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Chèque carburant, l’incohérence suprême de la fiscalité énergétique

Pour tenter de calmer la grogne sur le prix des carburants, voici que le gouvernement lance l’idée de généraliser, à la charge des régions, le chèque carburant qui existe depuis deux ans dans la région Hauts de France, et rendre cette aide non imposable. C’est la dernière des incohérences qui met en exergue l’impuissance d’un Etat qui ne dispose (en partie par choix) d’aucune marge de manœuvre fiscale face à la grogne des Français – compte tenu, encore une fois, du niveau de dépenses publiques qu’il lui faut financer.

Qu’est-ce que le chèque carburant ? Il s’agit, dans le modèle de la région Hauts de France actuel, impulsé par Xavier Bertrand, d’une somme de 20 euros par mois accordée sous condition de ressources par la région aux salariés domiciliés à un minimum de 30 km de leur lieu de travail, à condition qu’ils ne disposent pas de transport en commun – ou que leurs horaires de travail ne permettent pas de les utiliser, et à condition que leur salaire net soit au plus égal à deux fois le smic. Cette aide n'est pas cumulable avec le remboursement par l'employeur de dépenses de transports collectifs, ni avec la mise à disposition par l'employeur d'un véhicule pour les trajets domicile-travail. Enfin, les bénéficiaires sont uniquement les salariés… et les fonctionnaires.

Le chef de l’Etat entend généraliser cette aide et la rendre non imposable. L’idée est pétrie de contradictions et d’incohérences.

C’est d’abord la reconnaissance de la nécessité d’utiliser l’automobile, parce qu’il n’existe pas de moyen de transport alternatif. Dans ce cas, les taxes que le chèque en question est censé rendre plus supportables sont sans effet sur la transition énergétique, puisque le principe censé être « pigouvien » de ces taxes est d’inciter à diminuer la consommation de carburants, ce qui est impossible dans les circonstances actuelles : le « signal prix » ne sert donc à rien. Comme on le relève généralement, il s’agit en réalité de taxes de nature purement budgétaire.

Le montant mensuel de 20 euros, soit un quart de réservoir d’automobile, ne correspond d’ailleurs, ni à ce que peut coûter la consommation d’un mois – et c’est normal, ni à ce que coûtent les augmentations de taxes - c’est très supérieur. Il n’y a en vérité pas de rapport entre la motivation de Xavier Bertrand, purement axée sur le pouvoir d’achat, et les augmentations de la fiscalité, qui ne peuvent donc pas justifier de copier ce qu’a fait ce dernier dans sa région.

C’est ensuite créer plusieurs discriminations inéquitables : pourquoi seulement les salariés et les fonctionnaires ? Et les travailleurs indépendants, artisans, médecins, qui courent la campagne bien plus que les salariés et sont au forfait fiscal qui leur interdit de déduire leurs frais réels ? Et les retraités ? etc.

La seconde discrimination concerne le montant du salaire maximum (ici, deux fois le smic). C’est devenu une habitude de multiplier les impôts négatifs pour les diverses strates de la population dite modeste (ainsi, la PPE autrefois, la prime d’activité maintenant, et toutes les exonérations et niches fiscales sous condition de ressources). Dans le domaine touchant à la transition énergétique, nous avons, pour les foyers très modestes, le chèque énergie maintenant généralisé (ex-tarifs sociaux du gaz et de l’électricité), distribué sous condition de ressources, d’une moyenne de 150 euros que le gouvernement veut porter à 200 euros en 2019. Il faudrait donc encore y ajouter le chèque carburant pour les seuls salariés et fonctionnaires sous des conditions de ressources différentes.

On crée ainsi des taxes prétendûment écologiques que tous acquittent, puis on en exonère une partie de la population, mais il faut compenser la perte de ressources fiscales qui en résulte et on augmente en catimini les impôts dont les payeurs finissent par subir la double peine. Il y avait la fiscalité-redistribution, on passe maintenant au couple fiscalité punitive-compassion.

En l’occurrence, le chèque carburant serait à la charge, non pas de l’Etat comme il serait normal, mais des régions, ou même des entreprises. Actuellement, le chèque carburant est en effet dépendant d’accords d’entreprises volontaires, ce que l’Etat voudrait bien généraliser autoritairement à charge des régions ou des entreprises pour les financer. L’Etat accorderait en contrepartie généreusement la non-imposabilité de l’aide, laquelle bénéficie le plus souvent à des salariés non imposables.

On atteint l’absurde. Bien évidemment, les régions, comme les entreprises, se refusent (pour le moment) à entrer en négociation avec l’Etat à ce sujet, estimant à juste titre qu’elles n’ont pas à supporter la charge d’exonérations décidées par l’Etat au titre de la solidarité nationale, d’autant plus qu’il s’agit de compenser une moindre rentrée fiscale aussi décidée par l’Etat. Et aussi d’autant plus que les entreprises ont déjà la charge, très lourde et en augmentation constante, du versement transport et du remboursement à leurs salariés de la moitié de leurs dépenses de transport collectif, et qu’ils vont enfin subir la fin du taux réduit de la TICPE sur le gazole non routier. L’incohérence des prétentions de l’Etat saute enfin aux yeux quand on évoque la future loi PACTE, censée diminuer les charges des entreprises.

Le chèque carburant est enfin une nouvelle usine à gaz, pour aboutir à une distribution de 20 euros. Qui va se charger de vérifier la juste application des critères de distribution ? Les entreprises sous leur responsabilité (comme pour la retenue à la source) ? L’Etat qui devra embaucher des cohortes de vérificateurs ? Le chef de l’Etat argumente qu’il préfère taxer le carburant plutôt que le travail. Mais quel est le rapport, si la taxation du carburant a vraiment une motivation écologique ? Et de toutes façons en taxant le premier on taxera aussi le second.

Quant à l’application des critères, cela donnera lieu bien entendu à détournements et fraudes, et en tout cas à d’interminables contestations : appréciation de la distance de 30 km, non-disponibilité de transports en commun… sans compter le problème de l’application dans le temps (défaut de contemporanéité entre les ressources prises en considération (référence) et la date de versement des aides).

Comment comprendre ces jeux de bonneteau fiscaux ? Comment saisir les objectifs du gouvernement, qui incite à acheter des automobiles diesel pour revenir brutalement à l’essence ou même à l’électricité, alors que l’essence est au moins aussi néfaste pour la planète (moins de particules mais plus de CO2) ? Comment comprendre les incitations à renouveler notre parc automobile, même avec des véhicules anciens d’occasion ?  

Nous sommes toujours en hyperfiscalité, et les Français y sont devenus extrêmement sensibles, plus qu’à toute autre chose si l’on en croit les sondages récents. Dès lors n’importe quelle augmentation d’impôt, quelle qu’en soit la motivation, est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Il est à ce sujet plus que surprenant que l’Etat, sous la direction à l’époque de Nicolas Hulot, ait prévu d’augmenter encore les taxes sur le carburant de 9 milliards d’ici 2022 (+12,3 milliards depuis 2017).

L’Etat ne dispose d’aucune marge de manœuvre, et doit compenser toute baisse d’impôt par une augmentation. Les Français bénéficient incontestablement de baisses de la fiscalité, mais ils ne voient que l’augmentation qui vient en compensation, et cela suffit à attiser leur colère.

Et comment se fait-il que l’Etat ne dispose d’aucune marge de manœuvre ? Parce qu’il doit faire face au financement de dépenses publiques qui sont toujours au niveau inégalé de 56% du PIB… Ce niveau est le premier maillon de la chaîne qu’il faut briser.