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Le salaire minimum allemand et l'accord de coalition d'Angela Merkel

La chancelière allemande vient d'annoncer officiellement l'accord de gouvernement intervenu dans la nuit de mardi à mercredi avec le SPD. Il y a bien entendu l'acceptation de la revendication du SPD concernant l'institution d'un salaire minimum. C'est ce qui concerne le plus les voisins de l'Allemagne, et nous examinons la portée de l'accord sur la base des derniers renseignements obtenus et du commentaire de l'institut DIW. Mais l'accord inspire aussi certaines considérations générales sur le système politique allemand, et certains regrets que le système français paraisse patiner par comparaison.

Le salaire minimum, une révolution ?

D'après l'accord de coalition qui vient d'être publié, il y aura bien un salaire minimum universel en Allemagne. Il sera de 8,5 euros l'heure, à échéance début 2015, sauf dans les branches où les partenaires sociaux en décideront autrement, et où l'échéance sera au plus tard au 1er janvier 2017, ce qui laisse quand même trois ans aux entreprises pour se retourner. L'accord n'est pas applicable aux salaires dans les branches visées par l'AEntG, qui sont actuellement au-dessus de ce minimum [1].

Par ailleurs, selon l'institut allemand DIW, « 5,6 millions de salariés ou 17% de tous les salariés devraient recevoir une augmentation de salaire. Dans l'ex-Allemagne de l'Ouest, il s'agit de 15% des salariés, dans l'ex-Allemagne de l'Est un quart des salariés. Beaucoup d'employés sans formation et en emploi précaire seraient affectés. Puisque la majorité des précaires et mini-jobs sont des femmes, jeunes et personnes âgées, ceux-ci seraient affectés en premier. De même, les secteur de l'agriculture et des services proches du consommateur seraient affectés. Ces secteurs ne sont presque pas affectés par la concurrence internationale."

Pour l'Allemagne, il s'agira de toute façon d'une petite révolution, ne serait-ce que parce qu'un sérieux coup de canif vient d'être porté au principe traditionnel de compétence exclusive des partenaires sociaux en matière de fixation des salaires.

Pour la France, et plus généralement l'Europe, cela serait-il de nature à améliorer nos échanges avec notre voisin ? Observation générale, trois années avant d'atteindre à la généralisation du salaire minimum, c'est beaucoup. Et si c'est 8,50 euros en 2017, notre Smic sera aux alentours de 10 euros, ce qui fait tout de même 17,5% de plus environ, et même si à ce niveau les charges sociales françaises ont été très abaissées, elles restent encore supérieures aux charges allemandes, et le Smic horaire chargé supérieur à tous les autres, Luxembourg exclu. Au-delà du Smic et de ses environs immédiats, la différence de coût du travail restera la même qu'actuellement.

On peut penser qu'à terme la réforme allemande favorisera la France dans les secteurs de l'agroalimentaire, de l'élevage et des fruits et légumes, dans la mesure où l'Allemagne ne devrait plus pouvoir utiliser dans ces secteurs une main-d'œuvre venue de l'Est et très sous-payée, et que par exemple les éleveurs français n'auront plus intérêt à faire abattre leurs bêtes en Allemagne. Mais l'impact devrait rester modeste pour plusieurs raisons. D'abord, le seul secteur susceptible d'être vraiment affecté est celui de l'agriculture/agroalimentaire, dans la mesure où, comme le précise DIW, les autres salaires concernés se trouvent dans des secteurs des services de proximité non soumis à la concurrence internationale. Ensuite, même dans les secteurs de l'agroalimentaire, l'Allemagne n'a-t-elle pas pris une avance de compétitivité hors-coût des salaires, par l'industrialisation renforcée de sa production ? Enfin, que sait-on de la capacité allemande à baisser ses prix pour conserver ses marchés ?

L'accord de coalition va remédier aux problèmes les plus criants de concurrence entre les pays européens, et on peut penser que le sacrifice fait par la chancelière n'en est pas vraiment un, car de toute façon tôt ou tard la pression internationale autant que nationale l'aurait rendu indispensable. La chancelière y gagne de pouvoir faire valoir une démarche pro-européenne, et de rendre possible une coalition de gouvernement indispensable. Quant aux conséquences pour la France, la prudence s'impose, tout autant que la nécessité de ne pas baisser sa garde.

