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Hôpital, les RTT (enfin) sur la sellette

En proposant dans un entretien aux Echos de revenir sur le protocole d’accord datant de 2002, c’est à un chantier bien périlleux que s’est attaqué Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP : en cause le régime favorable des RTT et la désorganisation du temps de travail induite par les 35 heures à l’hôpital. Les 3 syndicats FO Sud CGT ont déjà annoncé leur opposition au projet et ont appelé à une journée de manifestation le 21 mai.

Objectif 246 millions d’euros de gains d’efficience sur les dépenses d’ici 2019

La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a présenté fin février 2015 un plan d’économies de 3 milliards d’euros d’ici 2017 aux hôpitaux publics pour participer aux efforts de maîtrise des dépenses publiques. En première ligne, évidemment l’AP-HP, premier employeur d’Île de France avec 95.000 employés, 38 établissements et un budget de plus de 7 milliards d’euros.

La trajectoire déterminée dans le programme global de financement pluriannuel 2015-2019[1] de l’AP-HP vise l’équilibre des comptes en 2016, après un déficit de 10 millions d’euros en 2014. Il ne s’agit pas de réduire les dépenses mais d’en maîtriser l’augmentation pour la faire repasser sous la barre des 2%. L’objectif affiché est de réaliser 246 millions d’euros de gains d’efficience sur les dépenses ; cela passe par l’optimisation de l’offre des soins (atteindre 45% de chirurgie ambulatoire), la restructuration de l’offre de soins (hôpital Nord francilien), le renforcement de la performance achat (dans le cadre du programme PHARE). Mais également par la maîtrise des charges de personnel qui représentent 60% du budget. Alors que le PGFP se révèle pour le moins abscons sur la question, le directeur général propose dans une interview dans les Echos de revenir sur le protocole d’accord de 2002 pour assouplir les 35 heures sans toutefois revenir dessus.

Les avantages généreux du protocole d’accord de l’AP-HP

L’introduction des 35 heures à l’hôpital pour les personnels non-médicaux s’est faite par le décret n°2002-9 du 4 janvier 2002 après l’accord cadre national de septembre 2001. Il consistait à donner à des agents insérés dans des cycles et des roulements, le droit de récupérer des heures de repos au titre de la réduction du temps de travail (les RTT) pour avoir un temps de travail lissé par semaine de 35 heures. Le décret créait en outre le compte épargne-temps (CET) sur lequel les agents pouvaient accumuler les jours de congés non-utilisés et ouvrir leur droit ultérieurement.

De l’avis même de ceux qui en ont été les instigateurs, la réforme fut précipitée et mal adaptée à l'hôpital. Lionel Jospin, alors Premier ministre, déclarait ainsi à la Mission d’enquête de l’AN sur la réduction du temps de travail : « la pression des personnels hospitaliers était très forte. Nous y avons cédé, et c’est mon principal regret »[2]. Même le rapport parlementaire de Barbara Romagnan, dont les Echos avaient loué le travail de « désinformation parlementaire »[3], tant sa prise de position en faveur des 35 heures était malhonnête, reconnaissait que le « passage à la RTT s’[était] avéré compliqué à l’hôpital ».

Précipitée, d’abord parce que les protocoles d’accord locaux de janvier 2002, très hétérogènes entre établissements, ont été conclus au pas de charge face à la menace d’une fronde syndicale à l’approche de l’élection présidentielle de 2002. En pratique, les directeurs d’ARH et des Conseils d’administration ont souvent pesé sur les directions des hôpitaux pour faire preuve de générosité dans les protocoles d’accord et s’éviter la paralysie et la mauvaise publicité des grèves. C’était d’autant plus vrai à l’AP-HP, bastion des syndicats d’extrême-gauche tels CGT (36% en 2002) et Sud (16,5%) où les conditions obtenues furent très avantageuses[4]. Celles-ci dépassaient même parfois les revendications des personnels paramédicaux. Ainsi, alors que 59% des établissements publics ont des accords de 15 jours (ou moins) de RTT, l’AP-HP fixe le plafond à 18 jours (20 pour les personnels en repos variable)[5] – sans compter les « repos de protocole » (jour de congé pour la fête des mères, la fête des médailles, la rentrée, etc.), a mis en place un décompte horaire des RTT des cadres ou encore maintient les droits aux RTT pour les congés de formations professionnelles et syndicales. Surtout, elle compte le temps de repas comme du temps de travail effectif (30 minutes par jour) ce qui porte le temps de travail hebdomadaire véritable à 32h30 (soit une heure de moins que la moyenne des autres hôpitaux) auquel on peut encore ajouter les 10 minutes d’habillage également comptabilisées comme du temps de travail effectif… On est donc passé brutalement de 39 heures à 31h40.  Un ensemble d’avantages accordés qui par effet cliquet ne seront jamais remis en question.

