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Passoires thermiques : la méthode d'évaluation actuelle favoriserait les logements chauffés au gaz et au fioul ?

Le DPE calculé en prenant en compte l'énergie primaire et non l’énergie finale consommée apparait injustifié et inadapté pour évaluer la qualité thermique d'un logement et favorise sur le marché immobilier des logements chauffés au gaz ou au fioul alors que leurs performances en termes d'émissions de GES sont mauvaises. Sur la base des objectifs climatiques, la prise en compte de l'énergie finale pour l'électricité, comme pour les autres énergies, dans le calcul du DPE devrait être un préalable à la lutte contre les passoires thermiques.

Le calendrier qui s’applique aux passoires thermiques va progressivement interdire à la location les logements affichant un DPE noté G, puis F et ensuite E selon l’échéancier suivant :

  • la classe F à compter du 1er janvier 2025 (interdiction des logements notés G) ;

  • la classe E à compter du 1er janvier 2028 (interdiction des logements notés G ou F) ;

  • la classe D à compter du 1er janvier 2034 (interdiction des logements notés G, F ou E).

Selon la dernière publication de l’Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE), 4,75 millions de logements parmi les 30 millions de résidences principales au 1er janvier 2023 sont des passoires thermiques classés F ou G. Les logements classés E représentent environ 20% du parc soit 6 millions de logements. Si on se restreint au marché de la location, 1,8 million de logements sont des passoires (classés F ou G). Et si on regarde les logements classés E, on peut les estimer à 2,4 millions. Ce sont au total 4,2 millions de logements qui seraient progressivement retirer du marché de la location soit environ un tiers du parc locatif (13,2 millions de logements privés et sociaux). 

Même s’il est prévu des exceptions à l’obligation d’effectuer des travaux et si la réglementation s’applique progressivement au fur et à mesure des renouvellements de baux, on mesure l’impact de ce calendrier sur le marché immobilier particulièrement dans les zones de tensions immobilières (taux de passoires élevé, 29 % en zone A bis - Paris et petite couronne). Il faut dire que le calcul du DPE par m² désavantage les petites surfaces beaucoup plus présentes dans les centres urbains, en particulier Paris.

Depuis 2006, le DPE renseigne sur la performance énergétique d’un logement ou d’un bâtiment, en évaluant sa consommation d’énergie. Il est devenu le principal outil d’incitation à la rénovation énergétique dans le cadre de la politique définie au niveau européen afin de réduire la consommation d’énergie des bâtiments et de limiter les émissions de gaz à effet de serre.

Les modalités d’établissement du DPE sont réglementées et ont été modifiées en 2021. Auparavant basé sur factures de consommation, il était très critiqué, son étiquette pouvant varier en fonction des usages des habitants des lieux. Il a depuis été remplacé par une méthode plus simple et en apparence plus objective : l’étiquette énergétique (A, B, C, D, E, F et G) est désormais calculée en fonction de deux facteurs : la consommation d’énergie primaire et les émissions de gaz à effet de serre rapportées à la surface. Les seuils de chaque classe énergétique sont des « doubles seuils », un logement étant classé selon sa plus mauvaise performance, en énergie primaire ou en gaz à effet de serre. 

Le DPE décrit le logement (surface, orientation, matériaux des murs, des fenêtres, etc.) ainsi que ses équipements de chauffage, de production d’eau chaude sanitaire, de refroidissement et de ventilation. Les usages électriques pour l’éclairage et les auxiliaires sont également pris en compte et définit en fonction de ses caractéristiques sa consommation d’énergie primaire par m² et ses émissions de GES, indépendamment de l’occupation des lieux. Les logements classés A et B sont qualifiés de peu énergivores, alors que les logements F et G sont qualifiés de passoires énergétiques. La lecture du DPE est facilitée par un système d’étiquettes.

La différence énergie primaire / énergie finale joue un rôle primordial dans la définition du DPE :  l’énergie primaire est l'énergie à l'état brut avant transformation. L’énergie finale correspond à l’énergie disponible à la consommation. Pour produire de l’électricité, des énergies primaires sont utilisées avec des pertes associées. Il y a alors une différence entre consommation d’énergie primaire et finale d'électricité (reflétant la quantité d'énergie primaire pour produire un kWh d'électricité) par l’application d’un coefficient de conversion, initialement de 2,58, ramené à 2,3. Pour les autres énergies, on considère les consommations d’énergie primaire et finale identiques. Le paradoxe c’est que l’électricité qui est promue dans notre vie courante pour remplacer l’usage des énergies fossiles, se retrouve pénalisée par l’usage du coefficient d’énergie primaire. Cette situation est d’autant plus paradoxale que dans la présentation des mesures en faveur de la planification écologique, il est clairement dit que la rénovation énergétique a pour objectif de diminuer les chauffages au fioul ou au gaz qui pourtant, dans le calcul du DPE, bénéficieront d’un meilleur coefficient de conversion. 

