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Budget européen : les pays de l'UE en désaccord

Vendredi dernier, les dirigeants européens n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur un projet de nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2014-2020. Plusieurs contributeurs nets, dont l'Allemagne et le Royaume-Uni, ont exigé 30 milliards d'euros de coupes supplémentaires sur le budget européen et un effort symbolique sur les dépenses de personnels européens (qui représentent 9 milliards d'euros annuels en moyenne sur la période) par rapport à la proposition de compromis d'Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, qui prévoyait 972 milliards d'euros en engagements.

Un nouveau sommet européen sera convoqué au début de l'année 2013, mais sa date n'a pas encore été fixée. Herman Van Rompuy devrait en effet proposer d'organiser un sommet extraordinaire en janvier ou de modifier l'ordre du jour du sommet déjà convoqué pour les 7 et 8 février.

Pour rappel, à la base, le budget demandé par la Commission était de 1.025 milliards d'euros, soit 1,05% du revenu national brut (RNB) européen [1] (le CFP pour la période 2007-2013 était de 976 milliards d'euros, soit 1,12% du RNB européen). David Cameron, le Premier ministre anglais, a exigé 200 milliards d'économies par rapport à cette proposition (ce qui correspondrait à un gel des paiements par rapport à la période 2007-2013). Angela Merkel, la Chancelière allemande et François Hollande plaidaient plutôt pour une diminution de l'ordre de 100 milliards d'euros. Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, a alors proposé un budget de 972 milliards d'euros sur la période 2014-2020, soit quelque 53 milliards d'euros de moins que la proposition initiale de la Commission européenne. Cette proposition semble être un compromis raisonnable. Toutefois, elle inclut également un ajustement de la manière dont le rabais britannique est calculé qui pourrait entraîner sa diminution de l'ordre de 11% ou 3,5 milliards d'euros sur sept ans. Le plan suggère aussi des « corrections » sur ce rabais qui serait désormais « entièrement financé par tous les États membres » [2]. Cette formule implique que le Royaume-Uni pourrait de fait être amené à financer une partie de sa propre correction. Si tel était le cas, alors le rabais pourrait être réduit de 3,3 milliards d'euros supplémentaires, soit une réduction totale de 21% (6,8 milliards d'euros). C'est pourquoi le Premier ministre britannique entend surtout, outre un gel du budget en paiements, défendre son rabais, obtenu par Margaret Thatcher en 1984. Depuis lors, plusieurs pays, dont l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède ou l'Autriche se sont vu offrir le même type d'avantage, tandis que le Danemark en exige un. Ces gouvernements ont intérêt à forcer un compromis avec les Anglais pour mieux protéger leur propre bonus, qui disparaîtrait fin 2013 faute d'accord.

Au total, six pays au moins avaient menacé d'opposer leur droit de veto aux négociations sur le budget de l'UE. Outre le Royaume-Uni, les Pays-Bas avaient menacé de s'opposer au budget si l'augmentation du CFP était supérieure à l'inflation ; l'Autriche, même si elle est critique face au rabais britannique, souhaitait elle aussi défendre son rabais ainsi que les dépenses de la PAC ; le Danemark a également réclamé un rabais et a promis d'opposer son droit de veto pour y arriver ; la Suède s'est alignée sur le Royaume-Uni ; et enfin, la Roumanie a considéré que les coupes dans les budgets de la PAC et de la Politique régionale de la proposition d'Herman Van Rompuy, étaient inacceptables. Actuellement, l'Allemagne continue à défendre sa position, mais elle est favorable à la proposition du président du Conseil comme une base de négociation. Elle est d'accord avec le Royaume-Uni sur la nécessité de limiter les dépenses. L'Italie est soucieuse de voir sa contribution nette limitée en raison de son économie en décrochage. Elle n'a pas explicitement menacé d'un veto mais souhaite protéger les dépenses de la Politique régionale. L'Espagne quant à elle a exprimé des préoccupations générales sur la proposition d'Herman Van Rompuy liées aux diminutions des dépenses de la PAC et de la Politique régionale. Enfin, Pour la Pologne, de même que pour les autres grands bénéficiaires nets, les points de tension ont trait aux réductions potentielles des dépenses du Fonds de cohésion. Finalement, le Royaume-Uni a proposé jeudi plus de 50 milliards d'euros de coupes par rapport à la proposition du président du Conseil. Vendredi, le chiffre n'était plus que de 30 milliards. Cette baisse était soutenue par plusieurs pays dont l'Allemagne.

De son côté, la France a menacé d'opposer son droit de veto au budget si le niveau actuel des dépenses de la PAC n'était pas maintenu. Par ailleurs, François Hollande, soutenu par Mario Monti, estime que le système des rabais devrait être remis à plat. Finalement, la position de la France est la plus difficile. Elle est un contributeur net dont le retour résulte essentiellement de la PAC, la politique la plus contestée. D'un côté, certains observateurs [3] estiment que la France à tort de défendre obstinément le budget de la PAC considérée parfois comme un gouffre qui absorbe 40% du budget européen. D'un autre côté, sans une politique agricole « commune », il y aurait probablement 27 politiques agricoles séparées qui coûteraient plus cher au total que les dépenses de la PAC.