Voir ci-dessus le tract du syndicat Sud, publié à l'hopital Bichat qui conteste les déclarations de Martin Hirsch.

La désorganisation de l’hôpital créée par les 35 heures

Précipitée ensuite, parce que cette réforme qui visait avant tout à acheter la paix sociale n’a pas réellement pris en compte les effets dévastateurs de la perte sèche de travail sur l’organisation de l’hôpital. Précisons qu’en plus, la réforme est concomitante à la transposition de la directive sur le temps de travail de 2003 visant à comptabiliser les gardes médicales comme du temps de travail effectif et à rendre obligatoire le repos quotidien de 11 heures consécutives[6]. Le processus de transposition a conduit également à encadrer la durée de travail des internes[7] et ont pris en compte les déplacements pendant les astreintes médicales comme temps de travail effectif (assorti d’une période de repos de 11 heures)[8].

Cet ensemble de réformes relatives au temps de travail médical et non médical a amplifié la pénurie et a mis les organisations sous tension : les transmissions sont plus courtes (15 minutes contre 1 heure auparavant), les plannings sont complexes, sans cesse perturbés, l’exercice médical s’individualise au détriment du travail collectif. Faute de coordination, c’est toute l’organisation qui est perturbée :  une absence (ou RTT) d’un agent peut bloquer le travail de tout un bloc opératoire et son équipe. La création de postes a certes été insuffisante (seuls 32.000 postes non médicaux sur 37.000 ont été pourvus et 3.500 recrutements médicaux sur 5.000) mais elle a tout de même contribué à une augmentation de la masse salariale de plus de 30% entre 2002 et 2012. En contribuant à élever le coût du travail du secteur public, la réforme a créé une pénurie de travail à l’hôpital.  

Cette pénurie oblige l’hôpital à rappeler les agents pendant leurs congés faute de personnels disponibles, à les faire renoncer à leurs RTT : les 35 heures, plutôt que de lutter contre l’absentéisme, la pénibilité et la frustration, paradoxalement, les a plutôt renforcés : on compte en 2013 à l’AP-HP un taux d’absentéisme de 6,8 pour 100 jours (même 8,6 pour les aides-soignants)[9] soit en moyenne 19,9 jours par an par agent[10]. Surtout  les agents accumulent dans leur Compte épargne-temps l’ensemble des RTT qu’ils n’ont pas pu prendre et qui, outre la preuve de la désorganisation du travail qui règne à l’hôpital, sont une bombe à retardement pour l’administration qui devra un jour régler l’addition : on estime à 993.000 le nombre de jours stockés sur ces CET à l’APHP, stock qui représentait 74,7 millions d'euros fin 2014 et concernerait plus de 36.000 agents

