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Politique de la Ville : 117 milliards de dépenses depuis 2010

Les récentes émeutes qui ont déchiré les quartiers sensibles et les centre-villes durant une semaine entre 27 juin et le 2 juillet 2023, ont jeté une lumière crue sur l’efficacité de la politique de la Ville. Alors que le Président de la République a réservé sa décision quant à l’orientation nouvelle que devrait prendre la politique de la Ville et sa déclinaison dans le cadre du Plan « Quartier 2030 », et la communication a minima qui a entouré le CIV (Comité interministériel des villes) le vendredi 30 juin, il convient de faire le point sur le montant de l’argent public qui lui est aujourd’hui consacré : plus de 117 milliards d'euros depuis 2010.

France Assureurs comptabilise près de 11.300 sinistres totalisant une valeur de 650 millions d’euros, dont 55% des coûts relèvent des sinistres sur les biens des professionnels et 35% sur les biens des collectivités territoriales assurés (227,5 millions d’euros environ). Sur cette somme désormais la Smacl, assureur principal des collectivités territoriales en couvre près de 100 millions d’euros (soit 44%) et voit sa situation financière déstabilisée l’acculant à la recapitalisation

Un montant financier de la politique de la ville à « géométrie variable » 600 millions d’euros ou 10 milliards ?

Si l’on s’en tient strictement à l’évolution du programme P. 147 consacré au budget de la politique de la ville, les sommes sont assez mesurées : 598 millions d’euros ont été ouverts en LFI 2023. Ce qui sur longue période donne la représentation suivante en euros courants[1] :

Cependant cette vision « étroite » doit se conjuguer aux autres éléments budgétaires convoqués dans le cadre du DPT (document de politique transversale) Ville, annexé au PLF annuel (ou « orange Ville »). Si l’on prend cette fois la méthodologie retenue par la Cour des comptes dans son rapport de 2020 relatif à l’Evaluation de l’attractivité des quartiers prioritaires[2],  les montants apparaissent comme beaucoup plus importants :

Comme le relève la Cour et en dépit de l’existence d’un document de politique transversale dédié « les moyens consacrés à la politique de la ville proviennent des crédits budgétaires de plusieurs ministères, de dépenses fiscales correspondant à de moindres recettes pour l’Etat et les collectivités territoriales, de dotations plus ou moins fléchées à ces collectivités, de fonds européens, de fonds de la participation des employeurs à l’effort de construction, d’investissement des bailleurs sociaux et de prêts de la Caisse des dépôts et consignations ».

Le montant actuel des moyens financiers mobilisés hors programmes de rénovation urbaine (NPNRU) portés par l’ANRU et dépenses des collectivités territoriales, représenterait près de 9,98 milliards d’euros, soit :

Années

Dépenses budgétaires champ 2019

Dépenses fiscales

Dotation de solidarité urbaine (DSU)

Dotation politique de la ville

Fonds de solidarité des communes d'IDF

Fonds européens

Total périmètre 2019

2010

3,0

1,1

1,2

 

 

0,2

5,61

2011

2,8

1,5

1,3

 

 

0,2

5,80

2012

3,9

1,4

1,4

 

 

0,2

6,92

2013

4,0

1,4

1,5

 

0,23

0,2

7,33

2014

4,2

1,3

1,6

0,1

0,3

0,2

7,62

2015

3,8

1,4

1,7

0,1

0,3

0,2

7,56

2016

4,2

1,7

1,9

0,1

0,3

0,2

8,46

2017

4,0

1,7

2,1

0,1

0,3

0,2

8,31

2018

4,5

3,0

2,2

0,1

0,3

0,2

10,39

2019

4,9

1,7

2,3

0,2

0,33

0,2

9,60

2020

5,8

1,4

2,4

0,1

0,35

0,2

10,26

2021

5,0

1,4

2,5

0,2

0,35

0,2

9,61

2022

5,2

1,3

2,6

0,1

0,35

0,2

9,76

2023

5,4

1,2

2,7

0,1

0,35

0,2

9,98

      Total117

Source : Cour des comptes (2020), calculs de la Fondation iFRAP à partir des documents budgétaires, juillet 2023.

Pour 2023, les dépenses budgétaires sur champ 2019 représenteraient près de 5,4 milliards d’euros, complétés par 1,2 milliard de dépenses fiscales, de 2,7 milliards de DSU en faveur des collectivités (PSR collectivités locales), de 100 millions de dotations de politique de la ville, de 350 millions d’euros issus du fonds de solidarité des communes d’Île-de-France et de 200 millions d’euros de fonds européens[3].

Une politique de la ville qui doit choisir entre des options contradictoires

Les montants financiers consommés dans le cadre de la politique de la ville sont considérables, mais ils souffrent d’arbitrages qui relèvent de positionnements contradictoires. Comme le relève le rapport du Sénat de juillet 2022, « la politique de la ville oscille en France depuis ses origines (…) entre quatre approches théoriques : jacobine, « communautarienne », sociale réformiste et néo-conservatrice ». Or ces propositions sont contradictoires dans les arbitrages budgétaires, ce qui aboutit toujours à privilégier une approche sur les autres :

  • L’approche « sécuritaire » appelée improprement « néo-conservatrice », « poursuis essentiellement un objectif d’ordre public et de lutte contre la radicalisation et la ghettoïsation ».
  • L’approche « communautariste » (plutôt que communautarienne), « parle plutôt des quartiers populaires qu’elle reconnaît et valorise. Elle promeut la co-construction avec les habitants et les associations » ;
  • L’approche jacobine – approche dominante- depuis le lancement de l’ANRU « et de la loi Lamy, définits ces quartiers par rapport à la moyenne en termes de concentration de la pauvreté et de handicap » et vise à leur résorption conjointe.
  • L’approche social-réformiste, voit ces quartiers comme les symptômes des dysfonctionnements de la société « et porte des efforts vers la recherche de solutions à des échelles plus larges que celle du quartier. »

