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10 milliards d’économies sur l'Etat : un bon début mais largement insuffisant

L’exécutif vient de réviser sa perspective de croissance en février 2024, qui passe ainsi de +1,4% en volume à 1%. Une perspective alignée désormais sur celle du FMI, mais toujours inférieure à celle de l’UNEDIC (0,7%), de l’OCDE (0,6%) de la Commission européenne et de la Banque de France (0,9%). Cette révision devrait aboutir à un fléchissement significatif des recettes fiscales (l’élasticité des prélèvements obligatoires à la croissance) et à une augmentation des dépenses engendrées par une sollicitation accrue des stabilisateurs automatiques (hausse des dépenses d’indemnisation chômage). Il devrait en résulter une augmentation du déficit public pour 2024 qui passerait sans corrections d’une cible de -4,4% à -4,8% de PIB. L’écart sans correction atteindrait 11,2 milliards d’euros. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a annoncé une baisse de 10 milliards d’euros des dépenses de l’Etat uniquement, afin de tenter de sécuriser sa trajectoire budgétaire. En effet, il faudra certainement beaucoup plus pour sécuriser nos comptes publics 2024. Ces 10 milliards sont donc insuffisants, mais il s’agit d’un bon début.

Une croissance révisée à la baisse de -0,4 point, aboutirait à un déficit public de 4,8% du PIB

Les dernières données trimestrielles publiées par l’INSEE relatives au 4ème trimestre 2023 nous permet d’évaluer la décomposition de la croissance anticipée pour 2024 comme suit :

 

2021

2022

2023

2024

Produit intérieur brut                                                 

2499,55

2638,30

2803,80

2901,93

En évolution nominale %

7,9

5,6

6,3

3,5

En volume%

6,4

2,5

0,9

1,0

Déflateur de PIB%

1,5

3,1

5,4

2,5

Source : INSEE, calculs Fondation iFRAP février 2024

Cette révision de la croissance aurait pour corolaire sans correction de dégrader le solde public de -0,4 point de PIB, à -4,8% du PIB, soit -139 milliards d’euros. Ce qui aboutirait à garder le solde toujours aussi enfoncé depuis 3 ans autour de -4,8% du PIB. 

Actualisé févr 2024

2022

2023

2024

P.O hors C.I.  En %

45,4

43,9

43,8

En LFI 2024

45,4

44,0

44,1

P.O. hors C.I. en valeur

1198

1231

1270

Ecarts vs LFI 2024

0,0

-2,7

-9,9

Dépenses hors C.I.  En %

57,7

56,2

56,0

En LFI 2024

57,7

55,8

55,4

Dépenses hors C.I. en valeur

1523

1574

1625

Ecarts vs LFI 2024

0,0

0,4

1,3

Solde en % PIB

-4,8

-5,0

-4,8

Solde en en valeur

-127

-140

-139

Ecart au solde LFI

0,0

-3,1

-11,2

Source : LFI 2024, calculs Fondation iFRAP février 2024

Nous avons retenu pour cette hypothèse une élasticité des prélèvements obligatoires à la croissance infra-unitaire de 0,9, et pris en compte les dernières prévisions financières de l’UNEDIC (pour quantifier effets sur les stabilisateurs automatiques) :

Sources : UNEDIC (février 2024[1]).

10 milliards d’euros d’économies sur l’Etat pour préserver un déficit public à -4,4% du PIB

Fort de la volonté de conserver malgré tout son sérieux budgétaire le Gouvernement a décidé de ne pas réviser le niveau de son solde public prévisionnel pour 2024 à -4,4% du PIB. Il doit pour cela réaliser d’après nos calculs environ 11,2 milliards d’euros d’économies. L’Exécutif a décidé quant à lui d’en afficher 10,175 milliards d’euros, uniquement sur le périmètre de l’Etat (bien que par ricochet et à cause de certaines baisses de dotations, d’autres APU soient également concernées). Le décret du 21 février 2024 portant annulation de crédits, en précise les contours[2] : au total 27 missions et 2 comptes de concours financiers sont impactés (Avances à l’audiovisuel public (-20 millions d’euros) et Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés (-14 millions d’euros).