Une réforme à rebours de la transformation des hôpitaux

La réforme des 35 heures s’inscrit à rebours d’un mouvement de transformation profond de l’organisation du travail à l’hôpital ; le passage du budget global à la T2A (tarification à l’activité), le basculement de l’hospitalisation vers l’ambulatoire, l’informatisation, la mise en concurrence progressive avec le privé mettent en branle l’hôpital et participe d’un changement de paradigme : l’offre de soins doit être pensée autour du patient. Or les 35 heures se sont inscrites dans le prolongement, et ont d’une certaine façon figé, une organisation du travail archaïque et segmentée entre les entrées l’après-midi et les sorties et soins techniques le matin en occultant la réflexion fondamentale sur la façon dont l’hôpital devait revoir la prise en charge des patients. Malgré les opportunités qu’offraient l’ambulatoire, la diminution par deux des DMS (durée moyenne de séjour) entre 1980 et 2011, les nouveaux parcours de soins, l’organisation est restée stable autour de la sacro-sainte journée de 8 heures sur laquelle on a tenté d’appliquer tant bien que mal le cadre légal des 35 heures. Les agents travaillent désormais 7h36 pour faire ce qu’ils faisaient précédemment en 8 heures, tout en cumulant dorénavant de nombreuses RTT. On planifie d’abord les horaires de travail et ensuite on organise les prises en charge des patients. C’est l’inverse que l’on devrait faire, en réorientant les processus organisationnels autour du soin, à un moment où en plus se développe une grande réflexion autour du lean management à l’hôpital.  

De plus, ces règles freinent la convergence et la concurrence avec les cliniques privées : par exemple le travail de nuit (32h30 par semaine) ne s’applique pas au privé et crée un surcoût de 68 millions d’euros par an pour les établissements publics selon un rapport de la FHF[11].

Coupler organisation du travail et organisation des soins

Comme formulé dans ses vœux au personnel de l’AP-HP, Martin Hirsch veut « reconquérir le temps » ; lutter contre tous les temps morts, les temps inutiles, les temps gâchés par la désorganisation avec l’espoir d’une économie de 20 à 25 millions d’euros. L’enjeu est de favoriser les plages de 7h (ou 12h pour certains soins spécifiques comme les urgences, les activités chirurgicales) par jour, afin de limiter les RTT. Dans cet esprit-là, la FHF avait indiqué de la plafonnement à 15 jours le nombre de RTT par personnel et par an générerait une économie de 400 millions d’euros.

Conclusion

La FHF considérait à juste titre que « l’enjeu n’est plus de remettre en cause cette règlementation du temps de travail et de revenir en arrière, mais, dans un contexte budgétaire contraint, de donner les moyens aux hôpitaux de mettre en place des organisations de travail adaptées aux besoins actuels des patients ». Il faut rationnaliser et simplifier les organisations, orienter les horaires vers la prise en charge des patients (7h et 12h), supprimer tous les jours de congés extra-règlementaires qui sont injustifiés, supprimer les règles qui paralysent les services et les acteurs et plafonner le nombre de RTT. La révision des protocoles d’accord est indispensable, mais elle n’est qu’un premier pas vers la réorganisation des hôpitaux.  

L’hôpital, Areva et les 35 heures dans le secteur public.

Les coïncidences de l’actualité nous donnent quelquefois à réfléchir. Voici Martin Hirsch se débattant avec les conséquences des 35 heures, qui le conduisent à réduire les jours de RTT, ce qui revient à abandonner de facto ces 35 heures, tout du moins en partie, ce qui reste à négocier avec les syndicats. Au même moment, voici Areva, qui, non content d’annoncer entre 3.000 et 4.000 suppressions de postes pour la seule France, va demander aux salariés restants de supporter une « réorganisation du temps de travail », traduisez travailler plus sans augmentation de salaire.

Et cela, c’est entièrement dans le secteur public. Non, bien entendu, les 35 heures restent une formidable victoire, que la gauche au pouvoir continue de saluer comme il se doit ! Quant aux partisans des 32 heures, au nombre desquels il faut ranger quelques économistes ainsi que l’actuel patron de la CGT, qu’en pensent-ils ?

B.N.


[1] Voir cme.aphp.fr

[2] Voir Assemblée nationale

[3] Voir Les Echos, 

[4] Les Echos, no. 18575, vendredi 18 janvier 2002, « 35 heures : l'AP de Paris propose un accord « sur mesure » à ses agents »

[5] Voir CGT Cochin, 

[6] Voir ministère de la Santé

[7] Voir Legifrance

[8] Voir Legifrance

[9] Voir cme.aphpfr,  

[10] Voir Les Echos,  

[11] Voir Montceau.news