Une réduction du nombre et du salaire des fonctionnaires européens a également été demandée par le Royaume-Uni. Le premier ministre anglais a comparé la situation dans son pays, où il affirme que le budget administratif national a été réduit d'un tiers. Il estime que dans ce contexte de crise, ne pas envisager de changements aux dépenses administratives serait difficilement acceptable pour le contribuable européen. Il a notamment dénoncé le système des promotions automatiques, les retraites trop élevées, et les primes d'expatriation versées aux fonctionnaires européens qui vivent à Bruxelles depuis trente ans. D'un côté, on pourrait penser que ce débat reste largement symbolique. En effet, les dépenses de fonctionnement représentent moins de 6% du budget européen (soit 63 milliards d'euros). Mais d'un autre côté, ce n'est pas le fait que ces dépenses représentent un partie infime du budget (qui ne représente lui-même que 1% du PIB de l'UE) qui compte, c'est l'incohérence de son approche. En d'autres termes, pourquoi doit-on accepter les diminutions des salaires et des pensions des fonctionnaires nationaux et accepter que ceux des fonctionnaires européens augmentent ? Ce qui importe ce n'est pas tant le montant des dépenses mais la nature du problème : plus la bureaucratie s'installe, moins il y a d'intérêts pour réformer le système en profondeur. Laisser ou retrancher 30 milliards au budget ne changera rien au fait que la structure même du budget européen a besoin d'être foncièrement réformée. Il faut cesser d'avoir une vision à court terme et se rendre compte qu'on ne peut pas conclure un pacte pour la croissance en juin et adopter un budget qui fait le contraire en novembre.

Le budget européen est en réalité l'instrument de base du financement de la solidarité financière européenne. Pourtant, son mode de fonctionnement actuel est très insatisfaisant. Les principaux défauts du budget européen ont trait à sa taille réduite ; à son mode de financement ; aux faibles marges de manœuvre qui restent pour le financement de politiques communes (hors PAC) ; et au processus de décision sur ce cadre financier, qui ne peut produire qu'une minimisation des moyens accordés [4]. D'un autre côté, si l'on souhaite conserver un budget de petite taille et décentraliser un certain nombre de compétences, il est possible de mettre en place un fédéralisme « pigouvien ». Dans ce cas, le budget européen, de taille modeste, jouerait un rôle d'incitation comparable à celui des subventions et des taxes dans le contexte des biens publics qui génèrent de fortes externalités (par exemple, lorsque la production ou la consommation d'un bien génère de la pollution, on peut appliquer le principe du « pollueur-payeur »). Les budgets nationaux demeureraient alors plus importants que le budget européen. Ce dernier serait utilisé pour subventionner certaines dépenses (par exemple celles qui contribuent à une défense commune, ou à la lutte contre certaines pathologies ou contre la criminalité, etc.) ou pour décourager certains comportements. Il pourrait alors également servir à coordonner les politiques de stabilisation conjoncturelles nationales [5].

Il y a aussi d'autres aspects de l'Union qui nécessiteraient une réforme. Par exemple, dans les domaines de l'énergie et de certains services, le concept de « marché unique », né en 1992, reste lettre morte à cause de la fragmentation des marchés et du protectionnisme national qui continuent à subsister. Le volume du commerce intra-européen est inférieur de 70% à celui du commerce interne aux États-Unis en tant que pourcentage du PIB. Les obstacles juridiques et fiscaux qui entravent encore le commerce empêchent une plus grande spécialisation des différentes zones régionales européennes. Il faut aussi reposer la question de l'utilisation des fonds régionaux. Ceux-ci ne suffisent pas à assurer le développement d'une économie lorsqu'ils sont mal gérés.

Quoi qu'il se passe dans les négociations sur le budget européen, l'article 312 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) [6] indique qu'en l'absence d'accord sur le CFP, les plafonds de dépenses et les autres dispositions qui correspondent à la dernière année du CFP précédent sont prorogés jusqu'à l'adoption de cet acte. Il s'agit en quelque sorte de la pratique budgétaire courante des « crédits provisoires ». L'idée est, en l'absence de vote d'un budget (principe du consentement à l'impôt), d'en revenir au dernier budget pour lequel un consentement démocratique à été octroyé. Ce qui signifie que ceux qui plaident pour une augmentation du budget sont dans une meilleure position de négociation que ceux qui plaident pour un gel des dépenses. Il ne faut pas non plus oublier que le Parlement européen a lui aussi un droit de veto.

Finalement, les dirigeants européens sont d'accord sur le fait qu'ils sont en désaccord. Les négociations sur le prochain CFP se sont conclues par le report des discussions à l'année prochaine. Le consensus nécessaire n'était pas disponible la semaine dernière étant donné les divergences de points de vue entre les contributeurs nets et les bénéficiaires nets, et ce, malgré les efforts du président du Conseil européen pour trouver un compromis. La marge de manœuvre d'Herman Van Rompuy semble en effet assez mince étant donné les positions très éloignées des différents gouvernements. Toutefois, le président du Conseil a rappelé qu'il n'était pas nécessaire de dramatiser. Les négociations sur le CFP sont si complexes qu'il n'est pas anormal qu'elles nécessitent deux tours.

[1] http://ec.europa.eu/budget/library/...

[2] Mats Persson, « The rocky road to a new EU budget : Winners and losers in on-going budget talks », Open Europe, 19 Nov 2012, disponible sur http://www.openeurope.org.uk/Articl....

[3] Dont Georges Ugeux, le PDG de Galileo Global Advisors, une banque d'affaires internationale à New York. Voy. http://finance.blog.lemonde.fr/2012....

[4] Jean-Paul Fitoussi, Éloi Laurent et Jacques Le Cacheux, « L'Europe des biens publics », in France 2012 : E-book de campagne à l'usage des citoyens, 2012/OFCE, spéc. p. 4.

[5] Jean-Paul Fitoussi, Éloi Laurent et Jacques Le Cacheux, « L'Europe des biens publics », in France 2012 : E-book de campagne à l'usage des citoyens, 2012/OFCE, spéc. p. 5.

[6] http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ...