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Hôpital, école, transports : comment l’Etat gaspille notre argent

Agnès Verdier-Molinié, directeur de la Fondation iFRAP, répondait aux questions du Figaro Magazine à l'occasion de la sortie de son dernier livre, Où va notre argent ? publié aux éditions de l'Observatoire. 

Le constat est édifiant : la France est le pays le plus taxé de la zone euro – presque 1 200 milliards de prélèvements obligatoires par an –, mais nos services publics s’effondrent les uns après les autres. Malgré des dépenses qui ne cessent d’augmenter, l’hôpital n’est plus que l’ombre de lui-même, l’école de la République s’enfonce un peu plus chaque année, les transports publics dysfonctionnent en permanence, la justice et la police sont débordées, les prisons saturées… Tout craque de partout en dépit des milliards injectés. Nos institutions ne nous protègent ni de l’excès d’impôts ni de l’excès de dépenses inutiles et la qualité des services publics baisse.  Réveillons-nous ? l’argent public, c’est notre argent !

LE FIGARO MAGAZINE. - Inefficacité, grèves à répétition, absentéisme… Face à la dégradation des services publics, la question que pose votre livre est légitime: où va notre argent ?

Agnès VERDIER-MOLINIÉ. - C’est le grand scandale français: les dépenses publiques explosent mais, année après année, les services publics se dégradent. La France est devenue un village Potemkine. En apparence, la devanture est encore correcte, mais tout se démantèle à l’intérieur. L’hôpital n’est plus que l’ombre de lui-même, l’école de la République s’enfonce un peu plus chaque année, les transports publics dysfonctionnent à intervalles réguliers… Quant à l’État, il délaisse de plus en plus ses missions régaliennes: la justice et la police sont débordées, les peines ne sont pas systématiquement appliquées, les prisons saturent…

Pourtant, les dépenses publiques explosent. Comment expliquer ce paradoxe ?

Ce n’est pas une question de moyens. Entre 2002 et 2022, nos dépenses publiques sont passées de 809 milliards à environ 1500 milliards d’euros. L’an dernier, le gouvernement a annoncé en moyenne 1,6 milliard d’euros par semaine de dépenses nouvelles par rapport à celles qui avaient été votées pour l’année. Un record, puisque la moyenne de dépenses supplémentaires était de 36 milliards d’euros par an sous Nicolas Sarkozy et 17 milliards d’euros avec François Hollande. En 2022, un paroxysme a été atteint, avec 82 milliards d’euros supplémentaires. À l’approche de l’élection présidentielle, nous avons assisté à un véritable festival de chèques: renouvellement du chèque énergie pour 5,8 millions de ménages, rallonge pour MaPrimeRénov à hauteur de 2 milliards d’euros, création d’un fonds de 300 millions d’euros pour les harkis, construction de milliers de terrains de basket, de skateparks, de piscines…

Au plus fort de la campagne présidentielle, on a pu compter, en quinze jours, entre 5 et 7 milliards d’euros d’annonces. Du jamais-vu! Le plus décourageant est que nous avons beau être le pays de la zone euro le plus dépensier, nos services publics s’effondrent les uns après les autres. On dépense toujours plus, mais la qualité n’est pas là. C’est bien la preuve que quelque chose ne fonctionne pas. Mais chut… Il ne faut rien dire aux Français et surtout pas leur expliquer que leur pays est mal géré, leur argent mal utilisé et gaspillé. Et en attendant, leurs impôts et ceux des entreprises ne cessent d’augmenter.

Ce n’est pas ce que dit le gouvernement…

Le gouvernement se flatte d’avoir baissé la taxe d’habitation en 2022 pour 2,8 milliards d’euros ou encore supprimé la redevance télé pour 3,2 milliards d’euros. Mais que pèsent ces petits gestes face à l’envolée massive des recettes fiscales engrangées par Bercy l’an dernier? Rien qu’entre 2021 et 2022, les recettes fiscales et sociales ont augmenté de 87,2 milliards d’euros. Soit 61 milliards de plus que ce qui avait été voté initialement. L’inflation y est pour beaucoup: quand les prix montent, certaines recettes grimpent mécaniquement. C’est le cas, par exemple, des cotisations sociales mais aussi de l’impôt sur les sociétés ou encore de la TVA. En 2022, les recettes totales procurées par cette dernière ont dépassé les 200 milliards d’euros! Au total, les prélèvements obligatoires sont passés de 1107 milliards d’euros en 2021 à 1195 milliards en 2022. Résultat: notre taux des prélèvements obligatoires a atteint 45,3 % du produit intérieur brut (PIB) en 2022. En clair, nous n’avons jamais payé autant d’impôts, de taxes et de cotisations, proportionnellement à la richesse nationale, depuis les années 1990. La France est plus que jamais championne de la zone euro de la pression fiscale!

Comment expliquer une telle dérive ?

