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Rapport Arthuis : la France bientôt dépendante de ses créanciers ?

La feuille de route donnée par le Premier ministre à l'ancien ministre Jean Arthuis pour son rapport sur la dette était ambitieuse. Le rapport Arthuis devait présenter « un scénario permettant d’assurer une maitrise, puis une décrue de l’endettement public à l’horizon 2025, tout en pérennisant les baisses de prélèvements obligatoires réalisées au cours du présent quinquennat ». Mais de scénario dans le rapport Arthuis, point. Le rapport nous donne certes des perspectives sur l’évolution de la dette qui pourrait dépasser les 133% du PIB en 2030 pour une hypothèse de croissance moyenne confortable de 1,35% mais pas de scénario à proprement parler de réduction de la dette.

Le rapport ne donne aucune piste de baisse des dépenses (les annexes du rapport ne sont pas publiées) et repousse même à 2030 l’horizon pour faire des efforts sur les dépenses publiques ce qui ne colle pas avec la lettre de mission du Premier ministre et ce, sous le prétexte que « les efforts seraient sans commune mesure avec ceux qui ont été consentis depuis 10 ans »

En réalité, le rapport ne donne aucune clé concrète de réforme pour les retraites, le chômage, les aides sociales, le coût de production de nos services publics, la décentralisation, la simplification du nombre d’instances publiques… Donc pas d’horizon 2025 et pas de scénario de réformes non plus. On reste sur sa faim.

Un rapport hémiplégique, centré sur la 2ème partie de sa lettre de mission

En réalité, ledit rapport répond plus à la deuxième partie de la demande du Premier ministre, soit celle de la gouvernance des finances publiques : modalités de pilotage, vision pluriannuelle, consolidation des dépenses entre Etat, Sécurité sociale, et collectivités locales, responsabilisation des gestionnaires, amélioration des outils au service du Parlement pour l’évaluation des politiques publiques. Tout repose en effet sur une maîtrise des dépenses publiques qui évolueraient moins vite que les recettes avec une hypothèse centrale de 0,65% en volume des dépenses primaires (hors charge d’intérêt). 

La réponse du rapport Arthuis qui reconnait que notre priorité est de maitriser nos dépenses publiques tout en n’augmentant pas la pression fiscale tient en trois propositions (modifiant des lois organiques) :

  • Création d’une institution budgétaire indépendante qui serait le Haut Conseil des finances publiques avec plus de pouvoirs ;
  • Maintien de la hausse des dépenses en deçà de la hausse des recettes avec un système de compteur des écarts s’inspirant de ce qui se pratique en Allemagne ou en Suède ;
  • Implication plus importante du Parlement avec un programme d’évaluation pluriannuel des dépenses et une discussion pluriannuelle plus longue.

Cela dit, le rapport se préoccupe très vite de l’avenir de ce qu’il nomme les « dépenses favorables à la croissance économique et au soutien des défis de demain ».  En citant « les dépenses de recherche, d’éducation, de formation professionnelle ainsi que les investissements publics pour soutenir la transition écologique et numérique » qui seraient susceptibles de favoriser la croissance potentielle à long terme. On retombe donc sur l’écueil de la « bonne » et de la « mauvaise » dette qui avait fait florès déjà il y a quelques années avec l’assimilation des dépenses d’éducation aux dépenses d’investissement. Il est ainsi recommandé un « plancher pluriannuel des dépenses d’avenir », un peu comme les fonds spéciaux dédiés allemands placés hors frein à l’endettement ! A la lecture de ces lignes, on ne peut s’empêcher de penser que les ministères dépensiers non régaliens ont encore gagné.

On comprend que la tentation sera forte de balayer toutes les bonnes intentions précédentes sous le prétexte de maintenir un haut niveau de « dépenses d’avenir ».

Par ailleurs, s’il est bon de copier ce qui marche en Suède ou en Allemagne, alors pourquoi ne pas copier tout simplement le système de frein à l’endettement qui est simple en application et fonctionne très bien ? Et sur un principe que tout le monde peut comprendre : pas de déficit public en période de croissance.

Les propositions du rapport sur la gouvernance des finances publiques restent ainsi trop faibles en laissant trop de portes ouvertes à la dépense et en ciblant abondamment les niches fiscales dont on comprend en filigrane qu’il faudrait les réduire (c’est-à-dire augmenter l’impôt, soit la même erreur qu’en sortie de crise précédente avec la fameuse baisse des dépenses fiscales).

