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General Motors et l'État américain

La boucle vient de se boucler : le Trésor américain vient de sortir complètement du capital de General Motors dont il détenait 61% au sortir de la crise qui l'avait amené à prendre le contrôle du constructeur. Cela vaut la peine de reprendre le fil des événements et de tirer quelques enseignements sur l'extraordinaire rebondissement d'un groupe qui, deux ans après être tombé en faillite, redevient le numéro 1 mondial de son secteur. Rôle de l'actionnariat privé couplé, et pas opposé, à celui de l'État et pas d'hésitation devant les restructurations douloureuses mais inévitables.

General Motors a soufflé cette année ses quatre-vingt-seizièmes bougies. En 2005 le groupe, 327.000 employés dans le monde, 4,5 millions de voitures vendues aux US, perdait plus de 10 milliards de dollars. Malgré un certain nombre de restructurations, et des effectifs diminués d'un tiers, la situation ne s'améliore pas et le Trésor américain prête d'urgence 17,5 milliards de dollars contre la promesse de transformer deux tiers de ces prêts en actions et un plafonnement de la rémunération des dirigeants. Mais la société est contrainte le 1er juin 2009 de se placer sous la protection de la loi sur les faillites, et le 5 juillet le tribunal de New York impose, malgré l'opposition d'actionnaires et de créanciers, le plan de scission de ses actifs dont les actifs « pourris » sont transférés à une société de défaisance, pendant que les actifs productifs passent à une nouvelle société (Newco) détenue à 61% par l'État américain.

La Newco ferme des usines, abandonne des marques, supprime 100.000 postes, diminue les salaires et les avantages dans le monde entier. Aux États-Unis les effectifs passent de 91.000 à un plus bas de 65.000. Les actionnaires sont totalement laminés, les créanciers perdent 97% de leurs créances contre 10% du capital de la Newco, et l'État a investi près de 50 milliards dans l'affaire.

Les esprits étaient divisés à l'époque contre cet interventionnisme étatique. Non seulement les opposants traditionnels à l'interventionnisme, et les concurrents, mais aussi un certain documentariste nommé Michael Moore, bien connu des Français, qui affirmait en Juin 2009, quelques jours après la déclaration de faillite : « Lequel d'entre nous aimerait voir 50 milliards de nos impôts déversés dans le gouffre sans fond de GM pour tenter encore de le sauver ? Soyons clairs : le seul moyen de sauver GM est de tuer GM ».

Mais deux années plus tard, après moult réorganisations et décisions stratégiques, GM redevenait numéro un mondial des constructeurs automobiles, réembauchait, et l'État récupérait en Bourse 39 des 49,5 milliards ainsi déversés dans le prétendu gouffre ! GM a réalisé des bénéfices record de ses exploitations américaines, produit 9 millions de véhicules en 2013 avec des effectifs du même niveau que ceux de PSA qui n'en produit que le tiers. Son talon d'Achille reste sa filiale allemande Opel.

Aujourd'hui le Trésor américain est totalement ressorti du capital de GM, qui s'en va semble-t-il voguer vers de nouveaux succès sous la houlette de sa nouvelle présidente Mary Barra (une révolution féminine dans le secteur automobile). Les restrictions sur les rémunérations des dirigeants ont disparu.

Pour 10,5 milliards de dollars (moins de 8 milliards d'euros), l'État américain a rehissé en deux ans après faillite GM à sa place de No 1 mondial de l'industrie automobile, sauvé 200.000 emplois directs, 1,5 million dit-on en comptant les emplois indirects, sauvé aussi les retraites des salariés de GM et assuré plus de 100 milliards de cotisations sociales.

Des enseignements pour la France ?

Si d'abord on pouvait en France cesser de discourir sur les mérites respectifs du libéralisme, du capitalisme, de l'étatisme, de l'interventionnisme et de les opposer sans fin comme s'ils s'excluaient nécessairement et que l'un ou l'autre devait être LA solution, on s'épargnerait beaucoup de disputes inutiles. Les États-Unis sont capitalistes, en même temps ils savent reconnaître les insuffisances et les erreurs du système et faire intervenir l'État en dernière analyse lorsque des intérêts stratégiques sont en jeu. Les actionnaires de GM ont tout perdu en 2009, et pourtant ce sont eux qui sont revenus en 2011, car ils connaissent et admettent les risques de la Bourse ; et ce sont eux aussi qui ont permis au Trésor américain de récupérer les quatre cinquièmes des fonds investis dans le sauvetage de GM. Tombée à 5,6 milliards de dollars en 2008, la capitalisation boursière de GM atteint maintenant 56 milliards, soit dix fois plus, ce qui attire évidemment les investisseurs et permet au Trésor de se dégager en recédant le capital au privé et en retournant au capitalisme ordinaire.

Les huit milliards d'équivalents euros « perdus » par le Trésor américain ne seraient pas supérieurs, toutes proportions gardées dans les économies des deux pays, à 1 milliard d'euros pour l'État français. Le sauvetage du Crédit Lyonnais, pourtant encore nationalisé à l'époque de sa débâcle, aura coûté au total 15 fois plus (15 milliards d'euros) au contribuable français. « Nationaliser les pertes et privatiser les bénéfices », le slogan que l'on répète en France pour stigmatiser les manquements du capitalisme, ce slogan est creux, les États-Unis l'ont ici démontré. C'est le rôle de l'État de nationaliser les pertes lorsqu'il n'y a pas d'autre solution, et c'est l'actionnariat privé, donc la Bourse qui permet à l'État de retrouver ses fonds (39 milliards de dollars en l'occurrence !). Les États-Unis ont démontré une faculté de rebondissement extraordinaire grâce à la vitalité du marché financier, et malgré les pertes qui l'ont affecté, c'est un enseignement essentiel. Sans un marché financier efficace la nationalisation ne conduira qu'à une impasse.

L'autre enseignement, c'est que lorsque l'on parvient à des situations sans issue comme ce fut le cas pour GM, il ne faut pas reculer devant des actions violentes inévitables. Salariés, actionnaires et créanciers ont beaucoup souffert, et le gouvernement n'a pas hésité à procéder à des fermetures de sites et des licenciements secs très importants pour permettre un rebondissement qui s'est produit très rapidement. Il serait inutile, et très coûteux, que l'Etat français intervienne comme l'a fait le Trésor américain, s'il n'était pas prêt à prendre parallèlement des mesures semblables. L'État ne peut pas laisser penser qu'il intervient dans le but d'échapper à des restructurations.