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Collectivités : maîtrise ou baisse des dépenses ?

En exclusivité le 6 septembre, le quotidien Les Echos a révélé que les 13 milliards d’euros d’économies attendues sur le secteur des administrations publiques locales (collectivités territoriales et établissements satellites (ODAL)) ne seront finalement pas dégagées par de nouvelles baisses de dotations aux collectivités territoriales (et en particulier de DGF), mais qu’il s’agirait d’économies qui « s’appliqueront uniquement sur la hausse tendancielle des dépenses de fonctionnement. [et que] comme une baisse de 2,6 milliards d’euros est fixée pour 2018 par l’exécutif et qu’il n’espère aucune baisse réelle des dépenses, on peut supposer qu’il envisage une pente tendancielle supérieure à 1,5%. »

S’agit-il d’une bonne ou d’une mauvaise nouvelle d’un simple point de vue de régulation budgétaire ? Si l’on veut dépasser l’apparent « cadeau » fait aux exécutifs locaux et à leurs associations d’élus ou le manque de « rigueur » budgétaire que cette approche pourrait sembler comporter, il importe d'aller plus loin dans la réflexion. Des économies tendancielles seront constatées, tandis qu'un dispositif de bonus/malus devrait permettre de dégager des économies réelles.

De quelles dépenses de fonctionnement s’agit-il ?

Nous avons repris les chiffres publiés par l’observatoire des finances locales dans sa dernière livraison de septembre 2017[1]. Parler de « dépenses de fonctionnement » est un peu court. Il faudra sans doute préciser :

  • Les dépenses de fonctionnement ne s’entendront tout d’abord que comme des dépenses réelles de fonctionnement, excluant (et c’est normal), les dépenses pour ordre purement comptables ;
  • Ensuite, les dépenses de fonctionnement concerneront, elles, uniquement les dépenses de fonctionnement des BP (budgets principaux), ou également celles des BA (budgets annexes) ? Les budgets annexes constituent généralement un point de fuite de la dépense locale, il serait pertinent de les y inclure. Mais le volume des dépenses suivies n’est alors plus du tout le même : on passe en effet pour 2016 par exemple, de 168,5 milliards d’euros (hors budgets annexes) à 182,7 milliards d’euros (BA inclus) ;
  • Enfin il pourrait être pertinent d’en retrancher la charge des emprunts. Les collectivités ne seraient ainsi pas pénalisées par le coût de financement de leur dette qui serait ainsi calculée hors norme. Dans ces conditions, sans ou avec BA, les périmètres de dépenses de fonctionnement seraient alors respectivement de 164,12 et de 177,19 milliards d’euros (hors charges financières).

Quel sera le tendanciel retenu ?

L’affichage d’économies, lorsque les dépenses ne « baissent pas » en valeur, suppose que l’on retienne une évolution pertinente des dépenses. Nous avons modélisé celles du précédent quinquennat hors année 2017 de transition dont les chiffres ne sont pas connus (ou simplement prévisionnels pour les départements et les régions).

Il apparaît ainsi qu’entre 2012 et 2016 les dépenses de fonctionnement suivant l’ensemble des périmètres discutés plus haut, ont varié en moyenne annuelle entre 1,7 et 1,9% par an. Nous sommes donc bien au-dessus du tendanciel de 1,5% mis en avant par Les Echos. Mais il s’agit d’une évolution en valeur, alors que le tendanciel évoqué par Les Echos est une évolution en volume. La référence historique aux années passées (même si 2017 est meilleure à cause de la moindre taxation budgétaire de la DGF que prévu initialement) semble donc non pertinente si l’on ne veut pas « geler les dépenses de fonctionnement des collectivités en valeur » durant le présent quinquennat.

Ensuite nous avons pris en compte les prévisions d’inflation et de croissance du gouvernement afin de modéliser à partir de 2017 (année où conventionnellement nous avons calculé que les dépenses de fonctionnement augmentaient de l’inflation (zéro volume)) les économies théoriquement possibles sur ces mêmes enveloppes pour un tendanciel compris comme la croissance attendue en valeur sur la période (nominale + inflation) :

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Inflation

1,1

1

1,3

1,4

1,75

1,75

Croissance du PIB en volume

1,6

1,7

1,7

1,7

1,7

1,8

Croissance du PIB en valeur

2,7

2,7

3

3,1

3,45

3,55

Nous aboutissons alors aux économies réalisées ci-dessous :

 

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

 

Dépenses réelles de fonctionnement hors BA

168,51

170,36

172,07

174,30

176,74

179,84

182,98

 

Evolution tendancielle par rapport à la croissance du PIB en valeur à compter de 2018

 

 

174,96

177,23

179,71

182,84

186,22

Total

Economies

 

 

-2,90

-2,93

-2,96

-3,00

-3,24

-15,03

Dépenses réelles de fonctionnement hors BA et hors charges financières

 

 

173,26

176,21

177,27

179,75

183,07

 

Economies

 

 

-1,19

-1,90

-0,52

0,09

-0,09

-3,62

Dépenses réelles de fonctionnement hors BA et charges financières suiv. évol. du PIB

