Actualité

Financement local des entreprises : 5 à 7 milliards pour quel résultat ?

Dans une précédente note, nous nous étions penchés sur les nombreux plans en faveur de l'industrie. S'ils ont réussi à faire changer l'image de l'industrie, ces plans sont encore insuffisants pour relancer de façon tangible l'industrie dans les territoires. La timide amélioration des créations d'emplois dans ce secteur récemment ne doit pas faire oublier que de nombreux sites sont menacés. Pourtant le dynamisme des entreprises industrielles et particulièrement des ETI est décisif pour soutenir l'emploi et l'aménagement dans les territoires (voir encadré Vendée). Une préoccupation bien comprise par les collectivités locales qui les a conduites à revendiquer un rôle croissant dans les politiques de soutien en faveur des entreprises. Mais pour quelle efficacité ? Fonds européens, contrats de plan Etat-régions, investissements d'avenir, sans compter leurs propres interventions. Au total, on peut estimer entre 5 et 7 milliards € par an les fonds destinés à soutenir les entreprises dans les territoires mais l'évaluation de ces actions montre aussi de nombreux intervenants et une articulation pas toujours efficace entre les acteurs. C'est aussi un manque de lisibilité et des redondances que pointent les entreprises.

Le 12 juin dernier, se sont réunis autour des représentants de l'État, de l'association des communautés de France et de l'association des régions de France, les binômes élus/chefs d'entreprises incarnant les 141 premiers "Territoires d’industrie" (voir encadré). Une initiative lancée par le Premier ministre en 2018, autour de territoires identifiés avec les régions qui bénéficieront d’un accompagnement personnalisé pour développer ou renforcer leurs projets industriels. Le dossier de presse précise que "1.360 millions d’euros seront prioritairement fléchés vers les projets des territoires d’industrie. L’initiative fait l’objet d’un pilotage décentralisé, par les Conseils régionaux, par les intercommunalités avec les industriels."

Cette initiative est une nouvelle illustration du ruissellement des financements publics vers les collectivités, pour accompagner leur développement, soutenir leurs investissements, via l’Europe au travers des fonds européens, via l’État à travers les contrats de plan Etat-Région ou le Programme sur les Investissements d’Avenir. Revue de détail, avec un regard porté par ailleurs sur l’initiative des Territoires d’industrie et sur les agences régionales de développement…

Les fonds européens

Les fonds européens s’inscrivent en 2019 dans la Stratégie Europe 2014-2020 - une stratégie aux fins de favoriser la croissance et l’emploi dans les 28 Etats membres, au travers de 4 fonds dédiés à des objectifs spécifiques : le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le Fonds social européen (FSE), visant tous deux à accroître la cohésion économique, sociale et territoriale, le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), enfin le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Une enveloppe de 27 Mds a été allouée à la France dont plus de 15 Mds au titre des seuls fonds structurels FEDER et FSE.

La répartition des financements par région est basée sur un système de catégorisation selon l’état de richesse de la région considérée (PIB / habitant). Ainsi, près de 20% de l’enveloppe FESI accordée à la France est destinée aux régions d’outre-mer. Enfin, dernier élément qui n’est pas le moindre… ces fonds appellent dans leur principe des co-financements publics ou privés.

S’agissant des fonds FEDER, plusieurs thématiques prioritaires sont avancées, notamment recherche & innovation, développement technologique et renforcement de la compétitivité des PME (37% du total des fonds FEDER, soit 3,1 Mds sur 8,4 Mds pour la période 2014-2020) avec bien entendu un accent majeur mis sur la transition énergétique (2 Mds).

Une autorité nationale, le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), s’assure du respect des engagements pris aux fins de sécuriser la mise en œuvre des fonds alloués et les Conseils régionaux portent la responsabilité d’élaborer et de mettre en œuvre la stratégie d’utilisation des fonds accordés, sur la base d’un cadre de cohérence convenu entre l'Union européenne et Etat.

Si le concours de financements européens à des projets français ne peut être que louable, on relève que ces fonds soutiennent à la fois des opportunités de reconversion - y compris très locales - ou l’acquisition d’équipements de haute technologie (création d’un éco-quartier sur un ancien site militaire à Nancy ou d’un pôle Biotech en Bretagne ; déploiement du très haut débit dans les Hautes Alpes ; reconversion d’une ancienne brasserie en Alsace et mise en place d’une pépinière d’entreprises ; création d’un pôle multi-services en milieu rural dans l’Eure ; soutien à l’instauration d’un Pass rénovation / efficacité énergétique en Picardie…) mais peuvent servir à alimenter des initiatives plus… exotiques (création d’un espace de formation & de coworking à Mulhouse ; réhabilitation de l’internat du lycée des Eucalyptus à Nice, rénovation énergétique de logements en Seine-St-Denis, etc.) 

