RSMA de Nouvelle Calédonie basé sur 2 sites : Koumac et Koné,
    • détachement du SMA de Périgueux qui forme les EVSMA, les cadres en charge du recrutement, de la formation et de l'insertion (commandants d'unités et chefs de section) et quelques volontaires originaires des DOM-COM pour une poursuite de qualification professionnelle ;
  • l'EPIDe est articulé à partir d'une direction générale basée à Paris et de 18 centres de défense 2éme chance qui sont articulés sur une structure répartie en 3 services : recrutement et insertion professionnelle, formations (enseignement général, sport, informatique) et des classes dans lesquelles vivent les stagiaires avec des référents et des tuteurs, auxquels viennent s'ajouter les postes administratifs, les moniteurs-accompagnateurs et les chargés de l'accompagnement psycho-social.

Le coût de formation des stagiaires est sensiblement équivalent entre les 2 organismes : entre 30.000 et 40.000 euros par an dont plus de 66% de RCS. Cependant, le MINDEF contribue gratuitement au fonctionnement du SMA à travers le détachement de cadres militaires, le soutien médical du service de santé des armées, l'expertise du service infrastructures de la défense, le soutien administratif et logistique du service du commissariat des armées (audit, paiement de la solde des militaires détachés, cession d'effets d'habillement…). La contrepartie est la participation du SMA à des activités effectuées dans un cadre militaire (formation initiale militaire des stagiaires (1 mois), cérémonies militaires et interventions humanitaires (séisme d'Haïti, cyclone Olie, épidémie de chikungunya…)) qui représentent environ 30% de la totalité du cycle de formation des stagiaires.

Les moyens humains consacrés à ces 2 organismes sont les suivants :

  • pour le SMA : pour une population d'environ 5.500 volontaires stagiaires (objectif en 2016 : 6.000), un encadrement d'environ 800 personnels dont un peu plus de 500 officiers et sous-officiers détachés du MINDEF [9], 10% de civils, auxquels s'ajoutent des personnels à statut militaire recrutés en interne sous réserve qu'ils détiennent un diplôme (BEP, CAT et BAC) dans une spécialité existante au SMA :
    • des engagés volontaires du SMA (EVSMA) [10] comme moniteur technique et éducateur pour une durée maximum de 8 ans et qui sont des chefs de filière de formation professionnelle placés sous les ordres d'un chef de section responsable du pôle de formation,
    • des volontaires techniciens (VTSMA) [11] comme aide moniteur, avec des contrats de 12 mois renouvelé 4 fois,
  • pour l'EPIDe : pour une population d'environ 2.000 stagiaires, un encadrement d'environ 950 EPT en 2010 dont une grande partie sont des anciens militaires recrutés comme contractuels de droit public, ainsi que des personnels civils (fonctionnaires détachés, agents sous contrat) auxquels s'ajoutent des volontaires du service civique (période de 6 mois : 46 en 2013) et des élèves polytechniciens en stage lors de leur 1ère année de formation qui participent à la prise en charge quotidienne des stagiaires et sont intégrés dans leur parcours pédagogique.

Les financements de ces 2 organismes sont relativement différents :
- / pour le SMA : pour l'année 2013, le budget consolidé qui ne relève pas du MINDEF s'élevait à 211,9 millions d'euros, dont près des 2/3 tiers en RCS. Si les ressources financières proviennent essentiellement du P138/BOP SMA, de nombreux acteurs apportent leur contribution de manière significative, notamment au niveau local : fonds de concours européens (FEDER et FSE) qui représentent environ 24% des dépenses d'investissement et de fonctionnement, collectivités territoriales (Conseils départemental et régional,…), et les entreprises (taxe d'apprentissage,…) ;

  • pour l'EPIDe : contrairement à son appellation, cet organisme ne reçoit aucun financement du MINDEF ; ses financements qui sont d'environ 80 millions d'euros par an, sont décomposés comme suit :
    • subventions étatiques : 84% dont la mission « Emploi » (environ 47 millions d'euros) et la mission « Ville et Logement » (environ 24 millions d'euros),
    • fonds social européen (FSE) : 12% (environ 10 millions d'euros),
    • autres ressources dont mécénat, philanthropie, taxe d'apprentissage : 4%.