164,12

165,93

167,58

169,76

172,14

175,15

178,22

 

Evolution tendancielle par rapport à la croissance du PIB en valeur à compter de 2018

 

 

170,41

172,61

175,03

178,08

181,37

 

Economies

 

 

-2,82

-2,85

-2,89

-2,93

-3,15

-14,63

Evolution des dépenses réelles de fonctionnement +BA

182,71

184,72

186,57

188,99

191,64

194,99

198,40

 

Evolution tendancielle par rapport à la croissance du PIB en valeur à compter de 2018

 

 

189,71

192,16

194,85

198,25

201,91

 

Economies

 

 

-3,14

-3,17

-3,21

-3,26

-3,51

-16,29

Evolution des dépenses réelles de fonctionnement +BA hors charges financières

177,59

179,54

181,34

183,70

186,27

189,53

192,84

 

Evolution tendancielle par rapport à la croissance du PIB en valeur à compter de 2018

 

 

184,39

186,78

189,39

192,69

196,26

 

Economies

 

 

-3,05

-3,08

-3,12

-3,17

-3,41

-15,84

Sources : Calculs Fondation iFRAP 2017

Il apparaît en particulier que si l’on retient une évolution des dépenses proche du zéro volume (pas de perte de pouvoir d’achat pour l’administration), tandis que le tendanciel des dépenses est lui calculé comme l’évolution du PIB en valeur (pour tenir compte de l’effet croissance), les économies tendancielles dégagées les plus proches des prévisions gouvernementales (2,82 au lieu de 2,6 milliards d’euros), sont celles obtenues sur les dépenses de fonctionnement hors budgets annexes et hors charges financières. Le périmètre pertinent est cependant sans doute plus ambitieux et devrait inclure les B.A (au retraitement des charges de gestion des crédits européens, FEDER, FEADER, etc. près), sachant que la contractualisation devrait concerner dans un premier temps 300 collectivités représentant 80% des dépenses de fonctionnement, cet objectif est finalement en ligne avec les calculs effectués (des économies sur ces entités devraient représenter entre 2,53 et 2,61 milliards d'euros d'économies tendancielles par an suivant l'inclusion ou non des intérêts d'emprunt). Sur ce périmètre en effet, les économies tendancielles pourraient représenter in fine, entre 12,67 et 13,03 milliards d'euros.

Continuer à baisser les dépenses en introduisant des bonus/malus 

En réalité, si les pouvoirs publics souhaitent s’inspirer du modèle italien afin de dégager une gestion fine des finances des collectivités territoriales de façon partenariale avec le niveau national dans le cadre d’un pilotage financier global et cohérent de l’ensemble des secteurs des administrations publiques, il est nécessaire de faire une pause quant à la baisse des concours aux collectivités territoriales.

En effet, il est nécessaire de pouvoir créer des incitations sous forme de bonus/malus qui imposeront une gestion par objectif, partagée entre le gouvernement et les élus locaux. Ce changement de culture associé à un suivi comptable fin en cours d’exécution, suppose que des sanctions/ou gratifications puissent être accordées une fois les comptes exécutés (comptes administratifs et comptes de gestion arrêtés). Or un tel dispositif partenarial ne peut être efficacement mis en place si l’on « contraint » par ailleurs fortement la dépense locale par la poursuite des baisses de recettes. Les dépenses nécessaires à la « rationalisation » des structures et aux mutualisations, doivent pouvoir être négociées et internalisées sans malus, dans un contexte où par ailleurs la TH sera baissée (1/6 cette année, l’ensemble de la TH devant baisser pour 80% des ménages représentant 50% de son montant).

Or précisément c’est ce que l’exécutif entend mettre en place de concert avec les préfets auprès de 300 collectivités territoriales représentant 80% de la dépense locale[2]. Devant les Préfets réunis à l’Elysée le 5 septembre, le président de la République a lancé le début de l’opération : « Ayons avec elles [les collectivités ndlr] un pacte financier, suivons de manière détaillée l’exécution, assurons-nous qu’elles font les économies de fonctionnement qu’elles doivent faire, avec, en contrepartie, une visibilité sur les dotations que nous leur devons. Vous [les préfets] aurez donc un rôle important dans la préparation de ces conventions. »

Dans ces conditions, les dotations qui seront le levier de gestion utilisé, devront être provisoirement sanctuarisées (pour y adosser un dispositif incitatif adéquat). Le président l’affirme « elles seront même légèrement en hausse, les crédits d’aménagement du territoire, de la politique de la ville et l’ensemble des dotations des collectivités seront maintenues. » Une refonte de la DGF est sans doute envisagée après le renvoi de la réforme projetée en 2017 par le Sénat. Si des pactes financiers sont signés, l’Etat devra temporiser pour en voir les fruits, d’autant que certaines dépenses de fonctionnement contraintes et arbitrées par lui-même sont en hausse pour 2018 et les années suivantes : augmentation du point de fonction publique (première année pleine en 2018) et montée en puissance du protocole PPCR (dont l’acmé devra être atteinte pour 2022).

