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Contrat de travail « agile »: au moins, expérimentons !

L’actualité remet une fois de plus sur le devant de la scène la question de la facilitation du licenciement, avec la proposition émanant d’un collectif d’organisations patronales de donner de l’ « agilité » au contrat de travail. Nous croyons voir dans la pensée d’un député socialiste, Laurent Baumel, pourtant membre du Front de gauche, une certaine ouverture d’esprit pour demander à ce qu’on lui démontre l’efficacité d’une telle démarche – contrairement à l’opposition systématique affichée par les syndicats à ce qu’il en soit même débattu. Mais c’est à la responsabilité de l’État que nous faisons appel ici, avec une proposition d’expérimentation limitée aux très petites entreprises.

La proposition du collectif patronal

Parmi les mesures proposées par le collectif d’organisations[1] qui s’est exprimé dans le Journal du dimanche du 9 janvier, nous retenons ici particulièrement celle consistant à rendre le contrat de travail « agile » en prévoyant dans le contrat lui-même les causes de résiliation, de façon à limiter le pouvoir du juge qui s’arroge le droit de décider lui-même de la suffisance du motif de licenciement. Il s’agirait de critères objectifs qui ne souffriraient pas la contestation. Si nous appuyons l’objectif, approuvons-nous la méthode ?

On sait que les syndicats sont vent debout contre une modification quelconque du contrat de travail sur ce point (voir encadré). Mais il n’est peut-être pas interdit de rêver que les parlementaires socialistes puissent infléchir leur position – à supposer bien entendu qu’ils acceptent, et le gouvernement avec eux, comme on le souhaite, d’avoir le courage de s’opposer à ces syndicats. C’est ainsi que Laurent Baumel, député PS proche du Front de gauche, débattant sur la chaîne BFM business avec Gilles Legendre et Gilles Bonnenfant, tous deux consultants d’entreprises, sur le sujet de la réforme annoncée du droit du travail et plus particulièrement de la facilitation du licenciement, notait une opposition  de nature « idéologique », mais ne s’opposait quand même pas à ce que l’on démontre l’utilité, pour favoriser l’emploi, de faciliter les licenciements. Pour le député, la « dégradation du marché du travail » qui s’ensuivrait « valait-il le prix à payer » ? Sous cette réserve, « pourquoi pas ?», concède-t-il.[2] De cette position ambigüe du député, on peut quand même retenir qu’il était prêt, même s’il n’en était « pas convaincu » et du bout des lèvres, à recevoir la démonstration que la facilitation des licenciements pouvait avoir un effet sur l’emploi. Alors, essayons !

Pourquoi pas une expérimentation exclusivement dans les TPE ?

Le contrat « agile » souhaité par le patronat prévoirait comme on l’a dit que les causes de résiliation soient prévues dans le contrat lui-même. Ce que certains, comme l’économiste Gilbert Cette, jugent absolument inacceptable, au nom en particulier de la domination exercée par l’employeur sur le salarié, partie considérée comme mineure dans les relations de travail et contrainte de signer ce que le premier lui demande. C’est l’argument classique des syndicats, et celui qui sous-tend la quasi-intégralité des dispositions du Code du travail.

Il s’agit bien de s’attaquer au problème de la cause réelle et sérieuse du licenciement. Si nous pensons bien que le problème est là, nous ne sommes cependant pas convaincus par la proposition patronale, et croyons qu’il faut, comme nous l’avons maintes fois exposé dans ces colonnes, s’attacher plutôt à modifier la définition légale de cette cause (Article 1233-3 du code du travail) et à combattre la jurisprudence très excessivement restrictive de la Cour de cassation sur le sujet. Nous sommes très sceptiques sur la possibilité de prévoir au moment de l’embauche des clauses de résiliation vraiment susceptibles de s’appliquer dans un temps indéterminé, peut-être des dizaines d’années, après, et dont la validité serait reconnue par des tribunaux essentiellement motivés par la défense du salarié. L’exemple de cause de résiliation cité est celui de la baisse continue du chiffre d’affaires pendant quelques semestres. Mais les tribunaux admettraient-ils qu’une résiliation intervenant des années après l’embauche, alors qu’entre temps ce chiffre d’affaires a par exemple été multiplié par dix, correspondrait à la volonté qui avait été exprimée des parties (critère juridique normalement retenu) au moment de la signature du contrat ? Et une telle clause serait naturellement interprétée de façon restrictive, et ne jouerait pas par exemple en cas de baisse de rentabilité sans baisse du chiffre d’affaires. D’où une extrême difficulté de rédaction d’une telle clause pour des résultats très incertains.

