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2021 : 165 milliards de dette publique en plus

L’INSEE vient de publier trois documents au 31 mai 2022 : Les comptes de la Nation en 2021, Le compte des administrations publiques en 2021, ainsi que les données brutes des comptes de la Nation en 2021. Et ces publications sont riches s’agissant de l’évolution de l’endettement public entre 2020 et 2021 et de sa décomposition par niveau d’administration et par instruments (titres de créances, crédits (bancaires et autres), dépôts etc.). Il en ressort que l’endettement public au sens de Maastricht ressortirait à 112,5% du PIB, soit 2.813,1 milliards d’euros. Il serait donc en baisse de -2,1 points de PIB par rapport à 2020 (114,6% de PIB), mais en hausse en valeur de près de 165 milliards d’euros. Sans surprise l’Etat porterait l’essentiel de l’accroissement de la dette (+145 milliards d’euros soit 88% de la hausse), suivie par les collectivités locales (+15,8 milliards d’euros soit 9,6% de la hausse), puis par les administrations de sécurité sociale (+3,7 milliards) et enfin les ODAC (+500 millions d’euros). Mais les informations fournies sont beaucoup plus précises :

Source : INSEE, 31 mai 2022.

Répartition de la dette entre 1995 et 2021 par instruments et par niveaux d’administration

Ces données ne sont disponibles que sur base annuelle et ne sont pas consolidées sur base trimestrielle. Cependant elles sont extrêmement utiles parce qu’elles permettent de localiser les instruments d’endettement spécifiques à chaque niveau d’administration et leurs volumes relatifs au sein de l’endettement public total.

La décomposition suivante est donnée pour les années les plus récentes, entre 2018 et 2022 :

Source : INSEE, 31 mai 2022.

Source : INSEE, 31 mai 2022.

Il apparaît en particulier que l’accroissement des encours des titres de créances (émis sur les marchés ou hors marché) entre 2018 et 2021, le sont majoritairement par l’Etat pour 389 milliards d’euros, dont +144,1 milliards entre 2020 et 2021, suivi par les ASSO (administrations de sécurité sociale) pour 70,6 milliards d’euros dont 5,8 milliards entre 2020 et 2021, puis par les collectivités territoriales dont les titres de créance augmentent de 35,4 milliards entre 2018 et 2022 dont 13,9 milliards entre 2020 et 2021. Enfin les ODAC se désendettent à hauteur de -0,4 milliard entre 2018 et 2021 dont -1,1 milliard entre 2020 et 2021. Sur la période, les dépôts qui sont utilisés comme moyen de trésorerie par l’Etat (principe d’unité de trésorerie) et qui constituent des dettes vis-à-vis des autres APU et de l’ensemble des correspondants du Trésor, sont à peu près constants, et augmentent de 4,3 milliards d’euros entre 2018 et 2021 mais diminuent entre 2021 et 2020 de -0,1 milliard.

Que les ASSO (administrations de sécurité sociales) fortement impactées par le choc économique du Covid au titre des stabilisateurs automatiques et des mesures de résilience augmentent significativement leur endettement obligataire est compréhensible (chômage partiel, dette hospitalière etc.), mais c’est surtout les collectivités territoriales qui font exploser leur endettement sur les marchés, qui passe de 21,1 milliards en 2018 à près de 56,5 milliards en 2021 soit un quasi doublement.

Source : INSEE, 31 mai 2022.

Si l’on affine par maturité les variations des encours de créances obligataires, il apparaît qu’entre 2020 et 2021 les titres longs augmentent de 150,4 milliards au niveau de l’Etat (couverture du déficit de l’Etat estimé pour 2021 en comptabilité nationale à 143,7 milliards d’euros), ainsi que pour les administrations de sécurité sociale (+32,7 milliards, notamment par conversion voir infra des titres à court terme de l’ACOSS en dette à long terme reprises par la CADES), mais aussi émis par les collectivités territoriales (+11,1 milliards d’euros), ce qui est considérable puisque désormais les titres à long terme des APUL se rapprochent en niveau de ceux détenus par les ODAC (dont pôle emploi) soit 48,9 milliards contre 53,6 milliards pour ces derniers. Enfin les ODAC se désendettent sur les titres à long terme, soit -1 milliard par rapport à 2020, comme cette année là par rapport à 2019.