Disons-le tout de go, la solution jacobine de « réduction » des écarts de pauvreté et d’accès aux services publics et à l’emploi, bien que dominante est en situation d’échec. C’est d’ailleurs ce que montre la Cour des comptes dans son rapport de 2020 : « les QPV (quartiers prioritaires de la ville) n’ont pas amélioré leur attractivité ». Les néo-arrivants en 2017 ont un revenu plus faible de 1% en moyenne par rapport aux individus stables en QPV, tandis que les individus mobiles entre QPV ont des revenus plus faibles de 14% en moyenne et que les individus sortants des QPV ont symétriquement un revenu supérieur moyen de 13% à ces mêmes individus aux revenus stables.

Or comme le relève le rapport des sénatrices, les quartiers populaires ont des fonctions propres, celles de sas pour des populations pauvres arrivant sur le territoire français et de tremplin pour ces mêmes populations et en rebond. On aboutit alors à une vision « fixiste » des QPV qui deviennent sujets à un effet noria entre les populations arrivantes pauvres/immigrées dont les flux ne ralentissent pas, et les populations « sortantes » stabilisées économiquement et mieux intégrées.

Conclusion : sortir d’une politique de la ville uniquement quantitativiste

L’effet « sas » évoqué précédemment plaide pour la pérennisation des moyens budgétaires et financiers déployés par les pouvoirs publics, qui atteignent désormais près de 10 milliards d’euros hors interventions spécifiques des collectivités territoriales[4] et ANRU. Elle s’appuie également par la nécessité de mise à niveau environnemental des bâtiments et ensembles existants (RE 2020[5]). C’est ce que plaidait encore le 13 avril devant la Délégation aux collectivités territoriales du Sénat, Olivier Klein, ministre délégué en charge de la ville et du logement[6].

Par ailleurs le ministre a confirmé que « Quartiers 2030 renvoie à une ambition, des outils et une méthode (…) les nouveaux contrats de ville seront d’ailleurs sous-titrés « Engagements Quartiers 2030 » afin de bien montrer le lien qui existe entre ces domaines » ; par ailleurs le ministre a souhaité que « les futurs contrats de Ville « Engagements Quartiers 2030 » soient co-construits avec les habitants, à la mesure de leurs quartiers respectifs », et à cet effet a été lancé une mission visant à interroger les habitants eux-mêmes sur l’évolution de leurs quartiers… les nouveaux contrats de ville devant être signés au 1er janvier 2024 jusqu’en 2027, puis en 2027 avec une clause de revoyure au-delà. Cette participation populaire dans les quartiers devrait permettre de personnaliser les contrats en les adaptant aux réalités locales après restitution des travaux du Conseil national de la Refondation – Logement, le 5 juillet dernier. 4 axes sont retenus pouvant être modulés par les élus locaux et les habitants sous la houlette des préfets : entrepreneuriat et emploi dans les quartiers, développement de la place des femmes, fracture numérique. Ces éléments sont bien éloignés des politiques quantitatives actuelles fondées d’abord sur le foncier et le bâti.

Il importe donc désormais que les arbitrages présidentiels tiennent compte d’un changement de paradigme, déplaçant le curseur de la résorption des écarts territoriaux à une logique centrée sur les habitants eux-mêmes. C’est dans cette veine que devrait être mise en place un dispositif personnalisé de droits et d’obligations pour les populations des QPV permettant d’individualiser les rétributions (accorder prioritairement les logements sociaux aux familles qui travaillent ou en recherche active d'emplois) et les sanctions (suspensions de certains minima sociaux (APL etc.) et de droits connexes pour les personnes passives ou les casseurs), reconstruction après vote local des habitants pour les sinistres causés lors des émeutes actuelles etc… et de baisser les crédits visant la seule réduction des écarts territoriaux (de façon topique le projet de loi de reconstruction à la suite des émeutes urbaines ne vise qu'à accélérer les procédures existantes, sans volet budgétaire à date). Un autre arbitrage pourrait être mis en place en conservant la logique dominante actuelle mais en réduisant les flux entrants (donc en limitant les flux migratoires à stabiliser), ce qui ne semble pas l’option actuellement retenue par le Gouvernement.  


[1] Hors actualisation 2023, voir ARTIGALAS. V, ESTROSI SASSONE D, LETARD, V, rapport sur le bilan de la politique de la ville, https://www.senat.fr/rap/r21-800/r21-8001.pdf#page=41

[2] https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-12/20201202-rapport-quartiers-prioritaires.pdf#page=84

[3] Les dépenses consolidées présentées au sein du DPT Ville annexé au PLF 2023 sont beaucoup plus important notamment en incluant les aides sociales et notamment le RSA, mais qui n’est pas ventilé spécifiquement en direction des quartiers les plus en difficulté. Plus spécifiquement des dépenses nouvelles sont affichées via le programme 361 Transmission des savoirs et démocratisation de la culture, le P.177 Hébergement parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables, ainsi que les P.304 et P.157, inclusion sociale et protection des personnes et handicap et dépendance, ce qui en fait un agrégat beaucoup trop large.

[4] Mais aussi certains outils en faveur des collectivités comme le Fonds Vert doté de 2 milliards d’euros, pour la rénovation énergétique des bâtiments gérés par les collectivités territoriales.

[5] Pour réglementation environnementale 2020.

[6] https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230410/dct_bulletin_2023-04-13.html