Nous préconisons plutôt, à titre expérimental, et parce qu’il est bien reconnu que le problème se pose essentiellement pour les embauches dans les TPE, et plus encore dans les entreprises sans salarié, d’élargir la définition de la cause réelle et sérieuse pour ces TPE exclusivement, par exemple dans celles de moins de 11, voire de moins de 5 salariés. Cette proposition présenterait l’avantage de réduire considérablement la valeur de l’objection tenant à la minorité du salarié sous la domination de son employeur, et aussi de moins se heurter à l’hostilité des syndicats qui ne sont pas présents dans ce type d’entreprise[3]. On peut certes objecter que cette réforme va créer un nouvel effet de seuil, mais le jeu n’est-il pas cette fois suffisamment important pour en valoir la chandelle, et puis on verra bien quelle sera l’efficacité de la disposition : si l’évaluation est négative, ce ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau sans conséquence, dans le cas contraire on pourra étendre son application aux autres entreprises.

Comment procéder juridiquement ?

Un article 1233-3-1 serait ajouté au Code du travail :

« Dans les entreprises d’au plus cinq salariés, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutif notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, à la réorganisation de l’entreprise ou à une ou plusieurs suppressions de postes motivées par le souci de maintenir la rentabilité de l’entreprise ou de l’établissement concerné, ou par l’adaptation à de nouvelles conditions de marché ou de production, ou encore par la réorientation des activités de l’entreprise. L’employeur est seul juge de l’opportunité de procéder à cette réorganisation ou à ces suppressions de postes et de la façon d’y procéder, le contrôle du juge judiciaire ne s’exerçant que sur la réalité du motif invoqué». 

On notera que la limitation du pouvoir du juge au contrôle du motif invoqué est une hypothèse expressément prévue par l’article 9.3 de la convention 158 de l’Organisation Internationale du Travail ratifiée par la France : « En cas de licenciement motivé par les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service, les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention devront être habilités à déterminer si le licenciement est intervenu véritablement pour ces motifs, étant entendu que l'étendue de leurs pouvoirs éventuels pour décider si ces motifs sont suffisants pour justifier ce licenciement sera définie par les méthodes d'application mentionnées à l'article 1 de la présente convention ».

A cet article serait aussi ajouté un article 1233-4-1 rendant inapplicable aux mêmes entreprises de moins de cinq salariés l’article 1233-4 du code du travail, relatif aux obligations de reclassement du salarié licencié.

L’opposition syndicale

Laurent Berger, qui se signale d’ordinaire  par  son attitude modérée et qui jusqu’à maintenant fut celui par lequel les accords entre partenaires sociaux purent être menés à bien, se distingue maintenant par une agressivité peu commune à l’égard des propositions patronales. « J’en ai assez », dit-il, d’entendre le Medef réclamer toujours plus d’aides pour les entreprises, alors qu’elles ont reçu 41 milliards (voir ci-dessous) et n’ont pas respecté les prétendues « promesses » ( ?) faites par Pierre Gattaz de créer un million d’emplois. Les propositions en faveur d’un contrat de travail « agile » sont qualifiées de « vieilles recettes » n’aboutissant qu’à créer la précarité des salariés et assurer la « sécurisation des entreprises sur le dos de l’insécurité des salariés ». Le « chômage n’est pas la responsabilité » des salariés (qui le prétend ?). Et le secrétaire général prévient solennellement le gouvernement que la CFDT s’opposerait à toute avancée sur le contrat de travail comme le souhaitent les organisations patronales, le maintien du droit actuel étant considéré comme une « ligne jaune » à ne pas franchir. C’est exactement le même discours que celui de la CGT. Question : imagine-t-on un seul instant le Medef se permettre de s’exprimer ainsi en traçant des lignes jaunes pour limiter l’action du gouvernement ? Un discours qui démontre bien le durcissement de l’attitude de syndicats, assurés qu’ils paraissent être de dicter leurs vues au gouvernement, et l’impossibilité de parvenir à un accord autre que conforme à leurs propres attentes.

