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Baisse des charges patronales : des choix dramatiques à faire

De 30 à 50 milliards de transferts annuels de cotisations patronales vers d'autres modes de financement, c'est ce que demandent les entrepreneurs français et ce que Louis Gallois, chargé d'une mission sur le coût du travail, avait estimé nécessaire au début de l'été. 50 milliards, cela représente environ la moitié de l'addition des cotisations maladie et famille payées presqu'exclusivement par les employeurs, alors qu'il s'agit de prélèvements qui financent la solidarité nationale et ne devraient donc pas être à la charge des entreprises. Mais, à moins d'adopter des réformes radicales comme celle que le gouvernement portugais vient d'imposer, il est difficile d'imaginer comment faire.

Le Portugal vient d'annoncer un moyen très simple pour diminuer le coût du travail au profit des entreprises : transférer une partie importante des cotisations patronales sur les cotisations salariales. Actuellement les cotisations patronales se montent à 23,75% du salaire brut, contre 11% pour les cotisations salariales. Le gouvernement portugais veut imposer un partage égal, soit 18% dans les deux cas, ce qui signifie 7% de baisse de salaire, car il est évident que ce transfert ne sera pas compensé par une augmentation des salaires bruts. Une solution tranchée et brutale, mais qui devrait quand même faire réfléchir en France.

Le gouvernement portugais justifie sa décision par la situation des entreprises du pays et la nécessité de baisser le coût du travail. Or ce coût est au Portugal moins de la moitié du coût français, et par ailleurs les charges sociales sont aussi beaucoup moins élevées qu'en France. Le diagramme qui suit indique la situation comparée de la France et des pays de l'OCDE en ce qui concerne le « coin social » (totalité des charges patronales et salariales).

Ce que montre ce graph est surtout l'importance des charges patronales (43%), unique au monde, ainsi que la disproportion entre les charges patronales et les charges salariales, qui n'est dépassée qu'en Espagne [1]. On ne peut qu'être frappé de voir un pays comme le Portugal, malgré d'énormes problèmes économiques et une politique d'austérité portée à son maximum, décider de baisser encore le pouvoir d'achat des salariés bien que le montant des charges patronales soit très loin d'être au niveau français. En France au contraire, non seulement beaucoup continuent à nier la nécessité de baisser les charges patronales, mais ceux qui l'admettent, comme la CFDT, se refusent à imaginer que ceci puisse se faire en baissant en contrepartie le pouvoir d'achat des salariés puisqu'ils mettent comme condition d'augmenter les salaires bruts en compensation d'une augmentation éventuelle des cotisations sociales ou de la CSG.

Le sujet va en conséquence relever de la quadrature du cercle en France, où le terme d'austérité et d'atteinte au pouvoir d'achat est tabou. François Hollande paraît avoir indiqué une préférence pour l'augmentation de la CSG mais a prudemment confié à Louis Gallois une mission d'éclairage. Ce dernier se refuse pour le moment à se prononcer, indiquant qu'il doit la primeur de ses conclusions au gouvernement…Nul doute que le dilemme dans lequel il se trouve doit l'embarrasser grandement.

Augmenter la CSG ? Le gouvernement, qui a refusé l'augmentation de la TVA dite « sociale », croit voir dans la CSG de possibles sources nouvelles de financement de la protection sociale dans la mesure où la CSG porte sur une assiette plus large que les charges sociales, et en particulier sur les revenus du capital. Las ! Il n'existe pas de marge de manœuvre significative alors qu'on évoque comme Louis Gallois un financement de 30 à 50 milliards. A l'heure actuelle, le rendement de la CSG sur les revenus du capital est d'environ 11 milliards, et les prélèvements autres sur ces revenus vont être considérablement augmentés dans le cadre du prochain budget : fin du prélèvement libératoire forfaitaire et imposition au barème, suppression ou fort coup de rabot sur les abattements sur les dividendes, sans oublier le maintien de l'augmentation des prélèvements sociaux à 15,5% décidés par le précédent gouvernement. Or aucun de ces impôts supplémentaires ne va être affecté à la baisse des charges patronales. Tels qu'ils sont, ils sont déjà qualifiés de « pure folie » par Michel Taly, ancien directeur de la législation fiscale au ministère des Finances, qui prédit un assèchement du financement des entreprises. C'est dire à quel point la marge de manœuvre pour une CSG « sociale » supplémentaire est inexistante. De toutes les façons, les chiffres parlent d'eux-mêmes : la totalité des revenus du patrimoine des ménages Français, tels que calculés par la Cour des comptes et le CPO pour 2007, n'excède pas 115 milliards nets d'endettement, dont 33 milliards pour les revenus du capital mobilier (dont 19 milliards seulement pour le dividendes), et 33 milliards pour les revenus fonciers (très entamés par les augmentations continuelles de la taxe foncière), sachant aussi qu'une partie importante du reste est constituée de revenus exonérés (livrets populaires, assurance-vie…) que le gouvernement n'a pas l'intention de taxer. Si le rendement de la CSG pèse à 70% sur les salaires, c'est simplement que la masse salariale qui constitue son assiette est d'environ 700 milliards comparés aux 115 milliards des revenus du capital. Il est donc impossible de demander à ces derniers de fournir une source de financement substantielle. La CSG porte aussi pour 18 milliards sur les revenus de remplacement, mais ceci nécessitera d'augmenter les prélèvements sur les indemnités de chômage et les retraites…

Il n'existe pas en réalité de moyen pour résoudre le problème sans toucher au pouvoir d'achat. De toutes les façons, tout augmentation de la fiscalité, à quelque niveau qu'elle se produise, finit toujours par être à la charge des personnes physiques, et il est de peu d'effet de chercher à modifier la répartition de cette charge entre les différentes catégories de la population. Ce qui est certain, c'est que la piste des revenus du capital n'aboutit ici qu'à une impasse. Alors, une solution à la portugaise ? Ou bien le gouvernement se résoudra à faire des choix dramatiques et douloureux, ou bien il se refusera à trancher le nœud gordien et le problème ne pourra être résolu qu'à une marge insignifiante.

[1] Sur ce dernier point, la comparaison n'est cependant pas exacte car elle ne tient pas compte de la CSG/CRDS française, dont la qualification (est-ce une charge sociale ou un impôt ?) est en débat : c'est un impôt pour le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État, mais une cotisation sociale pour la Cour de cassation et la Cour de Justice européenne…