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Le regroupement familial est plus encadré ailleurs en Europe

Ce mardi 14 novembre, le Sénat a adopté la loi immigration avant l’arrivée du texte à l’Assemblée nationale. Parmi les modifications apportées par les sénateurs, l’instauration d’un débat parlementaire sur l’immigration afin de fixer un quota, hors demandeurs d’asile et pour 3 ans, de l’ensemble des titres de séjour délivrés. Par ricochet, ces quotas devraient concerner le regroupement familial dont les règles ont, elles aussi, été renforcées par les sénateurs. Ainsi :

  • Le résident devra avoir séjourné 24 mois en France avant une demande de regroupement (contre 18 actuellement), 
  • Ses ressources devront être « régulière » en plus des conditions préexistantes de « stables et suffisantes » et les APL ne pourront plus être incluses dans le calcul des ressources. Notons que les revenus issus des prestations familiales, de l'allocation équivalent retraite, du RSA, de l'ASPA et de l'ASS étaient déjà exclus du calcul. 
  • Enfin, le résident et sa famille devront, également et désormais, disposer d’une assurance maladie, 
  • Et le niveau de maitrise de la langue française à justifier a été relevé à un niveau A1 (soit le premier niveau « élémentaire et introductif » du CECRL).  

La France, n°1 en Europe pour les arrivées liées à un motif familial : 41% des motifs depuis 2005 

En juin 2023, l’OCDE a présenté un rapport qui compare notamment les raisons d’entrée sur le territoire de la population ayant migrée de 2005 à 2020. Pour rappel, dans ces statistiques, les migrations de citoyens européens sont catégorisées à part dans une section « libre circulation ».

Catégories d’entrée (raison) de la population migrante de 2005 à 2020

 

Travail

Familles accompagnant les travailleurs

Famille

Humanitaire

Autre

Libre circulation

Portugal

29,72

0

35,78

0,39

4,01

30,11

Italie

22,11

0,67

36,83

5,67

1,6

33,13

Espagne

19,96

0

28,6

0,67

5,36

45,41

Royaume-Uni

17,88

8,87

16,1

5,3

9,21

42,64

Danemark

15,53

7,2

11,85

6,96

8,24

50,22

Total UE (13)

13,69

0,39

28,07

9,09

4,16

44,59

Irlande

12,9

1,39

6,28

1,22

0

78,21

Pays-Bas

12,12

0

22,58

9,53

0

55,76

France

10,52

0

41,24

7,49

8,3

32,46

Suède

9,43

0,97

37,03

23,76

0

28,81

Finlande

7,52

0

38,17

16,36

1,93

36,02

Allemagne

6,73

0

14,64

17,17

1,54

59,92

Luxembourg

6,52

0

8

3,15

0,73

81,59

Autriche

4,76

1,19

15,73

14,36

0,46

63,5

Belgique

4,09

0

27,69

7,23

3,16

57,83

Suisse

1,76

0

16,36

4,85

2,15

74,88

Moyenne européenne

12,20

1,29

24,05

8,32

3,17

50,94

Ecart France / moyenne

-1,68

-1,29

17,18

-0,83

5,12

-18,48

Source : OCDE, Les indicateurs de l’intégration des immigrés 2023, juin 2023 

Que constate-t-on ? 

  • C’est le Portugal qui arrive en 1ère place des migrations ayant concerné un motif de travail :  30% des arrivées sur la période contre 10,5% en France notamment (2 points en dessous de la moyenne européenne).
  • Concernant les citoyens européens et la « libre circulation », c’est le Luxembourg qui arrive en tête (81% de l’immigration de 2005 à 2020), suivi de l’Irlande et de la Suisse… mais si on ôte ces trois pays, caractérisés par un PIB par tête (et donc des salaires) très importants ou un régime fiscal très attractif pour les entreprises mondiales, c’est l’Autriche qui arrive en tête avec 63,5% contre 32% des arrivées en France sur la période (12 points en dessous de la moyenne européenne).
  • Pour les raisons « humanitaires » (asile), c’est la Suède qui arrive en 1ère position avec 24% des arrivées contre 7,4% des arrivées en France sur la même période (dans la moyenne européenne). 
  • Enfin, sur les raisons liées à la « famille » (regroupement familial) que la France se place en 1ère position puisque ce motif a justifié 41% des entrées sur le territoire de 2005 à 2020 : 13 points au-dessus de la moyenne européenne. 

