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Impôt à 75% : la tentation de l'exil fiscal

Ouf, les hommes du foot s'y mettent. Et, enfin, on comprend que l'idée de taxer à 75% sur le revenu les contribuables qui déclarent plus de 1 million d'euros par an est confiscatoire et coûtera plus à la France que cela ne lui (nous) rapportera. On pourrait déplorer qu'il faille que les sportifs s'y mettent et crient au scandale pour que les arguments des entrepreneurs fassent mouche… Mais finalement, il faut s'en réjouir, encore un paradoxe cher à la France.

Entre IR, ISF et taxes locales, sans parler de la CSG, les contribuables en question, même s'ils sont peu nombreux (entre 300 et 5.800 selon les estimations diverses), seront clairement au-delà des 85% d'imposition de leurs revenus, voire à 100% dans certains cas.

Nous avons fait la simulation suivante : pour un célibataire déclarant 2 millions d'euros de revenus et qui paie aujourd'hui -s'il n'utilise pas de niches fiscales [1]- 788.000 euros d'impôts sur le revenu, le montant de l'impôt sur le revenu serait, avec la proposition de François Hollande, de 1.152.100,5 euros, et ce sans compter l'impôt sur la fortune qui serait (avec la proposition de François Hollande de revenir à l'ancien barème), vraisemblablement, selon la situation de patrimoine du contribuable, entre 50.000 et 300.000 euros.

Difficile d'évaluer exactement ce qui resterait à notre contribuable de ses revenus de l'année, mais ce serait vraisemblablement entre 20% et 0% de son revenu. On comprend que le chemin de l'exil fiscal n'en finisse plus de compter des pèlerins et que les téléphones en Suisse et en Belgique n'en finissent plus de sonner. Ceux qui sont favorables à la confiscation des revenus des plus riches clament que 75% serait un taux qui aurait déjà été atteint en France sur les hauts revenus, voire au-delà… Peut-être ne sommes-nous pas obligés de recommencer toujours les mêmes erreurs ? Surtout qu'à l'époque (en 1920), les revenus visés n'étaient pas soumis aux contraintes actuelles en matière de prélèvements sociaux.

Si cette mesure des 75% permettait de réduire le déficit de la France, cela aurait au moins un mérite mais tous les experts fiscalistes qui se sont penchés sur la question évoquent que le maximum que l'on pourrait tirer de cette nouvelle tranche à l'IR serait entre 150 et 250 millions d'euros bruts (hors coût administratif de collecte). En réalité, nous pensons que, dans ce cas, la loi de Laffer jouera à plein et que l'État perdra plus qu'il ne gagnera dans l'affaire.

Deux questions de fond restent en suspens -c'est vrai qu'il est difficile de poser des questions de fond en période électorale mais risquons-nous tout de même à cet exercice :

  • 1-Si tous nos riches quittent la France, qui va créer les emplois ?
  • 2-Si tous nos riches quittent la France, qui va payer leurs impôts ?

Un petit rappel : les 0,1% les plus riches paient -tous impôts confondus- 30 milliards d'impôts par an, les 0,01 paient 11 milliards d'euros d'impôts. S'ils ne sont plus là demain pour payer ces impôts, il faudra bien que d'autres contribuables -nous en passant- les paient à leur place et le caractère confiscatoire de la fiscalité se déplacera du haut vers le bas de la société. Peut-être le candidat Hollande a-t-il trouvé des volontaires pour payer les impôts des riches entrepreneurs, dirigeants talentueux, acteurs oscarisés et sportifs qui seront partis [2] ? Pourtant, il ne semble pas que ces volontaires soient du côté des collectionneurs d'œuvres d'art qui ont été récemment rassurés par ce même candidat : qu'ils n'aient crainte, leurs trésors continueront d'être exonérés d'ISF… Et comme il ne semble pas que les dépenses publiques soient réellement amenées à baisser, il faudra bien que les contribuables qui restent paient. Grâce au projet évoqué, et comme on le constate au premier coup d'œil dans le graphique ci-dessous, la France deviendrait le « pays le plus taxé d'Europe ».

Le graphique ci-contre permet de mettre en évidence les taux marginaux et intermédiaires de l'ensemble des grands pays européens. Nous voyons en rose que le niveau proposé par le candidat socialiste nous placerait à la tête du palmarès européen. Loin devant l'Espagne ou les Pays-Bas (52%), et le Royaume-Uni et le Belgique (50%). Nous deviendrions également le grand pays avec le plus grand nombre de tranches d'impositions à l'IR (pas moins de 6 et même 7 pour la première tranche non imposée), tandis que l'Allemagne n'en a que 3 (ou 4 avec la première tranche).

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[(Note de lecture : Le graphique montre les taux applicables aux tranches d'imposition à l'IR dans certains pays d'Europe. Les taux sont marginaux et non effectifs, et les tranches initiales lorsqu'elles ne se voient pas appliquer un taux particulier au premier euro ne sont pas indiquées. Par ailleurs, le graphique ne tient pas compte des abattements, crédits d'impôts divers dont peuvent bénéficier les contribuables individuellement. Le tableau ne prend pas non plus en compte la conjugalisation ou l'individualisation des choix d'imposition. Ce schéma ne fait bien entendu pas figurer les montants de CSG ou leur équivalent prélevés à la source et qui frappent également le revenu.)]

Pour finir un principe : peut-on concevoir qu'une personne doive donner l'intégralité ou la quasi-intégralité de ses revenus à la collectivité ? Le Conseil Constitutionnel a déjà reconnu dans sa décision du 29 décembre 2005 que la constitutionnalité de la contribution commune ne « serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ». Si jamais par malheur -nous ne le croyons pas- cette mesure venait à être votée, il est clair qu'il deviendrait urgent de poser une question prioritaire de constitutionnalité. Tout porte à croire que cela sera quasi automatique. En attendant, certains font leurs valises et c'est bien triste pour notre pays.

[1] Rappelons que les niches fiscales ont été votées par le législateur pour aiguiller des investissements vers des secteurs stratégiques de notre économie. Si ce n'est pas le cas, elles n'ont pas lieu d'être mais c'est un autre débat.

[2] Avec à la clé les inévitables créations de niches fiscales, naturellement hors plafond qui devront permettre de protéger les cibles les plus médiatiques et mobiles. Une mauvaise disposition deviendrait alors créatrice d'une mauvaise niche visant à en corriger les effets. Ce qui montre au passage le drame des niches fiscales françaises.