Il n’y a pas de garde-fou en France. Personne ne nous protège vraiment, ni contre la folie fiscale ni contre la folie dépensière et le gaspillage de l’argent public. Concernant les impôts, on aurait pu penser que le Conseil constitutionnel ou encore la direction de la législation fiscale à Bercy pourraient tirer la sonnette d’alarme, définir des limites, chiffrer le niveau acceptable de l’impôt sur le capital, le travail, les ménages, les entreprises… Il n’en est rien. À part la Fondation Ifrap, aucun organisme ne s’intéresse, par exemple, aux écarts d’imposition par rapport aux autres pays! Ne serait-il pas normal de définir un plafond d’imposition pour les ménages? Actuellement, seul l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) bénéficie de ce mécanisme, qui le limite à 75 % des revenus du contribuable. Mais ni la fiscalité locale ni les contributions sociales sur les salaires (CSG, CRDS) ne sont prises en compte dans le calcul. Pourquoi cette vision hémiplégique de la fiscalité? Et pourquoi seulement pour ceux qui paient l’IFI?

En matière de dépenses publiques, la Cour des comptes ne fait-elle pas office de garde-fou ?

Les rapports de la Cour des comptes s’enchaînent, ils sont souvent passionnants, mais ils portent sur des points précis, comme la fiscalité directe locale ou l’endettement hospitalier… Qu’a fait la Cour des comptes, durant la crise sanitaire, pour alerter sur les dangers du «quoi qu’il en coûte» et mettre en garde le gouvernement contre les risques de l’inflation à venir? Très occasionnellement, des exceptions existent heureusement comme le rapport qu’elle a produit à l’issue de la crise sanitaire expliquant que la France allait devoir faire 9 milliards d’euros d’économiespar an. Hélas, elle n’a pas précisé sur quels postes devraient porter ces économies. Un travail de précision et de chiffrage que son homologue britannique, le NAO, fait. D’ailleurs, outre-Manche, le Parlement suit l’utilisation de chaque denier public… ce qui est malheureusement loin d’être le cas en France!

La fraude sociale explique une partie de l’envolée des dépenses. À combien l’estimez-vous ?

La fraude sociale est un sujet tabou en France. Beaucoup considèrent qu’elle serait acceptable puisqu’elle concernerait une population démunie quand la fraude fiscale serait, elle, réservée aux riches. Il faut sortir de ces préjugés. Une estimation raisonnable de la fraude sociale tourne autour de 20 milliards d’euros par an. Une telle somme équivaut à 2,6 % de la dépense totale de prestations sociales. En tête de la fraude estimée, on trouve le RSA avec 10,1 % de versements suspects. De tels écarts sont inquiétants. Ils invitent à plus de transparence sur les données et à la mise en œuvre d’une vraie politique de contrôle. Et l’obligation pour ceux qui touchent les minima sociaux de chercher un travail comme c’est le cas dans les pays du nord de l’Europe. Ces pays baissent, à juste titre, les prestations sociales des bénéficiaires qui refusent des emplois.

Dans votre livre, vous dénoncez le fait que tous les Français ne payent pas les services publics au même prix. C’est une injustice, selon vous ?

Beaucoup le savent: plus on paye d’impôt sur le revenu, plus cher on paye la cantine dans les écoles publiques, l’inscription au conservatoire ou la place en crèche de nos enfants. Cela fait peser une double peine sur les foyers qui travaillent et paient l’impôt sur le revenu: ils paient plus d’impôts que les autres pour financer des services auxquels ils n’auront accès qu’en payant plus à nouveau. Exemple: à Paris, les inscriptions aux conservatoires municipaux varient de 73 à 1111 euros par an, selon la tranche d’imposition des ménages. La conséquence? Les plus riches se retirent du système public, sachant qu’ils peuvent obtenir le même service, à meilleur prix, dans le privé. Soit exactement l’effet inverse de la diversité sociale prétendument recherchée.

Le manque de transparence nuit-il à l’efficacité des services publics ?

L’opacité est générale. Beaucoup, au sein de l’administration et des entreprises d’État, ont tendance à se considérer comme les «propriétaires» des services publics. Ils n’ont pas le sentiment de devoir répondre de leur travail et de la qualité du service rendu. Il est temps de leur demander des comptes sur l’utilisation qu’ils font de nos impôts, avant que d’autres, FMI et consorts, ne s’en chargent.

Avec le poids des prélèvements que nous subissons, c’est quand même un minimum de demander des comptes sur l’utilisation de l’argent public et d’exiger de mieux évaluer les services publics. Il n’est pas normal de ne pas pouvoir identifier les services où le taux d’absentéisme est le plus fort ; ou ceux pour lesquels le degré de satisfaction des usagers est le plus faible. L’omerta est générale, y compris dans le secteur de la santé où l’on avait pourtant pris l’habitude des classements recensant les meilleurs hôpitaux et cliniques. C’est impossible désormais. En 2022, l’accès au Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) a été interdit aux journalistes, chercheurs et consultants qui le demandent. Il faut instiller davantage de transparence à tous les étages et autoriser les classements officiels sur la qualité des services publics. En Suisse, par exemple, le classement des hôpitaux, élaboré chaque année par une association indépendante d’utilité publique, est accessible à tous sur la plate-forme Quel-hopital.ch.

Quelles autres pistes suggérez-vous ?

Je propose dans mon livre Où va notre argent? d’appliquer en France 20 principes qui marchent ailleurs dans les grandes démocraties et garantissent aux citoyens de leurs pays qu’il n’y ait pas de surtaxation, pas de dépenses publiques sans contrôle. Et une évaluation de la qualité des services publics. Il est plus que temps que la France s’en inspire car la façade de notre village Potemkine se fissure de plus en plus.