Regroupement familial : des règles plus strictes chez nos voisins européens… surtout sur la justification de l’indépendance financière

A titre de comparaison, les Pays-Bas et le Danemark affichent des taux bien inférieurs à la moyenne européenne concernant le regroupement familial, respectivement 22,5% et 11,8% et cela, en raison de conditions de regroupement particulièrement strictes. 

Comparaison des conditions à remplir pour une demande de regroupement familial en France, aux Pays-Bas et au Danemark

 

France

Pays-Bas

Danemark

Membres concernés

Conjoint marié majeur, enfants mineurs

Conjoint (de plus de 21 ans si mariage alors que demandeur déjà aux Pays-Bas), enfants mineurs sans casiers judiciaires

Conjoint marié et âgé de plus de 24 ans (sauf si naturalisation du conjoint depuis plus de 28 ans), enfants mineurs

Conditions pour ouvrir la demande pour le membre sur place

Résider en France depuis 18 mois (12 mois pour un ressortissant algérien), avoir un titre de séjour d'un an au moins (sauf "passeport talent", retraité, saisonnier)

Avoir un permis de résidence (sauf pour les échanges d'étudiants, les au pair, les apprentis et les saisonniers)

Obligation de justifier de revenus deux fois supérieurs au taux de prestations sociales

Le couple doit valider plusieurs "compétences" dispatchées entre les deux membres : niveau B1 en anglais (intermédiaire TOIEC), avoir travaillé à temps plein 3 ans (30h/semaine) sur les 5 dernières années, preuve d'une année de formation dans l'enseignement supérieur

Conditions à remplir

Justifier d'un logement (locataire, propriétaire ou à titre gratuit) d'une surface déterminée selon la zone géographique : par ex, en Ile de France (zone A), 22m2 pour 2 pers, 72m2 pour 7 pers,

Avoir un revenu suffisant, fiscalisé et durable (environ 2000 euros bruts, niveau actualisé 2 fois par an)

Le conjoint ne doit être avoir été condamné pour des faits de violence domestique. Le conjoint doit : avoir déjà visité le Danemark, doit justifier d'un logement indépendant de 20m2/pers (hors sdb, entrée, cuisine), même si propriétaire (les m2 loués sont exclus du calcul) et si bail locatif, ce dernier doit durer 1 an et demi minimum, le bailleur ne peut pas être un membre de la famille et il faut prouver le versement d'un loyer équivalent aux prix pratiqués dans la zone géographique).

Le conjoint doit être indépendant financièrement et déposer 14 000 euros de "garantie financière" à la municipalité (afin de compenser pour les finances publiques, les demandes d'assistance sociale), cette garantie est réduite de 3 000 euros à chaque validation de test de langue danoise (les 2 premiers à valider dans les 9 premiers mois de résidence). Cette garantie est rendue dans le cadre de l'obtention d'un permis de résidence permanent ou après 10 ans de résidence. Dans le cas où le permis de résidence est révoqué, où le conjoint a quitté le pays, toutes les sommes versées par l'assistance publique doivent être remboursées.

Ressources suffisantes : 1 smic brut pour une famille de 2 à 3 personnes, les revenus issus des prestations familiales, de l'allocation équivalent retraite, du RSA, de l'ASPA et de l'ASS sont exclues du calcul

Les immigrés "highly skilled" peuvent faire une demande de permis de résidence pour leur partenaire à travers leur employeur

Délai de validité du regroupement

 

Permis de résidence des membres de la famille expire en même temps que celui du demandeur principal et valable au maximum 5 ans, 

Dans les 9 premiers mois de résidence, le membre rapproché doit valider 2 tests de langue danoise (niveau A1 et A2 - débutant TOIEC).

 

Une demande pour toucher des aides sociales peut annuler le permis de résidence de la famille

 

Obligation de notifier l'administration si un membre quitte le foyer associé au permis de résidence ou si un membre qui le territoire danois pour une durée longue, peut causer l'annulation du permis 

On remarque ainsi que les deux pays :

  • Limitent fortement les regroupements des couples jeunes, moins de 21 ans ou moins de 24 ans.

  • Conditionnent le regroupement à une capacité à subvenir aux besoins du foyer plus forte qu’en France, soit en imposant un niveau de revenu plus élevé (2 fois supérieur aux taux de prestations sociales) ou en demandant une preuve d’éducation (1 an dans l’enseignement supérieur) cumulée à une preuve de travail à temps plein sur plusieurs années (3 ans).