Dans notre étude Dépenses européennes : comment les optimiser ?, nous avions souligné que ces interventions étaient d'autant plus critiquables que leurs interventions se superposent, se substituent ou se combinent à des financements nationaux et locaux, déjà souvent trop complexes, ayant les mêmes objets et en général préexistants. La liste des projets soutenus au titre du FSE ou du FEDER et accessible sur le site "L’Europe s’engage en France" est à cet égard symptomatique.

Le gouvernement français s’oppose actuellement à la Commission européenne sur le renforcement des contrôles concernant les fonds structurels européens (source Challenges 9.05.2019). Pourtant, trop émiettées géographiquement, trop saupoudrées dans leur objet, trop détaillées, trop redondantes avec les politiques nationales et locales et sans véritable valeur ajoutée européenne, les interventions des fonds structurels s'apparentent à usine à gaz. 

Contrats de plan Etat-Régions 

Mobilisant pour leur part plus de 30 milliards d’euros sur la période 2015-2020 (métropole et outre-mer), les contrats de plan État-Régions (CPER) visent à renforcer l’action coordonnée de l’État et des régions en faveur du développement des territoires. 6 priorités sont fixées aux régions aux fins d’investissement : mobilités multi-modales (plus de 50% des fonds octroyés) ; enseignement supérieur & recherche ; transition écologique ; numérique ; innovation-filières d’avenir-usine du futur ; territoires.

Créés en 1982, ces contrats de plan - initialement peu formalisés et pour l’essentiel tournés vers le développement d’infrastructures et la reconversion industrielle des territoires - se sont un peu étoffés au fil du temps et sont devenus un support essentiel des politiques de l’État en direction des territoires.

Au total, les 27 contrats régionaux signés mobilisent de l’ordre de 15 Mds d’euros de l’État d’une part, 15 Mds des régions d’autre part et enfin, près d’1 Md émanant d’autres collectivités locales.

Reste que des interrogations persistent, comme le soulignait un rapport de la Cour des comptes en octobre 2014, sur l’absence de réelle vision stratégique des investissements (manque de sélectivité) et une articulation plutôt vague avec les financements européens ; ceci malgré les dispositifs d’évaluation nationale et régionale mis en place. Paradoxal, alors que le CGET assure la coordination des CPER… et celle des fonds européens !

Programme d’investissement d’avenir (PIA) 

Le Programme d’investissements d’avenir a été engagé en 2010, suite au rapport Juppé-Rocard sur le « Grand Emprunt », avec l’objectif d'améliorer le potentiel de croissance de long terme de l'économie française en retenant 4 secteurs prioritaires : enseignement supérieur & recherche, industries & PME, développement durable, économie numérique. Piloté par le Commissariat général à l’investissement (CGI), le PIA a permis de soutenir, avec l’appui de la Datar, des projets portés par des pôles de compétitivité et des plateformes mutualisées d’innovation.

Depuis 2010, près de 60 Mds d’Euros y ont été alloués : un 1er volet de 35 Mds d’euros -dont 6,5 Mds dédiés aux filières industrielles, un 2nd volet de 12 Mds d’euros en 2014 -dont près de 5 Mds pour soutenir les projets industriels (industrie durable,  industrie de défense et aéronautique), un 3ème volet de 10 Mds d’euros en 2017 (recherche, innovation et développement des entreprises). A noter que la commission Juppé-Rocard avait recommandé que l’engagement public soit amplifié par un effet de levier pour un cofinancement privé permettant de quasiment doubler les crédits mis à disposition -préconisation qui s’est trouvée loin d’être concrétisée. Originalité en 2017 pour le 3ème volet du PIA : 500 M d’euros ont été « réservés » pour conduire des actions territorialisées entre l’Etat et les régions sous forme de subventions, d’avances remboursables ou d’investissement en fonds propres.

Les autres interventions des collectivités

Un rapport de la Cour des comptes (2007) faisait état de la difficulté à recenser l’ensemble des ressources engagées par les collectivités au développement économique eu égard, notamment, à la diversité des actions menées, souvent peu dissociables d'autres politiques. Sous la thématique des « dépenses portant sur l’action économique ou le développement économique », la direction générale des collectivités locales (DGCL- ministère de l’Intérieur) agrège ainsi des aides concernant l'industrie, le commerce, l'artisanat, l'agriculture, le tourisme, le maintien des services publics, la recherche et l'innovation. Et sous ce vocable aux contours pluriels étaient identifiées en 2010 des dépenses des régions atteignant plus de 2 Mds d’Euros (7% de leurs dépenses totales) dont 480 millions d'euros pour la recherche & l'innovation, 420 millions pour l'industrie, l'artisanat et le commerce, 330 millions pour l'agriculture et la pêche et 270 millions pour le tourisme et le thermalisme. Plus de 2,3 Mds en 2012 !

