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Nouveau record du déficit commercial sur les biens : -164 milliards d’euros en 2022

Le déficit de la balance commerciale des biens de la France s’élève à 164 milliards d’euros sur l’année 2022, soit 7 points de PIB. Un chiffre record pour notre pays mais, également, au sein de la zone euro. Le déficit commercial de la France pèse, d’ailleurs, pour plus de la moitié du déficit commercial de la zone euro qui se porte à 314 milliards d’euros en 2022. Notons cependant que du côté des services, la balance, enregistre également un record... avec un excédent de 50 milliards ce qui démontre bien que le problème est au niveau de notre industrie. 

Ce déficit va bien au-delà des scénarios envisagés par Bercy qui étaient autour de 100 milliards. Pour rappel, la balance commerciale d’un pays correspond à la différence entre la valeur monétaire des exportations et des importations de biens et de services.

2022 : une année spéciale... tout comme 2020 et 2021

La crise énergétique est la raison principale de ce déficit : 115 milliards de coût de l’énergie (45 milliards en 2021), ce qui représente 86% de la dégradation de notre déficit commercial depuis l'année dernière. En fait, la France est doublement perdante sur le secteur énergétique : d’une part, du fait de l’arrêt d’une grande partie des réacteurs nucléaires, la France exporte moins d’électricité. On pense notamment aux importations d’électricité depuis l’Allemagne après le début de l’invasion russe en Ukraine. D’une autre part, pour répondre à l’intermittence de notre production d'énergie, la France a dû importer massivement des matières premières dont le prix a explosé (2,1 fois le prix de 2021). Le volume d’électricité importée a été multiplié par 42 depuis 2019. Le gaz, dont la valeur des importations a augmenté de 248%, représente 59 milliards de déficit. En devenant soudainement importatrice nette d’énergie, alors qu’historiquement, la France se distinguait en Europe par sa production et son exportation d’électricité, elle a doublé son déficit commercial (86 milliards en 2021).

Bien sûr, l’année 2022 était particulière. Les bouleversements autour de la guerre en Ukraine ont transformé de manière conséquente le rôle de l’énergie dans notre économie. L’explosion des prix de l’électricité touche, à des niveaux différents, à peu près tous les Etats membres de l’Union européenne, et ce choc amène donc une crise des approvisionnements, difficile à prévoir. De ce point de vue, la dégringolade de la balance commerciale en France et en Europe était quasiment unifactorielle.

Sauf que 2021 et 2020 étaient, aussi, des années particulières, en grande partie à cause de la pandémie, qui a réduit comme jamais les échanges commerciaux, et qui a mis à l’arrêt l’économie des pays occidentaux pendant plusieurs mois. Les 64 milliards de déficit sur les biens en 2020, 86 milliards en 2021 étaient déjà des records.

Les crises successives, sanitaires, géostratégiques et énergétiques, ne doivent pas représenter une excuse. Pour rappel, si la balance commerciale de la zone euro est tombée dans le négatif uniquement après la pandémie2 (fin 2021), la France est, elle dans le rouge depuis 2003. Il n’y a pas de doute : le déficit du commerce extérieur est structurel en France, et la désindustrialisation en est le principal facteur. Depuis douze ans, nos importations ont augmenté de 60%, tandis que nos exportations de 46% seulement.

Balance commerciale énergétique de la France (en milliards d'euros)

Le symbole de notre désindustrialisation

En réalité, cela fait environ vingt ans que la France a délaissé son ambition de puissance exportatrice. La France ne représente que 12% des exportations depuis la zone euro (l’Allemagne plus du double) et cette part ne fait que baisser au cours des dernières années. Les seuls secteurs industriels français qui sont en exportation nette en 2022 sont le luxe, l’aéronautique, l’agroalimentaire et le spatial.