Les résultats des 2 organismes mettent en évidence que le taux de stagiaires sortants de façon positive (sont par exemple considérées comme des « sorties positives » : la signature d'un contrat de travail, d'un contrat d'apprentissage, d'un contrat aidé, ou encore l'inscription dans un dispositif de formation de droit commun) est sensiblement identique (entre 70 et 80% des populations).

Conclusion

L'analyse présentée supra met en évidence une redondance entre le SMA et l'EPIDe en termes de missions et de moyens.

Alors que les interventions des forces armées en OPEX connaissent un rythme soutenu depuis plusieurs années, l'objectif est de recentrer les militaires sur leur cœur de métier en déchargeant le MINDEF d'une mission de réinsertion socioprofessionnelle qui ne rentre pas dans son périmètre fonctionnel. À titre d'exemple, l'association « Jeunes en équipes de travail » (JET) [12] créée en 1986 à l'initiative du garde des Sceaux et du ministre de la Défense de l'époque, a été dissoute en 2004. C'est ainsi que les postes budgétaires relatifs aux ressources humaines militaires consacrées au SMA mériteraient d'être réorientées vers les unités opérationnelles, notamment les forces spéciales [13].

Ainsi, il convient de regrouper les missions et activités du SMA et de l'EPIDe au sein d'un seul organisme civil accueillant des jeunes de nationalité française et étrangère en situation régulière.

En vue de diminuer le coût de la formation professionnelle, doit être privilégiée l'externalisation des stages en adéquation avec, non seulement les objectifs des stagiaires, mais aussi la demande des entreprises. Cette formation professionnelle pourrait être étendue aux métiers de la sécurité civile (interventions de secours, d'assistance à personnes et de lutte contre les périls, sinistres, risques naturels et technologiques…) et des armées (stages de préparation militaire élémentaire et supérieure), offrant ainsi l'avantage de faire face à des problèmes de recrutement comme pour les sapeurs pompiers volontaires et l'armée de terre.

En ce qui concerne l'encadrement des jeunes de cet organisme et en vue de diminuer le poids des RCS, doit être privilégiée la ressource des anciens militaires qui ont un savoir-faire reconnu dans ce domaine, que ce soient des Français ou des étrangers (Légion étrangère), permettant de suppléer le détachement par le MINDEF des officiers et sous-officiers d'active au SMA (affectés de métropole avec familles pour une durée moyenne de 3 ans) et le recrutement des EVSMA et des VTSMA. En effet, le montant des RCS de ces derniers est plus important que celui des personnels recrutés sous contrat public. En outre, cette solution devrait permettre la reconversion des retraités militaires tout en privilégiant le recrutement local en ce qui concerne l'outre-mer.

De plus, compte tenu du coût important du poste de dépenses « infrastructures », il est tout à fait possible de développer des contrats de partenariat public-privé en ce qui concerne la rénovation et l'exploitation des centres. À ce titre, il convient de privilégier des structures à grande capacité d'accueil et de diminuer le volume des personnels affectés aux tâches de soutien. Enfin, le financement de cet organisme devrait être le plus large possible : État, mécénat, fonds européens, mais aussi collectivités territoriales…

La tutelle de cet organisme devrait être assurée par le ministère chargé de la lutte contre le chômage des jeunes (Travail) avec la participation des ministères chargés de la lutte contre leur exclusion (Affaires sociales et Ville, Éducation nationale et Jeunesse) et la délinquance (Justice) tout en associant le MIOM en ce qui concerne l'outre-mer.