Et pour être plus exhaustif, il faut ajouter qu’en 2010, les départements y consacraient pour leur part 1,7 milliard d'euros (2,6% de leur budget), les intercommunalités 882 millions d'euros (3,5% de leur budget) les villes de plus de 30.000 habitants 511 millions d'euros (1,4% de leur budget), enfin les communes de plus de 10.000 habitants 255 millions d'euros (1,5% de leur budget). Ce qui conduisait la DGCL à répertorier en 2010 un investissement des collectivités au développement économique à hauteur de 5,3 milliards d'euros.

Conclusion

Si le pilotage au plus près du terrain est un atout pour la réussite d'une politique publique de soutien aux entreprises, cette orientation nécessite tout de même des garde-fous :

  • D'abord il existe un risque réel de saupoudrage, ce que montre bien le détail des interventions des fonds structurels :

Les subventions européennes sont certes appelées en cofinancement et entrainent avec elles un effet de levier, mais la diversité des projets soutenus et parfois la modicité des sommes investies interrogent : ne vaudrait-il pas mieux concentrer les efforts sur des projets structurants (infrastructures, rénovation dans l'enseignement supérieur, etc.) L'impression qui se dégage est que les collectivités sont tentées de financer des projets qui relèvent de leurs compétences mais en y substituant des fonds européens. Cet écueil doit conduire à renforcer l'évaluation des financements.

  • Il y a également un risque évident de lourdeur administrative :

C'est le piège que cherche à éviter l'expérimentation "territoires d'industrie". D'ailleurs un industriel mosellan interrogé sur le projet et ayant déjà participé à l'initiative "industrie du futur" ne regrettait-il pas les lourdeurs administratives et la complexité des dispositifs proposés en concluant : "nous avons dépensé beaucoup de temps et d’énergie pour pas grand-chose en fin de compte !" C'est aussi le risque que pointe le rapport de la Cour des comptes sur les interventions en faveur du développement économique des collectivités territoriales qui pointait « le nombre des intervenants directs au sein d'une même région est ainsi en moyenne supérieur à 60, voire à 100 lorsque l'on additionne les partenaires de second rang représentant des intervenants infra départementaux. » Bref, des redondances, des incohérences, un manque de lisibilité… Sur ce point des efforts de rationalité doivent être menés : la fusion des régions et le transfert de la compétence animation économique des départements aux régions doit être l'occasion de faire le tri dans les nombreuses structures qui existent (voir encadré agences régionales de développement). Et la toute récente création d’un « guichet unique pour l’investissement productif » destiné à simplifier les démarches des entreprises en mettant à disposition un référent dédié coordonnant les différents acteurs publics, semble de bon augure même si cette initiative concerne, à ce stade, les grands groupes.

  • Enfin le risque de court-termisme…

Le pouvoir local peut être tenté de sauver à tout prix et très provisoirement une entreprise en raison des emplois qui sont menacés. L’expérience a montré que ce risque est bien réel, et dévastateur pour les salariés, les finances publiques et la crédibilité des responsables politiques. La seule parade est de responsabiliser les élus et leurs administrés, toujours aussi favorables à ce type de sauvetage même désespéré, en liant les investissements des collectivités locales à des impôts locaux dédiés bien identifiés.

Il nous paraît indispensable dès lors de limiter le nombre d'intervenants. Un mouvement de fusion doit être entamé au niveau des agences de développement encore très nombreuses. Plutôt qu'un saupoudrage, il faudrait concentrer les investissements sur les actions les plus structurantes. Le CGET doit davantage publier d'évaluation sur les investissements qui ont été conduits. Enfin, au niveau des fonds structurels européens, comme nous l'avions développé dans notre étude de mai dernier, il faut en repenser le principe : la moitié des interventions financées ne font que redistribuer à chaque pays, avec un coût administratif non négligeable, tout ou partie de l’argent qu’on lui a préalablement prélevé. Ne plus faire transiter par Bruxelles les fonds européens ne signifierait pas une baisse d'autant des interventions mais une baisse substantielle des coûts administratifs liés à la gestion et au suivi des dossiers.