La valeur ajoutée brute de l’industrie française hors construction était de 291 milliards d’euros en 2021. En Allemagne, on est à 757 milliards, et même l’Italie est devant la France, avec 322 milliards. Tandis qu’en Allemagne, 19% des emplois sont concentrés dans l’industrie manufacturière, environ 15% en Italie, ce ne sont que 9% en France. La désindustrialisation est donc un mal français avant d’être européen : pour 100 entreprises exportatrices françaises, on trouve 171 entreprises italiennes et 265 allemandes. On pourrait donc penser que la France a tourné la page de l’industrie, se consacrant essentiellement au tertiaire. Par exemple, la France a la chance d’avoir un secteur touristique très développé, puisque les revenus du tourisme comptent comme de l’exportation de services dans notre balance commerciale. Mais dans l’ensemble des exportations, les services ne représentent qu’un cinquième de la valeur ajoutée. Certains optimistes mettent en avant nos bons résultats en matière d’exportation des services : 1,9% de croissance en 2022. Ils ne pèsent pas beaucoup face aux -5,2% d’exportations de biens, ce qui nous amène à une baisse de 3,3% biens et services réunis.

Les exportations de la France ne représentent pas grand-chose dans l’ensemble des exportations vers l’extérieur de l’Union européenne. Environ deux tiers de nos exportations partent vers d’autres pays européens. En 2018, l’Allemagne exportait environ 20% de sa production commerciale vers les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde et le Brésil, soit cinq points de plus que la France. Celle-ci est donc trop concentrée sur l’Europe dans son commerce extérieur.

Autre point qui illustre ce problème : depuis que le solde commercial est en dessous de zéro (donc depuis 2003), la part de marché de la France, ou plutôt la part des exportations françaises parmi les exportations mondiales a baissé continuellement. De 5,2% en 2003, elles sont de 2,5% en 2022.

Ce qui pose vraiment problème, c’est le retard que la France prend vis-à-vis de ses voisins européens. L’Allemagne, qui a aussi subi l’année 2022 sur le plan énergétique, reste excédentaire à hauteur de 76 milliards d’euros. Pendant ce temps, l’Espagne, l’Italie et les Pays-Bas ont eux aussi de meilleurs résultats que nous.

A noter que le secteur agricole est aussi concerné par les 164 milliards de déficit extérieur, alors même que ce secteur est excédentaire de 4,8 milliards pour l’agriculture et de 5,6 milliards pour l’agroalimentaire. L’excédent s’explique par l’exportation de produits issus d’un savoir-faire, comme les boissons, mais aussi par la vente de céréales, qui ont largement augmenté du fait de la crise de ce secteur en Ukraine. Pendant ce temps, d’autres produits importants (viande, poissons, fruits et légumes) sont en déficit.

Evolution de la part de marché de la France

Au vu des tendances internationales, ce déficit est inquiétant

Longtemps, la balance commerciale déficitaire n’était pas considérée comme très grave. Finalement, la plupart des pays de l’UE y sont confrontés. Le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont même des déficits extérieurs supérieurs aux nôtres. De plus, comme la France n’est pas responsable de sa monnaie, le taux de change de celle-ci ne risque pas de s’effondrer, comme c’est parfois le cas de pays importateurs nets, endettés et à la monnaie faible. Seulement, aujourd’hui, c’est la zone euro dans son ensemble qui est dans le rouge au niveau du commerce extérieur.

Les pays précédemment cités se mettent désormais à tout miser sur leurs industries. Par exemple, l’Inflation Reduction Act, mené par Joe Biden et attisant les craintes des Européens, correspond à cette tendance mercantiliste, déjà menée sous Donald Trump avec son “America First”. En Europe, ces politiques sont qualifiées de protectionnistes, car elles empêchent nos produits de pénétrer leur marché intérieur. Or, le but des Etats-Unis n’est pas vraiment de réduire le libre-échange, mais plutôt de promouvoir leurs exportations. Ainsi, Washington mène la même politique mercantiliste que Moscou ou Pékin au cours des dernières années. Si cette politique fonctionne, les Américains retrouveront un excédent commercial à l’avenir. Si les Européens tiennent absolument à devenir les clients du reste du monde, les Français se vanteront d’avoir pris de l’avance. Seulement, au niveau national comme au niveau européen, nous cherchons à retrouver une souveraineté industrielle, et pas seulement sur l’énergie. Il semble donc que revenir à un excédent du commerce extérieur soit un objectif indispensable.