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"Les fonctionnaires bénéficient de la rente du statut"

L'Etat de connivence

Jean-Marc Daniel, économiste, professeur associé à l'ESCP Europe et directeur de rédaction de la revue Sociétal répond ici, aux questions de la Fondation iFRAP suite à la sortie de son dernier ouvrage, L'Etat de connivence, en finir avec les rentes, aux éditions Odile Jacob, il revient pour l'iFRAP sur le sujet de la rente… publique.

Fondation iFRAP : dans votre nouvel ouvrage, vous revenez sur le sujet de la rente. Quelles sont les principales rentes dont souffre l'économie française selon vous ?

Jean-Marc Daniel : Détenir une rente, c'est être en situation de percevoir un revenu sans fournir l'effort équivalent sur le plan économique. Or il est parfois difficile d'appréhender l'effort fourni et l'efficacité d'un acte économique. En fait ce que montre la théorie économique, c'est que le meilleur moyen d'éliminer les rentes est de soumettre les acteurs économiques à la concurrence. Dès lors, on peut affirmer que les rentiers de l'économie française sont ceux qui échappent à la concurrence. L'actualité se nourrit des professions réglementées ; à juste titre, car nous sommes en présence d'une rente incontestable. Mais il y a aussi les salariés à statut qui, une fois entrés dans le système, connaissent une protection qui est refusée aux autres salariés. Concrètement, les fonctionnaires bénéficient de la rente liée au statut de la fonction publique. Et puis, il y a toutes les activités productives qui sont peu ou prou en monopole. EdF détient une rente que la Commission européenne est en train de remettre en cause et dont le partage est sans cesse l'enjeu de combats de type politique entre les syndicats qui veulent la récupérer pour les salariés, la technostructure qui compte sur elle pour financer ses projets et les pouvoirs publics qui veulent la réduire au profit du consommateur/électeur

Fondation iFRAP : Le sujet des professions réglementées est largement discuté en ce moment, vous faites une proposition originale dans votre ouvrage qui serait de racheter les rentes en question. Quel serait le mécanisme proposé ?

Jean-Marc Daniel : Les résistances à l'introduction de davantage de concurrence tiennent à ce que les professions réglementées estiment que le changement de règle du jeu serait une forme de vol. Concrètement, avant 1938 et les limitations mises à l'installation, un chauffeur de taxi n'avait pour débuter besoin que de son permis et d'engager les frais d'achat d'une automobile. Aujourd'hui, il lui faut débourser 200.000 euros pour acheter une plaque l'autorisant à exercer le métier. Si on revient à la situation d'avant 1938, il perdra les 200.000 euros. Ce que je propose est de lui racheter sa plaque. Il faut pour toutes ces professions identifier le coût d'entrée et leur proposer en fonction de leur durée d'exercice - les plus anciens ont tiré profit de leur situation rentière - une indemnité. Il faut au passage s'interroger sur le contenu de ces métiers. Par exemple, la pharmacie a évolué et les exigences de formation doivent s'adapter.

Fondation iFRAP : Vous faites de la politique de lutte contre l'inflation un soutien objectif du pouvoir d'achat, quelles conséquences en tirez-vous du point de vue de la gestion de l'État ?

Jean-Marc Daniel : L'inflation est une forme d'impôt, et qui plus est, un des plus injustes car ce sont les petits épargnants qui en subissent le plus les conséquences. Aujourd'hui, il est de bon ton de la rechercher car elle efface les dettes, et l'Etat est très endetté. Réclamer l'inflation c'est refuser de voir pourquoi l'Etat est aussi endetté, c'est-à-dire refuser de se pencher sur les causes des dérives des finances publiques. C'est aussi raisonner à court terme, car l'inflation d'aujourd'hui est la politique monétaire restrictive de demain et le chômage d'après-demain.

Mais ce qui est de fait déterminant pour moi, c'est que, de façon très pratique, dans une société de concurrence, les entreprises conservent et améliorent leurs parts de marché en répercutant sur leurs prix les gains de productivité. La baisse des prix, qui conforte le pouvoir d'achat et qui de ce fait correspond aux attentes des populations, est le résultat de la combinaison du progrès technique et de la concurrence. La déflation, qui est une contraction brutale de la masse monétaire relève d'une autre logique qu'heureusement nous ne subissons pas.

Fondation iFRAP : Quelles sont, selon vous, les marges de la France dans le TSCG pour allier croissance et assainissement des comptes publics ?

Jean-Marc Daniel : Le TSCG (traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) décompose le déficit budgétaire en deux : le déficit structurel qui est le déficit moyen sur la durée du cycle économique, et le déficit conjoncturel qui est lié à l'alternance de phases cycliques de croissance et de ralentissement. Quand on mène une politique d'austérité, on constate un premier effet qui est la réduction du déficit structurel. Simultanément néanmoins, assez souvent on a un impact conjoncturel de court terme négatif, si bien que le déficit total ne change guère. Il faut bien voir que l'amélioration de la situation se fait en deux temps : dans un premier on modifie la nature du déficit par élimination du déficit structurel, puis on réduit le déficit en profitant du cycle et de la disparition du déficit conjoncturel.

L'enjeu premier est donc de réduire le déficit structurel et c'est ce que demande le TSCG. Or, le plus sûr moyen d'y parvenir est de réduire la dépense publique en soumettant sans cesse celle-ci à un examen de fond de sa pertinence et de son efficacité.