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Haut Conseil des finances publiques : les propositions de la Fondation iFRAP

La création prochaine du Haut Conseil des finances publiques devrait constituer un élément décisif dans la réforme profonde de la gouvernance de nos finances publiques qui devrait voir le jour à l'automne prochain lors de la mise en place d'une règle d'or des finances publiques, permettant d'encadrer le retour progressif à l'équilibre de nos comptes publics dans le cadre de nos engagements européens (TSCG [1]) [2]. Élément majeur, dans la mesure où désormais la France disposera elle aussi d'un organisme indépendant permettant de juger du « réalisme » des prévisions de croissance, de la conformité par rapport à la prévision de croissance des constructions des budgets publics (projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale) à ces mêmes prévisions et indirectement de juger de la pertinence des budgets des collectivités territoriales [3]. La Fondation iFRAP se félicite de la création d'un comité budgétaire indépendant, et ce, malgré l'opposition de principe qu'avaient pu avancer certains experts de la commission Camdessus en juin 2010 constituée par des parlementaires et certains hauts fonctionnaires, et cristallisée autour des risques de doublon et de coût pour les finances publiques.

Ces éléments dilatoires ont heureusement été écartés par le bras européen, mais expliquent en partie le mode d'organisation retenu. Le Haut Conseil aux finances publiques ne sera pas un office parlementaire comme le CBO américain (Congressional Budget Office), ni une émanation de l'exécutif comme l'OBR (Office of Budget Responsibility) britannique, mais un organisme indépendant adjoint à la Cour des comptes qui en assurera la présidence de droit (via son Premier président) et la moitié des nominations (quatre magistrats). Tout regard du pouvoir législatif n'étant pas exclu via la possibilité offerte aux Présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat d'y nommer chacun deux personnes qualifiées. Ainsi constitué le Haut Conseil aux Finances Publiques devra se prononcer sur les prévisions de croissance et la conformité des budgets étatiques et sociaux aux engagements des programmes de stabilités transmis à Bruxelles.

Plusieurs questions restent cependant ouvertes :

- L'allocution du Président de la République devant la Cour des comptes le 7 septembre dernier, laisse pendante la question de la mise en place d'un véritable débat fiscal public. En effet, il est actuellement précisé que le Haut Conseil devra valider les prévisions de croissance retenues par Bercy (comprendre la DTPE, la direction de la prévision économique du Trésor en lien avec la Direction du Budget) en amont du débat budgétaire. La publication de ses avis sera-t-elle indépendante de la constitution du budget, ou simultanée ? L'idéal serait une publication de la prévision de croissance du Haut Conseil début septembre et systématiquement avant le vote de toute loi de finances rectificative.

- L'organisme aura-t-il une faculté autonome d'interpellation en matière de dérive possible (élasticité) spontanée des grandes masses budgétaires (dépenses de personnel, dépenses de fonctionnement, d'intervention etc.) ? En amont du projet de loi et en aval, sur les conséquences possibles de certains choix budgétaires sur la dérive des comptes publics (et d'intervenir par exemple sur le débat dépenses fiscales/dépenses budgétaires, réduction du déficit par l'impôt ou par la réduction des dépenses à cause de leurs effets à court et à moyen terme sur le retour à l'équilibre) etc.
A l'heure actuelle, il est trop tôt pour le dire. Rien ne permet de savoir si l'indépendance de l'organisme lui permettra de jouir d'une faculté de mesurer l'impact budgétaire de mesures votées, que cela soit au sein des lois de finances et de financement annuelles, des lois de finances rectificatives ou de la simple activité législative (notamment s'agissant de certaines taxes) dans la mesure où il n'existe pas de monopole des dispositions budgétaires et fiscales au sein des lois de finances [4] en France.

Pourtant la mise en place du Haut Conseil sous le contrôle de la Cour des comptes pourrait être un gage de synergies intéressantes : en effet, le reproche trop souvent formulé à la Cour a généralement reposé sur un manque de traduction concrète en termes de propositions chiffrées des constatations micro et macro-budgétaires formulées. Le Haut Conseil aura la capacité de traduire concrètement l'impact des errements constatés au niveau central, social (5ème chambre) comme local (via le concours des chambres territoriales des comptes) sur la trajectoire d'ensemble des finances publiques et de mettre éventuellement l'exécutif au pied du mur. En ce cas, alors que les Comités budgétaires sont censés délivrer des avis non partisans ex-ante, tandis que les Institutions supérieures de contrôle (type Cour des comptes ou NAO) sont chargées des analyses ex post, il sera possible d'avoir une rétroaction de l'ex-post en n sur l'ex-ante en n+1, donc un véritable suivi économique et budgétaire des finances publiques [5].

En tout état de cause, l'expérience historique de long terme, comme l'a révélé une étude pionnière en la matière [6], montre que l'efficacité des Comités budgétaires indépendants est d'autant plus forte en théorie que leur action permet aux citoyens de bien identifier les déviations macro-économiques/budgétaires repérées par l'organisme et leur imputation à des erreurs résultant d'évènements inopinés ou à des dérives en matière de politiques publiques. En pratique, l'effet des Comités budgétaires semble plutôt permettre des corrections à la marge et d'autant mieux appliquées que les erreurs identifiées sont plus médiatisées. Souhaitons que le Haut Conseil soit à la hauteur de cette tâche et qu'il permette de booster le travail et les recommandations de la Cour des comptes. Suggérons aussi que les membres de ce haut Conseil interviennent de façon totalement indépendante de Bercy et qu'ils soient bénévoles.

[(A propos de la règle d'or européenne, voir aussi : Introduire une règle d'or en droit français ? )]

[1] Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, mars 2012.

[2] Il est clair que cette conversion au « réalisme » n'est pas sans rapport avec l'arrivée de la nouvelle majorité au pouvoir dont l'action n'aura été que de « déconstitutionnaliser » le projet de réforme initié pour la remplacer par une loi de niveau organique. Cet impératif de contrôle a d'ailleurs été confirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 août 2012 relative au TSCG mettant en exergue que l'autorisation de ratifier le traité ne « devra pas être précédée d'une révision de la constitution. »

[3] Rappelons qu'en effet les collectivités territoriales sont déjà soumises à une règle d'or stipulant leur équilibre en section de fonctionnement et même leur excédent pour soutenir les charges de leur endettement. Cependant, indirectement le HCFP se prononcera sur le respect macro-budgétaire de l'ensemble des finances publiques aux engagements programmatiques pris par les pouvoirs publics dans le cadre des lois de programmation pluriannuelles des finances publiques. Et ce sens, le HCFP pourra de façon indirecte, porter un jugement sur la santé des finances locales.

[4] Nous renvoyons le lecteur aux vifs débats opposant partisans et adversaires du monopole des lois de finances dans le cadre de la rationalisation du travail des assemblées lors de la précédente législature.

[5] OCDE, Discussion on Draft Principles for Independent Fiscal Institutions, 23-24 février 2012.

[6] OCDE, Xavier Debrun, Marc Gérard, Jason Harris, FMI, Fiscal Policies in Crisis Mode : Has the Time for Fiscal Councils Come at Last ?, Background Paper n°2, OECD Parliamentary budget officials and Independent fiscal institutions, 4th Annual Meeting, 23-24 février 2012.