Témoignage d'un locataire parisien :

"Locataire à Paris, je n’aurai jamais loué de logement F ou G électrique car je les pensais trop coûteux financièrement. Et puis un jour, j'ai loué un logement classé G (460 kWh/m2.an). Quand j’ai reçu, les factures, je me suis aperçu que je consommais 2 fois moins que ce que le DPE prévoyait (200 kWh/m2.an). En cause, le coefficient 2,30 qui pénalise les chauffages électriques et transforme artificiellement des logements au mode de chauffage décarboné en logements indécents (passoires thermiques). Si mon chauffage utilisait une énergie fossile, le coefficient de 2,3 ne serait pas appliqué ; mon logement serait considéré vertueux ! Incompréhensible si nous voulons sauver le climat.

De plus, un logement classé F avec un chauffage électrique, apporte du pouvoir d'achat au locataire, car il a une consommation réelle d’un logement classé C. C’est un gros avantage pour le locataire. 
Mais bientôt, ces logements (pourtant réducteurs des émissions de gaz à effet de serre) seront interdits à la location (puis retirés du marché locatif). Les locataires vont être totalement spoliés. C’est une injustice pour les locataires, de voir ces logements disparaître du marché locatif.

Le coefficient de 2,30 est ignoré des responsables politiques et des locataires. Il faut divulguer ces informations aux locataires. Pour protéger les locataires (mais aussi les propriétaires), le coefficient de 2,30 sur le chauffage électrique doit être supprimé (il l’a été sur les autres modes de chauffage) dans le calcul des consommations énergétiques des DPE".

D’où vient le concept de coefficient de conversion ?

Comme l’explique Le monde de l’énergie, cette notion a été initiée en 1972 pour "permettre la comparaison entre les différentes énergies et dresser la balance énergétique nationale". À ce moment, il faut savoir que l’électricité était essentiellement produite à partir d’énergies fossiles. Le coefficient a été appliqué "pour comparer la part de l’électricité par rapport aux autres énergies, il fut décidé de lui donner une correspondance en TEP (tonne d’équivalent pétrole) fixée par convention à 2,58″. Une approche qui était rationnelle dans les années 1970 où il y avait une pénurie d’énergies fossiles mais qui ne l’est plus aujourd’hui dans la mesure où notre électricité n’a jamais été aussi propre, elle est décarbonée à hauteur de 87% et émet beaucoup moins de gaz à effet de serre (source RTE).

Les partisans du maintien de ce coefficient, comme l’association négaWatt, considèrent au contraire que le coefficient de conversion de l’électricité est sous-évalué et « minimisé » en France, alors qu’il devrait s’approcher de 3, compte tenu des pertes de notre production d’électricité. Leur position est qu’il faut faire le rapport de toute énergie primaire utilisée annuellement pour produire la totalité d’électricité. De plus, l’association estime que ce coefficient est justifié dans la mesure où, s’il n’existait pas, cela contribuerait à favoriser des solutions électriques pas chères mais peu efficaces. A ces arguments on peut opposer qu’entre temps les réglementations environnementales dans le bâtiment ont peu à peu exclus les solutions les moins performantes de la construction neuve. De plus, la consommation d’énergie (primaire ou finale) est bien plus efficacement limitée par le prix que par l’application d’un coefficient de conversion qui est un « contresens écologique », surtout quand on note que le coefficient de conversion affecté au gaz naturel et au bois est quant à lui de 1.

Une proposition de loi pour un calcul plus favorable à l’électricité

Deux sénateurs du parti Les Républicains, Sylviane Noël et Cyril Pellevat ont déposé une proposition de loi pour supprimer le coefficient de 2,3. L’exposé des motifs rappelle que sur deux logements, l’un chauffé au gaz et l’autre à l’électricité, le premier obtient un classement B ou C et le second E, le premier émet 227 g de CO2 par kWh et le second 40 g. En tout, cela concernerait « 8,5 millions de logements » classés E, F ou G. La proposition de loi rappelle aussi que le propriétaire d’un logement classé F devra engager des travaux importants de l'ordre de 30 000 à 40 000 euros au mieux pour passer E pour un gain de consommation réel établit à 30 %, ceci sans gain réel perceptible d'émissions de CO2. Enfin, ce choix conduit paradoxalement à aggraver le déficit de notre balance commerciale.