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Le diagnostic de performance énergétique sur la sellette

Le Président de la République s’est ému ce week-end que son bilan écologique soit détricoté à l’Assemblée. Après les ZFE, les ZAN et MaPrimeRenov' mise sur pause au moins jusqu’à la rentrée selon le ministre de l’Économie, c’est vers le DPE que les regards se sont tournés avec la remise d’un rapport très critique de la Cour des comptes sur ce fameux diagnostic de performance énergétique (DPE). Au départ conçu comme un outil d’information grand public, le DPE a subi de nombreuses modifications réglementaires jusqu’à devenir un outil juridique opposable en cas de location et aussi avec un impact à la vente. Vue l’importance prise par le DPE ces dernières années, la Cour en conclue qu’il faut renforcer les compétences des diagnostiqueurs, sécuriser la méthode d’établissement des DPE, encadrer la délivrance et les recours, et afin de lutter contre les fraudes, créer un ordre des diagnostiqueurs. Mais selon la Fondation IFRAP, la Cour ne questionne pas suffisamment l’utilité même du DPE. Les difficultés soulevées par les normes administratives ne doivent pas être résolues par plus de normes, mais bien par une remise en question.

Le diagnostic de performance énergétique (DPE), instauré en 2006 et réformé en 2021, vise à évaluer la performance énergétique et climatique des logements et bâtiments, en attribuant une étiquette de A (plus efficient) à G (moins efficient). Devenu opposable juridiquement depuis juillet 2021, il constitue un levier central de la politique de rénovation énergétique française, alignée sur les objectifs européens de neutralité carbone à l’horizon 2050. 

Un impact sur les ventes 

Le DPE est obligatoire pour toute mise en vente et doit être annexé avec les autres diagnostics immobiliers obligatoires (plomb, termites, amiante, etc.). Les annonces de ventes immobilières doivent mentionner le DPE du bien.

On ne le sait pas forcément, mais désormais certaines banques refusent de financer l’achat de biens ayant un mauvais diagnostic énergétique au motif que les nouvelles réglementations vont rendre le bien moins liquide et/ou obliger le propriétaire à effectuer des travaux obérant ainsi sa capacité de remboursement.

Autre impact récent : depuis le 1er janvier 2024, les immeubles en copropriété doivent faire réaliser un DPE collectif. Cette obligation concerne en premier lieu les immeubles de 200 lots et progressivement tous les immeubles à partir de 2026. Mais comme le soulève la Cour, le DPE, selon qu’il est réalisé au niveau d’un immeuble entier ou d’un lot de copropriété, peut être source d’incompréhensions. À la différence du DPE « individuel », le DPE « collectif » concerne les parties communes et privatives des copropriétés et la classification peut être différente de celle obtenue au titre de leur DPE individuel et conduire à des comportements de blocage pour entreprendre des travaux de rénovation collectifs de la part des propriétaires de logements ayant un DPE individuel « meilleur » que le DPE collectif comme le souligne le Conseil supérieur du notariat. 

La réalisation de travaux n’est pas toujours possible aux meilleures conditions : ainsi la Cour cite l’exemple de travaux d’isolation par l’extérieur. Dans les zones de centre-ville, particulièrement dans les zones classées, les travaux sont impossibles en raison des contraintes d’urbanisme ou alors nécessitent des autorisations administratives soumises à de très longs délais d’obtention. 

Un impact sur la location

Des règles supplémentaires viennent s’ajouter encore:

  • Les annonces de vente et de location doivent mentionner les DPE ; en cas de manquement, le professionnel est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale.
  • La loi Climat et résilience a prévu une interdiction de louer pour :
    • les logements classés G à compter du 1er janvier 2025 ;
    • les logements classés F à compter de 2028 ;
    • les logements classés E à compter de 2034.

Il ne s’agit pas d’une interdiction administrative de louer à proprement parler, souligne la Cour. Cela signifie que le DPE n’entraînera pas une résiliation du bail (sauf pour les logements indécents), mais cela expose les propriétaires, sur décision du juge, à devoir réaliser les travaux de rénovation et/ou à la réduction ou suspension du loyer et à l’indemnisation du préjudice du locataire. 

De plus, le montant des loyers classés F ou G sont encadrés : gel des loyers lors d’une nouvelle location ; pour les baux en cours, pas de réévaluation du loyer lors du renouvellement du bail ; aucun complément de loyer applicable, pas de révision annuelle du loyer ni de majoration du loyer consécutive à la réalisation de travaux d’amélioration du logement si toujours classés dans ces catégories.

Comme le montrent ces exemples, le diagnostic de performance énergétique a donc un impact bien réel sur la valeur des biens et le marché locatif. Toujours selon le Conseil supérieur du notariat, qui étudie la « valeur verte » des logements :

- l’effet sur les prix en 2022 d’une étiquette très économe (A ou B) irait de + 4 % à + 20 % selon les régions (par rapport à un bien comparable classé D). 

