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Un logement sur deux bientôt interdit à la location en Ile-de-France

Sans travaux de rénovation énergétique, près d’un logement francilien sur deux sera bientôt interdit à la location. Un constat choc qui interroge alors que la tension locative sur le marché du logement francilien reste forte : 730 000 demandeurs en attente d’un logement social en Ile-de-France ; des loyers en moyenne plus élevé que dans le reste de la France tandis que les 25 % de ménages les plus modestes consacrent 32 % de leurs revenus à leurs dépenses en logement en Ile-de-France. Ces chiffres appellent à dresser le bilan des aides à la rénovation énergétique.

«Sans travaux de rénovation énergétique, près d’un logement francilien sur deux bientôt interdit à la location »[1]. Voici le titre choc d’une note de l’Insee parue en octobre dernier. Selon cette étude, en Ile-de-France en 2018, 2,3 millions de résidences ont un diagnostic de performance énergétique (DPE) classé E, F, G soit 45% du parc francilien de résidences principales. Plus particulièrement dans le parc locatif privé, c’est 55% de logements énergivores et dans le parc social, 29%. Au total cela représente plus d’un million de logements qui, avec la loi Climat et résilience, subiront progressivement des interdictions de location.

Plusieurs explications à cela : le parc francilien est majoritairement un parc ancien, construit bien avant les préoccupations thermiques, constitué majoritairement de logements de petite surface plus énergivores, enfin un parc plus urbain avec des contraintes de copropriété et architecturales fortes qui peuvent freiner les travaux. Sur le parc locatif privé classé énergivore : 22% est en G (susceptible d’être retiré de la location dès 2025), 30% en F (2028) et 48% en E (2034). A noter tout de même que la loi Climat et résilience prévoit des exemptions à l’interdiction de louer en cas de contraintes architecturales importantes.

Si on regarde maintenant la question au niveau plus fin du territoire, la carte des logements énergivores du parc locatif privé montre que c’est Paris qui est de loin le territoire le plus concerné, avec 265 000 logements locatifs privés classés E, F ou G, soit les deux tiers du parc locatif privé parisien. On retrouve également une part prépondérante de logements locatifs privés énergivores dans les territoires ruraux, mais là les logements locatifs privés sont peu nombreux en volume. À l’inverse, les logements locatifs énergivores sont moins présents dans les villes où l’urbanisation est plus récente, comme dans les villes nouvelles.

Au niveau des logements en propriété toute l’Ile-de-France est concernée avec des proportions entre 40 et 60% de logements classés en DPE, E F ou G. Effet d’optique puisque toute l’Ile-de-France est concernée, la petite couronne semble moins touchée. L’explication tient au fait que l’on retrouve en grande couronne plus de maisons qui sont plus souvent énergivores. Dernier point important à souligner, qu’il s’agisse de locataires ou de propriétaires occupants les ménages occupant des logements énergivores ont des ressources inférieures au niveau de vie médian.

Les logements énergivores à Paris[2]

À Paris, 308 300 ménages (soit 443 200 locataires) du parc privé louent un logement classé E, F ou G. Certains arrondissements concentrent les logements les plus énergivores : le centre de Paris mais aussi les 10e, 11e et 18e ont plus de 60 % de résidences principales affichant un diagnostic E, F ou G. Ces écarts entre arrondissements peuvent s’expliquer en partie par des différences de structure du parc de logement (taille du logement, année de construction).

Le classement en catégories E, F ou G ne signifie pas nécessairement des dépenses de chauffage plus élevées : en moyenne à Paris, la dépense de chauffage par logement et par habitant est l’une des plus faibles de France. Un Parisien consomme en moyenne environ 5 400 kWh d’énergie finale par an (chauffage, eau chaude, cuisson, éclairage, appareils consommant de l’électricité) contre 6 400 kWh pour un Francilien. Cet écart s’explique par la taille des logements à Paris et par la taille des ménages. Vivant plus souvent seul, les Parisiens peuvent plus facilement réguler les dépenses telles que le chauffage.

La géographie des DPE et des consommations moyennes montre que le DPE est un outil imparfait notamment en ce qui concerne la consommation théorique en fonction des caractéristiques du ménage occupant.

En 2018, de manière générale, il semblerait que les DPE n’aient pas d’influence sur les comportements à l’achat comme à la location : « Dans un contexte de marché tendu où la rareté des biens disponibles limite les choix et restreint les possibilités de négocier les prix, la performance énergétique du logement ne semble pas déterminante, au moins jusqu’en 2019 ».