Les 10 missions les plus impactées étant les suivantes :

En Milliards d'euros courants

Annulations totales de crédits

Annulations/ totales de crédits % de la mission

Economie

0,304

7,08%

Solidarité, insertion et égalité des chances

0,307

0,99%

Justice

0,328

2,70%

Enseignement scolaire

0,692

0,79%

Cohésion des territoires

0,737

3,84%

Aide politique au développement

0,742

12,52%

Engagements financiers de l'Etat

0,900

1,48%

Recherche et enseignement supérieur

0,904

2,84%

Travail et emploi

1,100

4,85%

Ecologie, développement et mobilité durables

2,222

10,28%

Source : Décret du 21 avril et LFI 2024, calculs Fondation iFRAP février 2024.

On relèvera que c’est le ministère de l’Ecologie qui voit ses crédits les plus amputés (-2,2 milliards soit 10,28% des crédits de la mission), suivit par la mission Travail et emploi (-1,1 milliards), mais aussi la Recherche et enseignement supérieur à égalité avec les Engagements financiers de l’Etat, (-0,9 milliard d’euros chacun), suivie par l’Aide publique au développement, la cohésion des territoires et l’enseignement scolaire (-700 millions d’euros chacun environ). Le régalien est également touché avec le ministère de la Justice qui contribue lui aussi à hauteur de 328 millions d’euros. 

On peut également visualiser les efforts budgétaires demandés aux différentes missions concernées en mettant en relation les montants en valeur absolue et les % d’annulation par missions sous la forme de nuages de points :

Au sein de cette enveloppe d’annulation globale, le Gouvernement a également annoncé un effort réalisé sur les dépenses de personnels, sous la forme du décalage d’embauches (reports) permettant de ralentir la hausse de la masse salariale. La prise en compte uniquement des annulations sur dépenses de titre 2 dans le décret donne la représentation suivante :

13 missions sont concernées, pour un montant total de 781 millions d’euros. La mission Enseignement scolaire est la 1ère touchée (effet volume au sein de la masse salariale totale), pour près de 452 millions d’euros, suivie par le Ministère des affaires étrangères (action extérieure de l’Etat) pour 153 millions d’euros, puis par la mission Défense pour un montant de 106 millions d’euros. L’ensemble des autres missions touchées présentant des baisses de dépenses de personnel inférieures à 100 millions d’euros. 

 

Crédits de paiement

Décret d'annulation de crédits

Proportion d'annulation %

Crédits de paiement corrigés

LFI 2024 / Missions

Total CP

Dépenses de personnel

Dépenses hors Titre 2

Annulations totales de crédits

Dont dépenses de personnel

Dont dépenses hors Titre 2

Annulations totales de crédits

Dont dépenses de personnel

Dont dépenses hors Titre 2

Total CP

Dépenses de personnel

Dépenses hors Titre 2

TOTAL BG

582,031

154,503

427,528

-10,123

-0,781

-9,342

-1,74%

-0,51%

-2,19%

571,908

153,722

418,185

TOTAL BA

2,422

1,407

1,015

-0,027

0,000

-0,027

-1,11%

0,00%

-2,66%

2,395

1,407

0,988

GRAND TOTAL 

BG+BA

584,453

155,911

428,543

-10,150

-0,781

-9,369

-1,74%

-0,50%

-2,19%

574,303

155,130

419,173

Sur comptes de

 concours financiers

4,480

 

4,480

-0,034

 

-0,034

-0,75%

 

-0,75%

4,446

 

4,446

Source : Décret du 21 avril et LFI 2024, calculs Fondation iFRAP février 2024.

La technique employée pour réaliser des économies

Le Gouvernement a par ailleurs communiqué sur la manière dont il comptait réaliser en face des annulations de crédits (opérations purement budgétaires), les économies nécessaires pour y parvenir. Pour cela deux méthodes distinctes :

  • La taxation budgétaire pour 5 milliards d’euros[3] : Il s’agit en quelque sorte d’une méthode analogue à celle du « rabot ». Un rabot non uniforme cependant suivant les missions concernées. Les 5 milliards recherchés se ventileraient de la façon suivante :

5 milliards d'annulations de crédits

Mesures taxant les crédits budgétaires

0,4

Baisse fonds vert versé aux coll loc.