L'industrie dans les territoires : le dynamisme entrepreneurial en Vendée

En Vendée, les secteurs de la mécanique-métallurgie compte, avec les industries de l’automobile et  de l’électronique 600 entreprises et emploie plus de 20.000 salariés. Et de nombreux leaders animent l’activité économique (Bénéteau / nautisme, Atlantic / matériel thermique, Cougnaud / modules préfabriqués, Gautier / ameublement, Groupe Dubreuil / Air Caraïbes, PRB / Pdts de revêtements pour les bâtiments, Michelin... ceci sans compter les grands groupes agro-alimentaires Fleury-Michon, Sodebo… ou l’attraction touristique procurée par le Puy du Fou ou le Vendée Globe !

Si le tourisme constitue un pôle naturel d’attraction et de développement et si des caractéristiques de forte identité sont souvent avancées pour expliquer le miracle vendéen (dont une méfiance atavique vis-à-vis du pouvoir central), c’est bien une politique dynamique, notamment inspirée par les acteurs politiques et économiques, qui est à l’origine de ce succès : forte politique de désenclavement, mise en place de zones d’activité haut de gamme (vendéopôles), stimulation technologique (en 2005, la Vendée est devenue le 1er département français couvert par l’internet haut-débit pour attirer les entreprises), mise à disposition d’espaces fonciers, innovations sur la formation ou l’emploi…

Un autre facteur caractérise la Vendée, comme d’ailleurs plus généralement toute la région Pays de Loire : la forte présence des entreprises de taille intermédiaire (la Vendée est le département connaissant la plus forte part de salariés en ETI : 30%), souvent familiales, avec un fort ancrage territorial et animées par des artisans devenus entrepreneurs. Il n’est pas rare d’entendre un jeune apprenti revendiquer le fait de souhaiter devenir « son patron »  ! Autre singularité : la Vendée est -après la Corse du Sud- le département français où les grandes entreprises emploient le moins de salariés.

De fait, le terme d’équilibre vertueux semble le plus approprié pour qualifier la réussite de ce territoire : un tissu économique diversifié accordant une large place à l’industrie -près de 30% des emplois  (agroalimentaire, production de biens d’équipement, travail des métaux, construction navale, ameublement, plasturgie), une structure de production harmonieuse associant grands groupes, ETI & PME entreprenantes, enfin un réseau maillé de petits pôles économiques répartis sur l’ensemble du territoire.

 

Territoires d'industrie… Comment ça marche ?

Le programme Territoires d‘industrie a été lancé fin 2018 avec l’objectif de redynamiser l’industrie française en région. 124 territoires ont été identifiés initialement et désignés comme fers de lance de cette ambition, des intercommunalités sélectionnées au regard de « leur forte identité & savoir-faire industriel ». Le gouvernement a prévu d’y affecter 1,36 Md d’euros et souhaité que 4 enjeux soient ciblés : recruter, innover, attirer des projets et simplifier -des enjeux illustrés par 17 mesures spécifiques auxquelles sont parfois associés des budgets précis.

Au niveau national, le Conseil national de l’industrie (CNI) a ainsi la charge d’éclairer et de conseiller les pouvoirs publics sur la situation de l’industrie en France. Présidé par le Premier ministre (secondé par Ph.Varin Pdt d’Orano), il réunit les entreprises et les représentants des salariés autour de thèmes jugés stratégiques : formation, innovation, financement des entreprises, économie circulaire et développement international. L’ambition est par ailleurs articulée autour de 18 filières industrielles allant de l’aéronautique au nucléaire en passant par le luxe, la chimie ou le numérique -chacune de ces filières étant animée par des comités stratégiques dédiés, sur des bases contractualisées.

En région, un comité de pilotage, en général présidé par le Président du Conseil régional, assure la coordination et le pilotage stratégique de la démarche. Dans chaque territoire d’industrie, un comité assure le suivi opérationnel des projets, comité animé par un binôme élu/industriel, cette composition étant le cas échéant reproduite au niveau de chacune des intercommunalités. En pratique, et à l’image d’un projet d’entreprise, le protocole d’accord recense les enjeux du territoire, l’ambition & les priorités des parties prenantes, les actions déjà menées, les engagements des parties ainsi que le plan d’action du territoire. Après une phase dite de préfiguration, le déploiement généralisé de la démarche a été engagé lors du Conseil national de l’industrie qui s’est tenu à Lyon le 5 mars.

Depuis, quelques critiques se sont fait jour : ainsi la Gazette des communes a fait état de remarques  de Philippe Varin regrettant "une lacune de gouvernance entre l’État et les régions", "Les conventions que je vois signer aujourd’hui me semblent trop complexes." Plusieurs élus locaux ont aussi remis en avant la difficulté pour les entreprises de composer avec les délais administratifs longs des services déconcentrés.