Ce dispositif doit aussi permettre aux stagiaires sous statut civil de participer à des actions d'assistance et de secours aux populations dans le cadre d'opérations de sécurité civile (notamment les luttes contre les catastrophes naturelles) sur le territoire national et à l'étranger sous réserve de leur définir un statut juridique pour ce type d'intervention.

[1] Contrats d'apprentissage, de professionnalisation, unique d'insertion, d'accompagnement dans l'emploi, initiative emploi, d'insertion dans la vie sociale, d'autonomie au bénéfice des jeunes issus des quartiers dits « politique de la ville »….

[2] Les stagiaires sont recrutés grâce à un réseau de partenaires prescripteurs composé de Pôle emploi, des Missions locales d'insertion et de différents acteurs spécialisés du monde associatif.

[3] Le dispositif mis en place par la loi du 26 décembre 2011 permet de proposer aux mineurs délinquants âgés de 16 à 18 ans, à titre d'alternative à une peine d'incarcération et sur la base du volontariat, d'accomplir un contrat de service.

[4] Plusieurs niveaux de formation sont dispensés : le niveau préprofessionnel et d'insertion (Attestation de formation professionnelle du ministère du Travail), le niveau pré-certifiant (UV, UC, CCP, SSIAP, FIMO, FCOS, CACES, etc.) et le niveau certifiant (CAP, CAPA ou titre professionnel).

[5] Alençon (61), Belfort (90), Bordeaux (33), Bourges-Osmoy (23), Brétigny-sur-Orge (91), Douai (59), Combrée (49), Doullens (60), Lanrodec (22), Meyzieu (69), Langres (52), Margny-lès-Compiègne (60), Marseille (13), Montry (77), Saint-Quentin (02), Strasbourg (59), Velet (71).

[6] En outre, le MINDEF a apporté son soutien en cédant à titre gratuit différents équipements pour un montant de plusieurs milliers d'euros.

[7] Velet : 60 places, Langres : 75 places, Lanrodec : 90, Montry : 150 places.

[8] Ces formations qui portent les traditions d'unités d'infanterie et d'artillerie de marine, sont placées sous commandement des commandants supérieurs des forces armées (COMSUP) des DOM-COM dans le cadre de leur entraînement militaire et de leur participation à des plans que ces autorités militaires mettent en œuvre à la demande des préfets (sécurités civile et intérieure, soutien à l'action de l'État au profit des populations).

[9] Les rémunérations et les charges sociales sont à la charge du MIOM.

[10] Avant leur affectation, ils reçoivent une formation de 6 mois déclinée en 2 parties : militaire d'encadrement et pédagogique de moniteur. La rémunération dépend du DOM-COM d'affectation, du grade, de la situation familiale et de la durée des services. La solde de base pour les 6 premiers mois, en métropole est de 1.325,5 euros net mensuels.

[11] Solde entre entre 900 et 1.600 euros selon le DOM-COM d'affectation et l'ancienneté.

[12] Cette association avait pour mission d'organiser des stages de rupture de 4 mois à l'intention de jeunes délinquants de nationalité française ou étrangère en situation régulière (5.800 jeunes entre 1986 et 2004) dans le cadre d'un aménagement de leur peine d'emprisonnement visant à les préparer à leur réinsertion sociale et professionnelle ; elle disposait de 5 centres (Agnetz - 60, Barraux - 38, Boissy-Saint-Léger - 94, et Vigeant - 86 et Lasouchére - 43) ; sans statut militaire et encadrés par des militaires d'active volontaires à la charge du MINDEF (36 EPT par an), des éducateurs, et des formateurs techniques sous contrat de l'association, ils recevaient une formation générale et faisaient des travaux d'utilité collective en internat.

[13] Alors que la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 prévoit de renforcer le commandement des opérations spéciales (COS) pour faire passer ses effectifs de 3.000 à 4.000 militaires, 3 sénateurs estiment en 2014 que ce ne sera pas le cas.