Pas d’organe d’audit des finances publiques rattaché au Parlement avec des moyens dignes de ce nom, pas de système de frein à l’endettement au niveau constitutionnel… on passe à coté des grandes réformes menées dans les pays qui ont réussi à faire baisser leur dette tout en faisant baisser les impôts et le chômage. Il propose certes de « muscler » les compétences du Haut Conseil des finances publiques pour l’aligner sur les standards des meilleurs comités budgétaires indépendants de l’OCDE. Mais là encore sans lui conférer, comme aux Pays-Bas par exemple, la possibilité de juger de la crédibilité des programmes des candidats aux élections présidentielles, ce qui oblige le rapport à proposer : « qu’en début de mandature, le vote du premier budget soit décalé de quelques mois le temps que le nouvel exécutif puisse élaborer sa stratégie pluriannuelle et que le premier budget s’y inscrive pleinement. » L’idée paraît difficile à réaliser sauf à réformer la procédure budgétaire pour expédier l’examen du budget initial en 1 mois, en décembre…

Côté dépenses et recettes, si l’on décide de réfléchir en niveau, il faudra nécessairement se donner des cibles et d’ailleurs plus ambitieuses que celles qui seront négociées au niveau européen afin de pouvoir les respecter aisément et d’améliorer notre compétitivité relative par rapport à nos partenaires. D’ailleurs le rapport propose un objectif pluriannuel de dépenses et de prélèvements obligatoires qui se déclinerait par niveau d’administration. Pactes de Cahors améliorés et plus nombreux pour les collectivités territoriales, intégrant les budgets annexes et les ODAL et SEM ; pour la sécurité sociale, la loi de financement serait étendue au champ de la protection sociale dans son ensemble. On réactive pour la circonstance une vieille idée, la Conférence Nationale des finances publiques en début de mandature, permettant de réunir les représentants des 93.700 entités administratives françaises... contre 15.000 en Allemagne.

Une expertise de la dette publique détenue par les non-résidents renvoyée… à plus tard

Dès le préambule, le rapport se veut d’ailleurs rassurant car « nous sommes dans un environnement extrêmement favorable » qui a permis à la France de « s’endetter de manière exceptionnelle » alors que « 78% de la dette émise par la France en 2020 a été en réalité rachetée par les banques centrales ». Oui mais la question c’est lesquelles banques centrales puisque l’on sait que 54% de la dette émise par la France a été rachetée par la BCE. 

En même temps, le rapport Arthuis reconnait que le sujet de la dette est devenu un sujet de souveraineté avec ces mots « nous avons déjà vu des pays devenir dépendants de leurs créanciers ». Plus de 51% de notre dette négociable est détenue selon l’Agence France Trésor par des étrangers. Soit environ 1.034 milliards d’euros. Ce qui est énorme. Le rapporteur du budget à l’Assemblée nationale a reconnu dans un rapport sur la dette française que le Parlement ne connait pas les montants de dette détenus par pays. C’est très regrettable car les Français doivent savoir, à l’instar des citoyens américains, quels sont les étrangers qui détiennent leur dette.

Pourquoi ce risque pour la souveraineté de la France ? Tout simplement parce que la dette française est une des dettes les plus internationalisées qui soit. La dette japonaise, par exemple, est très élevée à plus de 200% du PIB du Japon mais seulement 10% est détenue à l’étranger, la dette américaine est détenue par des étrangers à seulement 30%.

La question de qui possède la dette française devient centrale. Selon les informations qui filtrent au compte-goutte, le Japon détiendrait traditionnellement de la dette française tandis que la Chine souscrirait de plus en plus. De l’ordre de 250 à 300 milliards d’euros dans les caisses de la banque centrale chinoise .

L’Agence France Trésor se borne à affirmer que seulement ¼ de cette même dette serait détenue par des non-résidents d’Asie, d’Amérique et du reste de l’Europe hors zone euro. C’est vague. D’autant que les analyses sous-tendant cette présentation ne sont pas consultables.

Le Ministre Bruno Le Maire explique bien que la Chine est un des premiers prêteurs à la France. Et même le premier ? Alors certes, la Chine possède plus de 1.000 milliards de dollars de dette américaine, ce qui fait dire que c’est dans les mains de la Chine une arme pour négocier avec les Etats-Unis. Alors que dire pour la France ?

La France s’endette trop en ce moment pour continuer à cacher la qualité et la nationalité des détenteurs de sa gigantesque dette. Sommes-nous toujours libres face  à nos créanciers ? Que se passera-t-il le jour où nous aurons un souci sur la dette ? Cette question ne peut plus être mise sous le tapis. Au lieu de repousser le problème à 2030, il est plus que temps de publier ces données pour informer les Français. 

Qu'en conclure ? Que le rapport Arthuis fait erreur : nous n’avons pas le temps devant nous et il est urgent de donner le scénario de redressement demandé sur la période 2022 – 2025 par le Premier ministre. Sinon, la France deviendra -comme le dit le rapport- dépendante de ses créanciers. En ça, le rapport de la commission Arthuis livre donc une copie incomplète. Il trace des pistes, une direction, une philosophie tout en donnant l’impression d’éviter à tout prix d’aborder le sujet des réformes structurelles.

Même l’expertise de la dette publique reste en jachère notamment s’agissant de la dette de l’UNEDIC et de la dette hospitalière ou de celle des opérateurs (nationaux ou locaux). Vivement avril et l’audit de la Cour des comptes.