Les limites de la rénovation énergétique : l’effet rebond

Fort de ce constat la rénovation énergétique semble s’imposer. Il existe toutefois des critiques face à cette politique publique : l’économiste Esther Duflo a mis les pieds dans le plat en citant lors de son cours au collège de France les travaux d’un économiste - Michael Greenstone - qui a évalué des programmes d’efficacité énergétique gratuits aux Etats-Unis[3]. « Sous l’administration Obama, des crédits gratuits avaient été proposés pour la rénovation des logements. Seuls 15 % des gens ont été réceptifs, et à la fin, 7,5 % sont allés jusqu’au bout avec des économies de 20 % à peine sur leurs factures ». Beaucoup d’argent dépensé pour des gains limités et sur peu de ménages.

Une autre étude citée dans Le Monde en 2020[4] a remis en cause les effets a priori positifs de la rénovation énergétique : malgré les milliards investis dans la rénovation énergétique des bâtiments sur une décennie en Allemagne, la consommation énergétique des logements est restée stable. La GdW, fédération allemande de sociétés immobilières, qui représente 6 millions de logements et 13 millions d’habitants, a tiré ce bilan : 340 milliards d’euros ont été investis au total dans la rénovation énergétique des bâtiments entre 2010 et 2018 (changement de fenêtres, nouveaux systèmes de chauffage ou isolement des façades). Pourtant, malgré ces dépenses la consommation est restée stable. C’est l’effet rebond : les occupants profitent du confort d’un logement mieux isolé. Le calibrage des travaux a aussi été critiqué (système de chauffage rénové qui consomment autant que les anciens).

Quelle rentabilité pour les travaux d’efficacité énergétique ?

Au final, la baisse des dépenses de chauffage n’a pas compensé le coût des travaux, mais les rénovations agissent souvent comme un facteur d’augmentation des loyers, souvent disproportionné. Conséquence : ce sont les foyers les plus pauvres qui payent le plus, sans réduction significative des émissions de CO2. Le risque identifié alors en Allemagne était que les populations occupantes soient contraintes sous l’augmentation des loyers consécutives aux travaux de quitter les centres-villes pour aller en banlieue moins chère.

En pratique, les promesses d’économies se concrétisent rarement, sauf dans le cas d’habitants militant pour la baisse de leur consommation d’énergie. Pour les immeubles à chauffage collectif, l’acceptabilité par les habitants de contraintes diminue rapidement avec la taille des immeubles. Une étude de l’Ecole des Mines portant sur 10.000 ménages de 2000 à 2013 constate que 1.000 euros de travaux permettent d’économiser 8,29 euros par an, et ne sont donc pas du tout rentables. Et pour cause, en supposant que le chauffage d’une maison de 100 m² coûte 1.800 euros par an, et que des travaux de rénovation complète coûtent 600 euros / m², donc 60.000 euros. Si les travaux réduisent la facture de 33%, donc de 600 euros par an, il faudra 100 ans pour équilibrer cette dépense.

L’effet sur la mise en vente des logements en location

Dans des villes comme Paris, entre l’encadrement des loyers (à la relocation), le blocage des loyers (moins que l’inflation), l’augmentation du prix des travaux sous l’effet là encore de l’inflation (main d’œuvre et prix des matières premières) cumulé aux nouvelles normes, les bailleurs excluent de faire les moindres travaux et préfèrent vendre leur bien. Cet effet est d’autant plus important que les bailleurs institutionnels se sont retirés du marché locatif et celui-ci est donc majoritairement gérés par de petits propriétaires privés qui peuvent difficilement amortir le coût des travaux (des travaux de rénovation globale supposent des logements vides ce qui privent les bailleurs de loyers).

On constate en effet une accélération des mises en vente des logements énergivores : le portail immobilier SeLoger[5], qui vient de publier une étude sur le sujet montre ainsi que les passoires thermiques pèsent désormais près de 20% du stock de biens en vente (19,2% exactement), soit près du double de ce que l’on observait en 2020 (11,2%). Ce phénomène s’il est massif pourrait avoir un effet sur les prix (un mauvais DPE étant un argument de négociation) mais l’effet serait tout de même marginal sur la valeur absolue des biens sur la région parisienne.

Le Sénat lance une commission d’enquête

C’est dans ce contexte que le Sénat a lancé une commission d’enquête à l’initiative du groupe EELV pour évaluer l’efficacité des politiques publiques[6]. Chaque année, quatre à sept milliards d’euros d’argent public sont fléchés vers la rénovation thermique des bâtiments et le secteur du bâtiment est responsable de 17% des émissions de gaz à effet de serre en France. De tous les secteurs économiques, c’est le plus gros consommateur d’énergie (45%), juste devant celui des transports (44%). La commission d’enquête sénatoriale a procédé à l’audition des anciennes ministres en charge du sujet.