1,4

Transition écologique

0,75

Baisse des achats de l'Etat

0,8

Décalage dans le temps des recrutements de la FPE

0,63

Baisse de 25% des surfaces (hors fonctionnement): loyers/cessions

1,02

Autres (dispositions)

Seraient ainsi concernées, une baisse des crédits relatifs à la transition écologique pour 1,4 milliard d’euros (en fait un ralentissement de la hausse du programme à 8,6 milliards d’euros contre 10 antérieurement), suivie par celle des achats de l’Etat (750 millions d’euros), le décalage dans le temps des recrutements de la FPE (que l’on a vérifié plus haut sur la masse salariale) pour 800 millions d’euros, les effets de la baisse des surfaces occupées par l’Etat (autres que de fonctionnement) concernant les loyers et les produits de cessions, pour 630 millions d’euros environ (objectif -25% des surface d’ici 2050[4]), ainsi que la baisse attendu du Fons vert versé aux collectivités territoriales (400 millions). Les autres dispositions moins bien individualisées représenteraient en tout 1 milliard d’euros supplémentaires. 

  • S’y ajouteraient 5 milliards de baisses sur des politiques publiques ciblées parmi lesquelles une baisse de 1 milliard d’euros sur les opérateurs de l’Etat (baisse de subventions pour charges de service public/dotations d’investissement etc.), 800 millions sur l’aide publique au développement (742 millions dans le décret d’annulation de crédits), des économies également quant à la montée en puissance de MaPrimeRenov (qui passera de 3,5 milliards d’euros à 4 milliards contre 5 milliards initialement prévus), mais aussi l’introduction d’un reste à charge de 10% pour le CPF (150 millions d’euros) ainsi que la révision des coûts-contrats d’apprentissage pour 200 millions d’euros. Les autres dispositions représentant des économies de 1,85 milliards d’euros de baisse sur des politiques publiques ciblées. 

5 milliards d'annulations de crédits

Mesures ciblant les politiques publiques

1

Baisse du financement des opérateurs

0,8

Aide publique au développement

1

Economies sur MaPrimRénov

0,15

CPF - introduction d'un reste à charge de 10%

0,2

Révision des coûts-contrats d'apprentissage

1,85

Autres

Conclusion

Les annulations de crédit pour 10 milliards d’euros représentent une somme significative et complémentaire des 16 milliards d’économies d’ores-déjà inscrites dans le cadre de la LFI 2024, sur l’ensemble des APU. Curieusement les collectivités territoriales ressortent largement peu touchées par ces nouvelles mesures additionnelles, tout comme les ASSO (administrations de sécurité sociale) dont les comptes pourtant ne sont pas encourageants[5]. La Fondation iFRAP estime en conséquence qu’il est risqué de s’en tenir au volume d’économies proposées et uniquement au niveau de l’Etat. Faute de contractualisation financière renouvelée en direction des collectivités territoriales, celles-ci ne sont pas appelées encore à contribuer au redressement des comptes publics, tandis que les ASSO sont encore peu associées à ce stade la maîtrise de la dépense publique. En face, des dépenses supplémentaires sont d’ores-et-déjà annoncées comme les dépenses d’armement supplémentaires liées à la guerre en Ukraine (3 milliards d’euros) ou celles liées à la crise agricole (+400 millions à date). Et nous n’en sommes qu’en début d’année. Il en faudra certainement beaucoup plus pour sécuriser la trajectoire de nos comptes publics pour 2024, notamment par exemple sur le versant des opérateurs, sur celui de l’assurance-chômage ou de la formation professionnelle (France Compétence et France travail), ainsi que sur celui des retraites (avec les boulets des déficits de la CNRACL et du CAS pensions des fonctionnaires de l’Etat). Ces 10 milliards sont donc insuffisants, mais il s’agit d’un bon début.


[1] https://www.unedic.org/storage/uploads/2024/02/20/Situation-financire-Assurance-chmage-2023-2027_uid_65d491739a5d7.pdf à comparer avec https://www.unedic.org/storage/uploads/2023/10/03/Trajectoire-financire-Assurance-chmage-2023-2026---22-septembre-2023_uid_651bd24bd3c3d.pdf 

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf?id=7gYhb8aQj8EjMmkeyHvZbXtIAj0JcaOEDqWIfclQeWk=

[3] https://www.lopinion.fr/economie/10-milliards-deconomies-pas-encore-dausterite-mais-un-debut-de-rigueur?cx_testId=4&cx_testVariant=cx_1&cx_artPos=0&cx_experienceId=EXFT5UTKS2XP#cxrecs_s 

[4] https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/142-milliards-le-cout-de-la-renovation-energetique-du-parc-immobilier-de-letat et plus précisément, https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/06/5c69b301c13d5d591078031ffbde23156227028c.pdf~#page=42

[5] https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/6-milliards-deconomies-par-sont-necessaires-pour-assurer-le-financement-de-notre-systeme-social