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Le rapport OCDE sur la France en 2011 et les collectivités territoriales

Dans la dernière livraison de son rapport pays sur la France en 2011, l'OCDE adopte des propositions volontaristes qui tranchent avec la position généralement modérée et consensuelle que l'organisme affiche s'agissant des questions touchant aux politiques publiques. Il faut dire que la situation des finances publiques françaises est préoccupante (déficit de 7,4% du PIB et une dette de 1574,6 milliards en 2010 au dernier trimestre) et impose l'adoption de nouvelles réformes structurelles sur le triptyque : État, collectivités territoriales et Sécurité sociale.

Nous nous intéresserons ici tout particulièrement aux propositions concernant les collectivités territoriales. Et ce d'autant que l'OCDE n'hésite pas pour certaines d'entre elles, comme la mise en place d'une RGPP locale, à proposer ni plus ni moins qu'une révision de la Constitution, notamment afin de contourner le principe de libre administration des collectivités locales, ou d'autonomie financière qui garantissent à celles-ci de ne pas voir baisser leurs dotations d'Etat en dessous de leur niveau de 2003. Un positionnement fort, qu'il faut décrypter…

Tout d'abord, un constat, la France n'a pas réussi à réduire de façon significative le nombre de ses collectivités territoriales. A lui seul notre pays concentre près de 40% de l'ensemble des communes de l'UE à 27 en constante augmentation [1] ! Il en résulte un émiettement de fait qui implique des coûts administratifs supplémentaires dans le cadre de la décentralisation et du transfert des compétences de l'État vers les collectivités locales (voir pour un exemple concret, l'éducation). Fort de ce constat, l'OCDE propose plusieurs axes de réformes, après avoir relevé que les dépenses des collectivités locales représentaient aujourd'hui environ 11% du PIB (sur les 55% du secteur public) :

- Simplification de la structure multi-niveaux de ces collectivités : « le regroupement des petites communes et la suppression de l'échelon départemental pourraient engendrer des économies d'échelle substantielles. » Ceci devrait conduire à une progressive substitution des intercommunalités aux actuelles communes, ainsi qu'à la suppression du département au profit de sa fusion avec la région (aboutissant à un aménagement substantiel de la clause générale de compétence [2], compte tenu du fait qu'il existe un principe d'égalité entre les collectivités locales dérivant de leur autonomie financière [3]).

- Conditionnalité d'une partie des subventions de l'État en direction des collectivités territoriales (environ 100 milliards) : « L'État devrait mettre en place une partie incitative dans les transferts aux collectivités territoriales pour atteindre des objectifs précis en termes d'efficacité et assurer un meilleur contrôle de leur dépenses. »…

- … permettant en retour d'enclencher une RGPP locale avec des incitations crédibles et compréhensibles pour les collectivités territoriales [4].

- Développer progressivement une plus grande responsabilité financière des collectivités locales en diminuant progressivement les transferts financiers (dotations) au profit d'une fiscalité directe renouvelée et clarifiée (remise à plat des 50 impôts/taxes locales existantes) représentant à terme l'essentiel des ressources locales [5]. En effet, le maintien des subventions d'État [6] « décourage les efforts de collecte de l'impôt et engendre une augmentation des dépenses et des déficits », ce qui conduit à ce que « la faible autonomie fiscale et le manque de transparence de la charge fiscale réelle pesant sur les contribuables locaux en raison de la multitude des impôts locaux ne contribuent guère à la responsabilisation des collectivités territoriales, qui ne sont donc pas vraiment incitées à diminuer leurs coûts et à limiter leurs impôts. » Ceci ne pourra avoir lieu cependant qu'à l'issue d'une remise à plat des bases cadastrales élaborées dans les années 1960, en lieu et place des révisions partielles actuelles, afin que ces bases reflètent l'évolution des prix du marché au besoin lissés sur plusieurs années afin d'éviter les à coup [7]. Enfin, l'OCDE propose la recension et l'évaluation des niches locales accordées par les collectivités sur leur territoire afin de pouvoir effectuer éventuellement une remise à plat.

Par ailleurs, il est urgent d'après l'OCDE d'accroître « la mobilité professionnelle, géographique et fonctionnelle des fonctionnaires pour tirer partie de la décentralisation ». Cela supposerait de procéder à d'importants redéploiements et pourquoi pas de revenir sur un statut qui ossifie les carrières plus qu'il ne les flexibilise. En effet, il s'agira de veiller à « compenser les coûts de décentralisation » et les « pertes d'économies d'échelles » par une meilleure allocation des personnels.