Dans ces conditions des dispositions symétriques devront être mises en place pour stabiliser les dépenses des collectivités :

  • Mise en place d’un moratoire sur les normes ;
  • Fin programmée de la fonction publique à trois versants, en redonnant aux élus locaux ou leurs représentant (CNSFPT par exemple) le pouvoir de revaloriser le point d’indice des agents territoriau,x etc. ;
  • Moratoire (voir infra) quant à la hausse de la fiscalité locale.

A la clé, des baisses attendues de dépenses à trois niveaux : baisse des coûts relatifs aux achats et charges externes, stabilisation des frais de presonnels (impactés par le point de fonction publique et le programme PPCR), baisse des autres dépenses de fonctionnement... ce qui devrait autoriser une rationalisation des dépenses d'intervention (en légère hausse) et le développement d'une capacité de financement permettant de relancer l'investissement (et accroître le désendettement).

Puisque la contractualisation "micro" devra déboucher sur un pilotage "macro", les entités ne parvenant pas à réussir leurs objectifs verront les concours de l'Etat en leur faveur diminuer. Il y aura donc nécessairement des économies en valeur dégagées, les "bons" ne pouvant profiter des coupes des "mauvais", en l'état actuel de nos informations (pas d'institution de droit à dépenser... pour l'heure).

Une gestion par objectif des conventions financières Etat/collectivités

Si le gouvernement se lance dans une gestion partenariale par objectif avec les collectivités territoriales, cette réforme sera nécessairement couplée avec une réforme de la DGF afin d’intégrer une logique contractuelle de performance. Il devrait en développer les attendus au sein d'un Pacte de confiance prolongeant la Conférence nationale des territoires du 17 juillet 2017, cet automne. Celui-ci devra donner la trajectoire pluriannuelle retenue et péréniser la Conférence nationale des territoires, comme instance permanente qui devra s'assurer du suivi du pacte (voir la feuille de route adressée aux préfets, point 9, Protéger, garantir et servir, feuille de route pour le ministère de l'intérieur (septembre 2017).

Si les pouvoirs publics rentrent dans une logique aussi complète que celle développée par l’Italie (voir document joint infra), il faudra progressivement dégager des indicateurs pertinents tenant compte de la strate de la collectivité, de ses conditions démographique et socio-économiques et de l’état actuel de ses dépenses (tenir compte des efforts fournis par rapport à l’objectif à partir d’une situation de départ).

Pour cela, les pouvoirs publics devront s’appuyer sur la définition transparente d’indicateurs s’appuyant sur des références objectives et comparables (ratio de dépenses par habitant, ou au kilomètre pour la voierie, etc.), critères qui devront rentrer en cohérence avec l’ODEDEL qui pourrait être décliné sur une base territoriale. Il faudra par ailleurs mettre en place avec la DGFiP des indicateurs de comptabilité analytique qui aillent au-delà des données relatives aux potentiels fiscaux et financiers et discuter des contours des boni/mali à obtenir/supporter en fin de cycle de gestion, d’où la stabilité nécessaire des dotations jusqu’à ce terme.

Il semble par ailleurs normal que ces 300 conventions financières soient passées avec un horizon de 5 ans. Il s’agira du premier volet de pilotage partagé de la dépense locale avec, sans doute, des possibilités de réorientation en cours de gestion. Souhaitons qu’un véritable pacte financier de stabilité interne soit mis en place en France et renouvelé à l’issu du quinquennat à l’instar de l’Italie ou du Top runner system japonais.

Il faudra également que l’Etat contractualise un pacte de stabilité fiscale

Ce pilotage des dépenses avec moratoire sur la baisse des dotations, devra s’accompagner d’un pacte de stabilité fiscale locale. Sans celui-ci, les réformes fiscales projetées, comme la baisse de la TH (1/3 de la baisse de 50% de la TH dès cette année, donc 1/6) pourraient conduire à une surréaction fiscale des élus locaux cherchant à compléter les compensations d’exonération (si cette logique est choisie) ou les dégrèvements par les pouvoirs publics qui pourraient être gelés historiquement au-delà de la première année, ou chercher à « acheter » les réformes en compensant les coûts de fusion ou de rationalisation par une hausse des prélèvements sur les contribuables locaux. Il est donc nécessaire que la contribution souhaitée positive des APUL aux comptes publics s’accompagnent également d’une véritable baisse de leurs dépenses par rapport au PIB. Pour cela il est nécessaire d’encadrer leur recours au levier fiscal (indépendamment du dynamisme des ressources transférées, notamment en cas de transfert de parts de TVA). Il en va de l'acceptabilité des réformes projetées par les contribuables eux-mêmes.


[1] https://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/statistiques/brochures/ofgpl_2017_0.pdf

[2] Voir Acteurs publics, Pierre Laberrondo, Economies : l’exécutif va contractualiser avec 300 collectivités, 6 septembre 2017, https://www.acteurspublics.com/2017/09/06/economies-l-executif-va-contractualiser-avec-300-collectivites