- on observe une augmentation de la part des « passoires énergétiques » (étiquettes F et G) dans les ventes de logements anciens, passés de 11 à 18 % entre 2021 et 2023 qui peut laisser supposer que des propriétaires se séparent de biens qui ne peuvent plus être mis en location sans réalisation de travaux notamment d’isolation. 

- en revanche, les effets de la performance énergétique sur les loyers sont plus modérés : en moyenne en mars 2024 sur l’ensemble du territoire, l’impact du DPE était estimé à - 1,0 €/m² pour un logement classé G par rapport à un logement classé D et + 1,2 €/m² pour un logement classé A ou B par rapport à un logement classé D.

- mais le DPE semble se répercuter également sur l’offre de logement. Selon une étude du site SeLoger, l’attrition globale de l’offre locative observée actuellement serait plus forte pour les « passoires énergétiques » : le stock de biens à louer aurait chuté de 22 % pour les logements classés A à D entre mi-2021 et mi-2023, et de 33 % pour les logements classés F et G. 

La Cour en conclue à raison que de simples objets réglementaires à vocation technique, le DPE s’est transformé en outil politique aux conséquences majeures pour les particuliers et le régime de la propriété sans que les conséquences de cette transformation et de son calendrier de réalisation n’aient été clairement mesurées et souligne les risques d’éviction, même temporaire, de logements du parc locatif.

Ainsi, la Cour rappelle que l’interdiction à la location des passoires énergétiques n’a pas fait l’objet d’une étude d’impact sérieuse : « aucune étude d’impact global préalable n’a été réalisée par l’administration sur les effets de la réforme de la transformation législative du DPE en 2021, au-delà des fiches d’impact produites par la DHUP pour l’adoption de nouvelles mesures réglementaires. Aucune évaluation n’est prévue sur ses conséquences éventuelles sur l’état du parc de logement locatif, sur le marché de l’immobilier ou sur celui de l’assurance ». C’est bien ce que la Fondation IFRAP avait vu en analysant la loi Climat Résilience. 

La Cour nous dit aussi que le législateur français a fait le choix, plus exigeant que dans les autres pays de l’Union européenne, d’assortir la mise en œuvre du DPE d’une « interdiction de louer ». Mais compte tenu des réformes successives, les difficultés rencontrées par les particuliers n’ont pas été suffisamment appréhendées à l’occasion de la mise en œuvre du dispositif, dans un contexte de crise sur le marché du logement (chute des programmes de constructions neuves, hausse des taux des crédits immobiliers, attrition de l’offre locative dans les métropoles, encadrement des loyers, etc.)

Le bilan dressé est donc très grave : on comprend que depuis les ministres ont tenté des aménagements sur une réglementation qui pénalise le marché du logement et renforce la crise qu’il traverse. Mais ne serait-il pas temps de poser la question qui fâche ? Faut-il encore maintenir le DPE.

Des diagnostics à la fiabilité douteuse

La Cour revient aussi sur d’autres aspects du DPE, notamment :

  • Des échéances sur la mise en œuvre du DPE et pour l’indécence des logements qui ont complexifié leur lisibilité.
  • Aucun encadrement au nombre de DPE pouvant être réalisés pour un même bien ni aucune règle quant à la primauté d’un DPE sur un autre, ce qui aurait poussé les particuliers à multiplier les DPE jusqu’à obtenir un DPE satisfaisant.
  • Le manque de fiabilité du DPE a été mis en exergue par plusieurs enquêtes de médias se fondant sur des exemples de mêmes logements ayant obtenu des étiquettes très variables lorsqu’elles étaient calculées par des professionnels différents. Des doutes peuvent être émis au regard des effets de seuil qui semblent apparaître lorsqu’on représente la répartition des DPE réalisés par classe énergétique.

Un DPE oui, mais pour quoi faire ?

  • Les propositions de travaux de rénovation énergétique sont généralement rédigées de façon sommaire, dit la Cour. Fréquemment, il est fait mention d’installer une pompe à chaleur, système électrique qui est loin d’être adapté à toutes les situations.
  • L’agence nationale de l’habitat (Anah) estime que les aides à la rénovation énergétique ne sont pas toujours bien articulées avec les DPE. D’ailleurs, l’Anah privilégie l’audit énergétique plutôt que sur le DPE pour la mise en œuvre des subventions « MaPrimeRénov » (rénovations globales).
  • Cet audit énergétique est obligatoire pour toute vente de logements classés F ou G, toute vente de bâtiment ou partie de bâtiment en monopropriété (maison individuelle ou immeuble) à partir du 1er avril 2023, ainsi que pour toute demande d’aide à la rénovation globale au titre du dispositif « MaPrimeRénov ». D’où la question de la Cour : à quoi sert le DPE pour planifier des travaux de rénovation énergétique ?