Pour Cécile Duflot, c’est “le morcellement des acteurs en charge des dossiers” et la complexité qui expliquent la “sous-consommation massive” des financements dédiés à la rénovation thermique. Pour Emmanuelle Cosse, c’est l’absence d’un “partenaire bancaire de la rénovation” qui explique l’insuffisance des travaux, notamment pour les particuliers qui n’ont pas les moyens d’engager des rénovations lourdes. Elle souligne également que l’ANAH, agence nationale de l’habitat fait un très bon travail mais ne bénéficie pas de moyens dédiés pluriannuels qui lui permettent de s’engager plus. Même constat pour Sylvia Pinel qui insiste sur le reste à charge qui constitue un frein aux rénovations globales. L’équilibre financier pour mener des travaux d’ampleur est d’autant plus difficile à trouver pour les copropriétés, qui nécessitent des “moyens considérables”. Le régime des copropriétés, et pas seulement les dégradées, est souvent pointée du doigt comme un frein à la rénovation thermique.

Autre difficulté qui explique le résultat mitigé des mesures mises en place, la certification des professionnels : « il faut faire monter en gamme un certain nombre d’artisans » souligne Sylvia Pinel. Idem pour Emmanuelle Wargon, pour qui “il n’y pas suffisamment d’artisans qualifiés Reconnu Garant de l’Environnement”. D’où le constat de Barbara Pompili : “Mon accompagnateur Rénov” est “une mesure phare de la loi Climat-Résilience” qui doit permettre de se retrouver dans ce maquis des aides.

L’objectif reste 700 000 logements rénovés par an contre 500 000 aujourd’hui mais avec une très faible part de rénovations globales (10%). A titre d’exemple, l’observatoire CoachCopro (plateforme nationale développée par l’Agence parisienne du climat) a recensé les étiquettes « énergie » de 130 000 copropriétés rénovées énergétiquement. Seulement 7 % présentaient une étiquette F ou G avant travaux, et seulement un quart une étiquette E, ce qui représente une part bien moins importante que leur poids dans le parc de logements. Autre enquête menée en 2017 pour le compte de l’Ademe, l’enquête TREMI (Travaux de rénovation énergétique des maisons individuelles) conclue que 75 % des travaux intégrant un volet énergétique n’avaient pas permis d’améliorer la classe énergétique de la maison.[7]

C’est aussi le constat qu’a dressé la Cour des comptes dans un référé à l’attention de la Première Ministre : « peu d’aides sont attribuées au vu d’un audit [sur] la performance énergétique du bâtiment avant rénovation », les bénéficiaires sont rarement accompagnés, et il n’y a pas d’étude d’impact sur la réalisation des travaux ni sur l’effet rebond de la consommation des habitants ». « Les consommateurs sollicitent essentiellement des aides en faveur de gestes isolés de rénovation » et les résultats « limités en termes de performance énergétique » laissent craindre l’appel à « de nouvelles aides publiques pour atteindre les objectifs climatiques et énergétiques ». La faute notamment à la manière de mesurer les résultats de cette politique, « le plus souvent par le nombre de logements rénovés et les dépenses publiques consenties, plutôt que par les quantités d’énergie économisée et d’émissions de gaz à effet de serre évitées, dont l’évaluation est insuffisante ou inexistante ».

L’objectif quantitatif du nombre de logements rénovés reste un marqueur important : les candidats à la présidentielle s’étaient pour la plupart engagés à soutenir des rénovations thermiques (700 000 pour Emmanuel Macron, 800 000 pour Yannick Jadot, tous les logements pour Jean Luc Mélenchon ou Philippe Poutou !) C’est oublier que les aides au logement représentent déjà 38 milliards d’euros par an de dépenses publiques, ce qui place la France parmi les pays qui dépense le plus dans ce domaine.


[1] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6541392

[2] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6458354

[3] https://www.lopinion.fr/economie/esther-duflo-eparpille-la-renovation-thermique-facon-puzzle

[4] https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/10/04/en-allemagne-les-renovations-energetiques-des-batiments-n-ont-pas-fait-baisser-la-consommation_6054715_3234.html

[5] https://immobilier.lefigaro.fr/article/dpe-l-impact-sur-les-prix-de-l-immobilier-va-se-renforcer_d9bd889a-a187-11ed-9b60-31e9cf0edc26/

[6] https://www.lagazettedescommunes.com/852795/renovation-energetique-les-fragilites-dune-politique-publique-passees-au-crible-par-le-senat/

[7] https://www.institutparisregion.fr/nos-travaux/publications/sans-travaux-de-renovation-energetique-pres-dun-logement-francilien-sur-deux-bientot-interdit-a-la-location/