41 milliards ? Et quel effet, pour quelles promesses ?

Soyons exacts. 41 milliards, ce sont les diminutions de prélèvements que le gouvernement annonce au profit des entreprises à l’horizon 2017. Fin 2015, les entreprises n’auront reçu que 23 milliards d'euros. Il restait donc à cette date 17,5 milliards d'euros à leur donner d'ici le 31 décembre 2017.  

Sur ces 17,5 milliards d'euros, 6,5 milliards sont compris dans des mesures déjà votées dont 3 milliards pour l'ajustement final du CICE, lorsque celui-ci concernera la totalité des entreprises éligibles (19,5 milliards en rythme de croisière). L'extinction au 1er janvier 2016 de la contribution exceptionnelle de l'impôt sur les sociétés votée au début du quinquennat coûtera en outre 3 milliards. 

Dans le projet de loi de finances de la sécurité sociale pour 2016, on peut lire que la réduction de l’assiette de la C3S entraîne une perte de 1 milliard tandis que 3,1 milliards d’euros de perte sont causés par l’élargissement de l’assiette de l’exonération des cotisations patronales d’allocations familiales, jusqu’aux rémunérations n’excédant pas 3,5 fois le Smic. Ces deux réformes n’auront donc apparemment rapporté aux entreprises que 4,1 milliards au lieu des 6 prévus pour 2016, même si au total la sécurité sociale aura perdu 5,3 milliards d’après la même source, mais en raison d’autres causes (moindre rendement de mesures).

Fin 2016, les parlementaires devront en outre s'exprimer sur le reste, comprenant le vote de la dernière étape de la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Ils devront enfin se prononcer sur une baisse du taux de l'impôt sur les sociétés pour 1,5 milliard. 

Il paraît donc que, encore à fin 2016, les allègements de charges pour les entreprises ne se monteront qu’à une somme comprise entre 27 et 28 milliards sur les 41 prévus.

D’autre part, le Medef, tout en se déclarant favorable au Pacte, n’a jamais « promis » la création d’un nombre conséquent d’emplois. Il n’a évoqué qu’un objectif de création de un million d’emplois « en cinq ans » et a de plus insisté sur la nécessité de mesures complémentaires (enlever "les verrous qui bloquent l’embauche"), comme l’instauration d’un "Smic transitoire" pour les chômeurs de longue durée et les jeunes sans formation. C’est précisément de ces mesures qu’il est maintenant question.

Enfin, quel a été l’effet des allègements d’ores et déjà accordés ? En ce qui concerne le CICE, le Comité de suivi, dans son rapport de septembre 2015, a clairement indiqué qu’il faudrait attendre le printemps 2016 pour se prononcer sur la création d’emplois. De plus, c’est toujours le même problème que rencontrent les évaluations ex post, à savoir qu’on ne peut juger de l’efficacité d’une mesure que toutes choses égales par ailleurs. Or, qui peut dire ce qui se serait passé en l’absence du CICE dans le contexte troublé actuel : peut-être le taux de chômage aurait-il davantage explosé ?


[1] Collectif composé du Medef, de l’Afep, de CroissancePlus, d’Ethic, d’EDC, du Cercle de l’industrie, et du METI.

[2] Au-delà de ce besoin de démonstration, il affirmait aussi, de façon plus gênante, que « l’objectif de ramener les gens dans l’emploi ne pouvait justifier des choses comme la stagnation des salaires » ou une fiscalité pénalisant les « classes moyennes ». Peut-on exprimer plus clairement la « préférence française pour le chômage » que signalait déjà Denis Olivennes en 1994 ?

[3] Dans une très petite entreprise, la perspective pour le patron d’avoir à passer des heures pour préparer sa défense, payer un avocat et s’expliquer devant un tribunal, sachant de plus qu’ « aux prud’hommes on perd toujours », représente une pénalité qui n’a rien de commun avec l’aumône de 1.000 ou 2.000 euros que paraît vouloir lui offrir le gouvernement pour une embauche.