  • Aux Pays-Bas, une formule simplifiée du regroupement familial est proposée aux immigrés « talents », si la demande passe par l’employeur de ces derniers.

  • Au Danemark, la capacité du foyer à subvenir à ses besoins sur le long terme est particulièrement challengée puisque le foyer doit prouver qu’il dispose d’un logement durable et spacieux et que le conjoint « regroupé » doit verser une garantie financière de 14 000 euros à la municipalité où il s’installe afin de compenser les potentielles demandes d’assistances sociales à venir. Cette somme est réduite de 6 000 euros via la validation de 2 tests de langues danoises obligatoires (3 000 euros réduits en plus dans le cas de la validation d’un 3ème test dans le cadre d’une formation professionnelle). Cette garantie n’est rendue qu’au bout de 10 ans de résidence. 

On peut aussi se pencher sur des pays qui accueillent presque autant que la France pour des motifs de famille, notamment la Suède (37% des motifs depuis 2005) et le Portugal (35,7%). 

L’immigration en Suède a concerné, des années 1970 à 2016, principalement deux types de profils : les réfugiés (24% des arrivées de 2005 à 2020) et le regroupement familial (37%). Le pays est également confronté à un très fort taux de chômage des non natifs : 19,4%, soit 12,6 points au-dessus du taux de la population native. 

En 2016, la Suède, jusqu’alors caractérisé par une politique migratoire très généreuse a fortement limité sa politique d’accueil. L’âge des époux pouvant faire une demande de regroupement a, ainsi, été relevé à 21 ans, la justification des ressources du foyer a été renforcée et son niveau est déterminé par la composition du foyer. Enfin, les titres de séjour ne peuvent plus être délivrés aux personnes dépendantes des aides sociales, locales ou nationales. Encore une fois, on voit que l’objectif des restrictions est de garantir l’autonomie financière du foyer regroupé. En 2023, le gouvernement suédois a annoncé son intention de restreindre de nouveau cette politique (projet de limitation du regroupement familial pour les réfugiés, demande d’asile à formuler obligatoirement en dehors du territoire suédois, permis de travail uniquement pour les emplois rémunérés à hauteur de 2 fois le salaire minimum, etc…). 

Enfin, le Portugal se caractérise par une situation exceptionnelle en Europe avec des arrivées pour motif familial très nombreuses (35,7% des arrivées depuis 2005)… et un taux de chômage des non natifs inférieur à celui de la population native : respectivement, 7% et 7,1%. Évidemment, cette situation est le résultat du fait que le Portugal est en 1ère place des migrations ayant concerné un motif de travail en Europe mais il convient de souligner que dans le cas d’une demande de regroupement, cette dernière est conditionnée au permis de résidence du demandeur… lui-même conditionné à un contrat de travail. 

Les parlementaires doivent compléter le texte sénatorial et s’inspirer des modèles européens 

Si les amendements portés par les sénateurs français renforcent, dans le même sens, les conditions de ressources à justifier pour bénéficier d’un regroupement familial, le modèle français reste très éloigné des règles en place chez nos voisins européens. Pour rappel, la France se caractérise par une immigration familiale, des résidents étrangers plus éloignés de l’emploi que la moyenne (nationale et européenne) mais aussi par une population non native plus âgée (encore une par rapport à la moyenne nationale et européenne). 

Pour rapprocher notre modèle migratoire des règles misent en place chez nos voisins européens, les députés qui vont discuter du projet de loi à partir du 11 décembre, peuvent s’inspirer des mesures suivantes :

  1. Remonter l’âge du conjoint marié regroupé de 18 à 21 ans (voir 24 ans comme au Danemark).
  2. Déterminer annuellement un revenu minimum à justifier, en fonction de l’âge et du nombre de membres regroupés, pour garantir l’indépendance financière du foyer.
  3. Remise en cause du permis de séjour en cas d’une demande de perception d’aides sociales ou versement d’une « garantie financière » à la délivrance d’un titre de séjour qui sera ponctionné dans le cas de versement d’aides sociales (modèle danois).
  4. Renforcer la condition d’avoir d’un logement décent, indépendant et assez spacieux pour tous les membres du foyer. 
  5. Instaurer une voie de regroupement familial parrainé par l’employeur pour les filières aux métiers en tension.