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CADES : le mirage de la fin de la dette sociale

La crise du Covid 19 oblige les pouvoirs publics à réagir dans l’urgence pour financer la dette sociale colossale qui s’annonce. En effet, on parle aujourd'hui d'un déficit de la Sécurité sociale de 52,2 milliards d'euros pour 2020 contre 41 milliards d'euros fin avril, ce qui devrait faire dériver dans les mêmes proportions la dette sociale. Il est loin le temps où l'on daubait sur l'extinction de la dette sociale. Le gouvernement vient de calibrer un scénario de reprise de dette de la Sécurité sociale (ACOSS) par la CADES (hébergée par la Caisse des dépôts et consignations), mais il est problable que le dispositif que vont examiner les parlementaires soit déjà dépassé au moment de son examen dans les jours qui viennent (projet de loi organique et projet de loi simple). Ainsi deux avant-projets de loi ont été transmis pour avis aux partenaires sociaux avant leur transmission au Conseil d’Etat. Celui-ci a finalement répondu et assez vertement : dans cet avis, les magistrats critiquent la transformation de la CADES de structure d'amortissement en structure de financement "sans affectation de ressources supplémentaires" pointent le risque de qualification du dispositif envisagé par la Commission européenne d'aide d'Etat à certaines entreprises chargées d'un service d'intérêt économique général ; ils soulignent enfin que la couverture envisagée par la CADES des emprunts hospitaliers publics porte atteinte aux intérêts des hopitaux privés et notamment d'intérêts collectifs, ce qui constitue une différence de traitement caractérisée. Les débats vont donc être nourris au Parlement. Il s’agit d’un projet de loi organique et d’un projet de loi ordinaire relatifs à la dette sociale et à l'autonomie. Ces deux vecteurs législatifs ont deux buts :

  • Le premier, repousser la date d’extinction de la CADES au-delà de 2024 (date théorique d’extinction) pour la porter au 31 décembre 2033 (+9 ans) ;
  • Le second, trouver les premières pistes de financement d’une cinquième branche de la Sécurité sociale afin de couvrir la prise en charge du risque « dépendance », bref du grand âge.

A cette fin, de nouveaux transferts de dette entre l’ACOSS et la CADES sont envisagés à hauteur de 136 milliards d’euros. Le projet de loi organique vise à permettre à « la CADES de s’endetter dès aujourd’hui sur l’étendue de sa durée de vie résiduelle et de bénéficier ainsi des conditions de financement actuelles à long terme. » Si les deux projets de loi sont votés en l’état, la CADES va pouvoir faire « exploser » son plafond d’endettement actuel afin de souscrire dès 2020-2021 les emprunts nécessaires pour amortir la dette qui lui sera transmise progressivement. Celle-ci serait composée :

  • De 31 milliards de déficits cumulés non repris au 31 décembre 2019 issus de la branche maladie du régime général (16,2 milliards), du Fonds de solidarité vieillesse (9,9 milliards), de la branche vieillesse du régime des non-salariés agricoles (3,5 milliards d’euros), ainsi que de la CNRACL (1,2 milliards d’euros) ;
  • De 92 milliards au titre des déficits futurs du régime général (branches maladie, vieillesse et famille) du FSV et de la branche vieillesse du régime des non-salariés agricoles. Cette couverture permettant à la direction de la santé d’ouvrir les crédits nécessaires à l’investissement dans les établissements de santé décidés par le gouvernement dans le cadre de la future loi issue du « Ségur » de la santé ;
  • 7 milliards d’autres dépenses (sans doute des frais financiers nouveaux et des intérêts d’emprunt).

Par ailleurs, à compter de 2024, les recettes affectées à la CADES devraient baisser. En effet, 0,15 point de CSG soit 2,3 milliards/an seront affectés à la caisse nationale pour l’autonomie (CNSA) afin de financer le 5ème risque de la « dépendance ». Une somme très en retrait par rapport au rapport Libault qui chiffrait en 2019 les sommes nécessaires à +6,2 milliards/an jusqu’en 2024 et +9,2 milliards/an à compter de 2030.

Ces ajustements techniques donnent l’impression d’une certaine fuite en avant. On estimait jusqu'à aujourd’hui que le déficit du régime général et du FSV (qui finance les cotisations retraite des chômeurs et du minimum vieillesse) devaient atteindre -41 milliards d’euros en 2020 (contre -5,4 milliards avant crise) et que la dette de l’UNEDIC devrait atteindre les 50-60 milliards d’euros à cause de la massivité du chômage partiel. Mais la situation va certainement être pire (52,2 milliards de déficit viennent d'être annoncés (voir supra)). Le transfert à la CADES de la dette de l’ACOSS est une opération intéressante sur le plan comptable, en effet l’amortissement de la dette n’est pas considéré comme une dépense publique. Du coup le solde de la CADES apparaîtra toujours excédentaire puisque seules les recettes affectées diminuées de la charge des intérêts apparaissent au compte. La jonction opérationnelle de la CADES avec l’Agence France Trésor (septembre 2017) et la mutualisation de leur Trésorerie (2019) devrait permettre de se refinancer aux meilleures conditions sur les marchés. Mais comme toujours le mécanisme des vases communiquants marche à plein.

Pour la Fondation iFRAP l’adjonction du risque « dépendance » n’était pas une priorité (même si pour l'instant il s'agit d'individualiser deux sous-objectifs de l'ONDAM : "contributions de l'Assurance maladie aux dépenses en établissement et serivces pour personnes âges" et "ONDAM médico-social"). Celui-ci devrait rallonger la durée d’amortissement de la dette sociale par soustraction annuelle de 2,3 milliards d’euros, soit un montant voisin de celui que verse à la CADES le FRR (fonds de réserve des retraites) pour 2,1 milliards d’euros. Cette opération n'est pas illégitime mais le Conseil d'Etat à raison souligne le risque constitutif d'aide d'Etat au sens de la réglementation européenne sur les enrtreprises chargées d'un service d'intérêt général, et par ailleurs l'opération risque de violer la jurispridence du Conseil constitutionnel qui impose que la prise en charge de dettes nouvelles par la CADES ne peut se faire qu'au moyen de ressources supplémentaires qui ne peuvent dégrader le solde financier des branches de la Sécurité sociale. Or pour le moment le seul gage envisagé est constitué par l'allongement de la durée d'amortissement (du 31 décembre 2024 au 31 décembre 2033).

Par ailleurs la CADES va reprendre à son compte la couverture des déficits induits par une partie de l’investissement que les pouvoirs publics veulent lancer pour l’hôpital public. Sauf que, là encore, souligne le Conseil d'Etat, il y a un risque de méconnaître le principe d'égalité puisque le soutien apporté à l'hôpital public ne l'est pas aux structures privées non lucratives (ESPIC). Une situation qui l’instrumentalise et la fait sortir de son rôle d’amortissement strict de la dette sociale. Même sur fond d'urgence, le législateur devrait y être sensible.