Autres concessions de la chancelière : de l'intérêt d'avoir des finances en ordre…

La concession principale de la chancelière, outre le salaire minimum, porte sur le droit à retraite repassé de 67 à 63 ans, encore qu'on ne sache pas dans quelles conditions. Au total, l'accord entraînerait une dépense publique supplémentaire de 23 milliards d'euros (approximativement l'équivalent de 18 milliards en France par rapport au PIB), et cela sans nécessiter d'augmenter la fiscalité ni les cotisations sociales, ce à quoi la chancelière tenait beaucoup, mais en réduisant les dépenses publiques. En Allemagne, on peut donc faire de la social-démocratie sans mettre les contribuables sur la paille. Sur ce point, tous les Français pourront envier leurs voisins, et réfléchir à cette autre ironie de l'Histoire, qui cette fois tient à l'inversion des politiques économiques : il est finalement plus facile pour la fourmi de se comporter (modérément) en cigale, que pour la cigale de muer en fourmi, si tant est que ce soit possible sans forts soubresauts.

Une union nationale, ou seulement un système politique efficace ?

Le résultat des élections de septembre dernier a été clairement interprété par les observateurs allemands comme un message signifiant que l'Allemagne voulait un pays dirigé par Angela Merkel sur la base d'une coalition CDU-SPD, autrement dit, si l'on cherche à transposer, une sorte d'équivalent UMP-PS. Intéressant. Non pas qu'il faille faire de l'angélisme et décréter que les Allemands sont partisans d'une union nationale : c'est plutôt le résultat de la loi électorale du pays, qui contraint la chancelière à un compromis dont elle se serait certainement bien passé. Avec une franchise qui nous étonne, Angela Merkel vient en effet de déclarer à propos de l'institution du salaire minimum généralisé : "Nous allons décider des choses que, au vu de mon programme, je ne considère pas comme justes". Pas sûr même qu'au vu des difficultés de formation d'un gouvernement qui avance à pas vraiment très lents, la chancelière ne se prenne pas à envier la règle majoritaire telle qu'on la connaît en France, et qui est censée – nous disons bien censée – apporter cohésion politique et cohérence dans l'action gouvernementale.

Hum… pour la cohésion et la cohérence, on repassera. On en vient à se demander quelles sont les vertus de la règle majoritaire, à partir du moment où non seulement elle n'apporte ni l'une ni l'autre, mais où elle conduit aussi un pays comme la France à une alternance où les gouvernements successifs passent le plus clair de leur temps à démolir ce qu'a fait le précédent et à se plaindre de l'héritage laissé par ce dernier. Flux et reflux, le flot n'avance pas. Il est évident qu'aucune union nationale n'est possible dans ces conditions, et il est même possible que la règle majoritaire exacerbe l'opposition droite-gauche que nous voyons se manifester en France, bêtement la plupart du temps. Le Troisième Reich a vacciné les Allemands contre la tentation du totalitarisme ; au même moment de l'autre côté du Rhin, la Quatrième République finissante vaccinait les Français contre l'impuissance et annonçait une Cinquième République destinée à être menée par une main ferme. Ironies de l'Histoire. Ou bien François Hollande s'est trompé de république (et nous nous sommes trompés de candidat), et il faudra attendre le prochain président, ou bien il faut réinstituer la proportionnelle dans les élections législatives. Les deux sont peut-être vrais, ne pleurons pas sur le lait renversé pour la première proposition, mais la seconde est à débattre et n'est pas sans risque évidemment.

Dans les circonstances actuelles où tout programme de gouvernement est extrêmement difficile à définir, et ne conserve pas grand chose de commun avec le programme électoral, on apprécierait aussi d'avoir en France la possibilité de le déterminer de façon réaliste après et non avant les élections. Le programme d'Angela Merkel aura pris plusieurs mois pour se constituer, mais une fois défini il sera appliqué pendant la mandature.

Source : salaires minimums dans les pays d'Europe juillet 2013.

[1] Il s'agit de l'Arbeitnehmerentsendegesetz, En 1996, pour remédier à la concurrence déloyale des travailleurs venant des pays de l'Est, a été introduite la « loi sur les conditions de travail contraignantes pour les services transfrontaliers » (loi AEntG). Cette loi, d'inspiration protectionniste, institue la règle du pays d'accueil, et contraint les travailleurs venant de l'étranger à des conditions identiques à celles des travailleurs allemands. Les secteurs concernés sont ceux des services de propreté, centres de formation, construction, extraction de charbon, charpentiers, électriciens, rénovation, soins de santé, sécurité, lavages. On voit que l'Allemagne, elle aussi, se protège…