Enfin, dernière charge de l'OCDE, cette fois-ci concernant le logement social. Là encore, l'organisme international met en cause les collectivités territoriales dans leur rôle de financeur contre exercice d'un droit de réservation sur le parc HLM. Ce sujet que nous avons largement étudié tant du point de vue de la sociologie des bénéficiaires (parfois fort au-dessus des critères d'éligibilité) que du rôle des institutions dans les mécanismes d'attributions, se trouve confirmé y compris sur le plan des recommandations par l'OCDE : « En échange de leur participation au financement du logement social, l'État, les collectivités locales et les partenaires sociaux reçoivent des droits de réservation dans le parc social, et sélectionnent des candidats qu'ils jugent prioritaires, qui ne sont pas nécessairement ceux qui ont le plus besoin de logements sociaux. » Résultat, le mythe entretenu au sein même du parc social de « la mixité sociale », ne résiste pas à l'analyse : « Dans les faits, la mixité reste limitée avec une nette séparation géographique entre des logements sociaux de ménages pauvres et des logements sociaux de ménages relativement aisés. » (p.100).

L'ensemble de ces chantiers ont été proposés par la Fondation iFRAP dans ses études les plus récentes. Il serait temps que les collectivités locales prennent le chemin d'une plus grande transparence et responsabilité financière. Souhaitons que le rapport OCDE qui converge avec elle vers un constat lucide concernant la situation présente des collectivités locales soit correctement accueilli par les pouvoirs publics. Il y va de la réforme harmonieuse des collectivités locales pour qu'enfin la décentralisation génère les effets financiers positifs escomptés et qu'ainsi « le renforcement de l'autonomie fiscale [soit] un moyen direct de rendre ces collectivités davantage redevables vis-à-vis de leurs électeurs. [8] »

[1] Voir rapport p.64 et 65 ; précisons en outre que l'iFRAP avait déjà abordé ce sujet dans une note préliminaire au dossier Intercommunalité publié dans Société Civile, n°102, mai 2010. Nous évoquions : « Alors que sous l'Ancien régime le territoire comptait 41 000 paroisses, progressivement réduites d'environ 10,7% durant tout le XIXème siècle par fusions successives, il subsiste toujours en 2009 près de 36 783 communes, chiffre en progression depuis onze ans puisqu'elles n'étaient que 36 772 en 1999 ! ». Soit 37,5% du total des communes de l'Union Européenne à 27 membres en 2008. Voir, notamment pour des données récentes, http://carrefourlocal.senat.fr/dive…. La première fusion des paroisses en communes a été réalisée par la loi du 14 décembre 1789.

[2] Ce qui aboutirait à « spécialiser » les régions et les communes en fonction des transferts effectués en direction des intercommunalités, en ce sens (mais contre la suppression des départements), Jean Arthuis, S.O.S Finances publiques, osons les vraies réformes !, Calmann-Lévy 2011, p.81 et suiv.

[3] En particulier se reporter à la très bonne thèse de Anne-Sophie Gorge, Le principe d'égalité entre les collectivités territoriales, Dalloz, mars 2011, 692 p. Bibliothèque parlementaire et constitutionnelle.

[4] Cf, rapport p.64, « Les gains d'efficacité [de la RGPP] pourraient être plus importants si la réorganisation des entités gouvernementales et l'examen des politiques publiques pouvaient viser également la sécurité sociale et les collectivités territoriales… » et p.67 « A long terme, l'État pourrait envisager d'introduire un cadre plus institutionnalisé pour encourager les réductions de coûts. Suite à une analyse approfondie des économies potentielles liées, par exemple, à une plus grande coopération intercommunale, il pourrait définir au préalable l'évolution des subventions aux collectivités territoriales, eu égard aux gains de productivité réalisables. »

[5] Ce qui devrait se traduire par un renforcement de la péréquation horizontale par rapport à la péréquation verticale actuelle.

[6] Ainsi que des dégrèvements accordés par l'État aux bénéfices des collectivités locales : 17,2 milliards en 2009, sur un montant total de transferts de 96,2 milliards, dont 40,9 milliards de DGF et 21,7 milliards de fiscalité transférée.

[7] Sans même avoir à revenir sur l'épisode rocambolesque du prélèvement supplémentaire de 1% de majoration des impôts locaux au titre du coût de la réforme des bases cadastrales et ce, pendant 3 ans, en pure perte en 1990 (voir rapport, p.106) !

[8] Nous formulons le vœu d'un chainage vertueux se mette en place : de sorte qu'une moindre dépense permette de faire baisser le besoin de transferts étatiques qui, mieux orientées, conduisent à de véritables synergies, préludes à un financement reposant d'abord sur des impôts locaux nouveaux, soutenables par les contribuables locaux.