D’ailleurs, pour la Cour, il n’y a pas de lien entre classement DPE et travaux de rénovation effectués, et notamment leur ampleur.  En 2023, des chiffres de l’Anah montraient que malgré les travaux de rénovation énergétique entrepris, parfois même avec l’aide d’aides publiques type MPR, les logements initialement classés F ou G n’atteignaient au mieux que la catégorie E, voire restaient avec le même DPE. 

Plus préoccupant, on l’a vu, le DPE est un outil imparfait pour prévoir la consommation d’énergie et les effets sur les émissions de GES :

Une étude publiée par le Conseil d’analyse économique montre que le DPE est un outil imparfait pour estimer la projection de la consommation d’énergie. Selon le CAE, les usagers adaptent leur comportement en fonction de la performance du logement et en fonction d’autres critères socio-démographiques (âge, revenu). Le DPE tend à surestimer la dépense énergétique à partir de la classe D et cela va en s’accentuant à mesure que la classe se dégrade. La dépense est en revanche sous-estimée pour les logements de classe AB. Plus la superficie du logement est grande, plus l’écart s’accroît entre consommation réelle et consommation estimée et moins la progressivité est forte. Si le CAE en conclut, notamment du dernier point, que cela devrait conduire à remettre en cause le mode de calcul unique du DPE à tous les logements pour en faire un indicateur plus fiable, cette étude nous montre surtout que le gouvernement ne devrait pas trop se fier à sa « boussole » pour fixer le cap des politiques publiques du logement.

Amortissement des travaux d’économies d’énergie : des gains de très très longue haleine

Dans un article récent du Parisien, un propriétaire d’un 35 m² à Paris expliquait avoir fait pour 35 000 € de travaux pour passer le DPE de G à C. Un coût de 1000 €/m² proche du calcul établi par une société spécialisée Ithaque dans le diagnostic énergétique (742 €/m² en moyenne). Selon le propriétaire, un bien mal noté aurait pu faire perdre jusqu’à 4% de la valeur du bien. En retenant un prix au m² à Paris de 10 000€ on calcule que la perte de valeur s’établit à 14 000 € environ. Mais ce n’est pas tout : outre le fait que le propriétaire reconnaît que les aides ne sont pas très compréhensibles, il a réalisé après un audit énergétique 1000€ qui lui a recommandé une isolation des murs ce qui lui a fait perdre 3 m² de surface (coût environ 10 000 €) ! Le propriétaire bailleur pense augmenter son loyer mensuel de 80 € supplémentaire par mois. Soit un investissement qui nécessitera plusieurs centaines d’années pour être amorti ! Même pour le locataire, le gain sur une facture d’énergie moyenne n’équilibre pas le coût de l’augmentation de loyer !

De même, le DPE calculé en prenant en compte l'énergie primaire et non l’énergie finale consommée apparait inadapté pour évaluer la qualité thermique d'un logement et favorise sur le marché immobilier des logements chauffés au gaz ou au fioul alors que leurs performances en termes d'émissions de GES sont mauvaises. Sur la base des objectifs climatiques, la prise en compte de l'énergie finale pour l'électricité, comme pour les autres énergies, dans le calcul du DPE devrait être un préalable à la lutte contre les passoires thermiques. Dans une proposition de loi sénatoriale de 2023, les parlementaires montraient que pour deux biens, l’un chauffé au gaz et l’autre à l’électricité, le premier obtient un classement B ou C et le second E, le premier émet 227 g de CO2 par kWh et le second 40 g. Un choix qui conduit paradoxalement à aggraver les émissions de GES (et accessoirement le déficit de notre balance commerciale énergétique).

Les recommandations proposées, comme l’amélioration de l’information publique, l’instauration d’une carte professionnelle pour les diagnostiqueurs, ou la séparation des activités de formation et de certification, visent à répondre aux faiblesses identifiées, notamment les risques de conflits d’intérêts et la nécessité d’un contrôle renforcé. Mais est-ce bien raisonnable ? On le sait ce sont dans les zones tendues, on trouve un grand nombre de logements classés en passoires thermiques. En Île-de-France, 55% du parc locatif est classé E, F ou G. Peut on se permettre un recul de l’offre locative d’une telle ampleur ? Les aménagements mis en œuvre sur les petites surfaces dans le calcul du DPE vont dans le bon sens, mais ce n’est pas suffisant. Il faut mettre sur pause cette réglementation sur l’interdiction de louer et encourager les propriétaires, bailleurs ou non, à des travaux de rénovation énergétique en leur permettant par exemple de déduire leurs travaux de leur taxe foncière.