Source : INSEE, 31 mai 2022.

S’agissant cette fois de la dette à court terme, celle-ci baisse significativement au niveau des ASSO (reprise de dette par la CADES, l’ACOSS émettant à moins d’1 an, soit -26,9 milliards d’euros en 2021 par rapport à 2020), tandis que les collectivités territoriales augmentent au contraire leurs émissions à court terme (+2,7 milliards en 2021 par rapport à 2020 à 7,6 milliards d’euros). Enfin l’Etat réduit son émission à moins d’1 an de -6,3 milliards, sans doute à cause d’un besoin moindre pour boucler les ressources du tableau de financement de l’Etat en lien avec une réduction programmée du déficit de l’Etat anticipé pour 2021 par rapport à l’année exceptionnelle 2020.

Source : INSEE, 31 mai 2022.

Les crédits bancaires contractés par l’ensemble des niveaux d’administrations sont à peu près constants. Ils sont naturellement portés par les engagements des collectivités territoriales qui utilisent préférentiellement ce moyen d’endettement (+1,8 milliards d’euros entre 2020 et 2021 à 189 milliards d’euros[1]), suivi par les ODAC (+1,4 milliards à 7,7 milliards d’euros) et l’Etat +0,8 milliard à 51,5 milliards d’euros. A noter que sur ce terrain les ASSO se désendettent de -2 milliards d’euros. La reprise de la dette ACOSS soulageant sans doute les comptes des établissements hospitaliers.

Les constats spécifiques de l’INSEE sur l’endettement public en 2021

Tout d’abord la charge du service de la dette augmente, ce que nous avions déjà mis en évidence avec les chiffres communiqués à Eurostat par l’INSEE en début de mois[2]. Hors services d’intermédiation financière les charges d’intérêt augmentent toutes APU de 5,1 milliards d’euros passant de 29,6 milliards à 34,7 milliards d’euros entre 2020 et 2021 en comptabilité nationale. S’agissant de l’Etat l’augmentation est encore plus sensible : « Malgré des taux d’intérêt qui demeurent historiquement bas, la charge d’intérêt de la dette [de l’Etat] a nettement augmenté en 201 (+5,5 milliards d’euros, soit +21,6%) en raison de l’augmentation de l’inflation qui joue fortement à la hausse sur la charge d’intérêt des titres de dette publique indexés. » Ce qui est vérifié par l’INSEE devrait l’être également en comptabilité budgétaire, mais il faudra attendre le rapport de la Cour des comptes sur Le budget de l’Etat en 2021, résultats et gestion – qui élections législatives obligent – n’a pas été encore rendu public.

L’augmentation de la dette à +164,9 milliards d’euros en 2021 est porté d’abord par celle de l’Etat (+144,9 milliards) et d’abord à long terme (+150,3 milliards en 2021, après +123,9 milliards en 2020). Les titres à court terme de l’Etat comme évoqué plus haut sont en repli (-6,2 milliards en 2021, après +54,7 milliards en 2020). « Par ailleurs, l’Etat augmente sa trésorerie (+4,7 milliards) mais diminue son encours de prêts accordés (-2,4 milliards) notamment en raison de la conversion du prêt Air France en instrument de capital pour 3 milliards d’euros. » (ce qui constitue une opération de capital qui n’impacte plus la dette publique (mais éventuellement la dette hors bilan)).

S’agissant des ODAC, leur contribution à l’endettement public total est faible (+0,5 milliards), mais celui-ci est tiré par « l’endettement de France Compétences et de l’EPIC BPI sous forme d’emprunts (respectivement de +1 milliard et de +0,8 milliard) » compensé par le désendettement de SNCF Réseau (-1,2 milliard), dont la dette a été reprise par l’Etat (améliorant l’année précédente en 2020 artificiellement le solde des ODAC et dégradant symétriquement celui de l’Etat).

L’INSEE fournit une explication à l’augmentation tous azimuts de la dette des APUL (+15,8 milliards en 2021). Cette dette est tirée par la Société du Grand Paris qui émet pour +8 milliards de dettes, ainsi que les régions pour +3,5 milliards, Île-de-France Mobilités pour 2,5 milliards et les communes avec +1,5 milliards. Mais cet endettement ne relève d’aucun besoin direct mais sans doute d’une « opportunité » dictée par la conjoncture monétaire actuelle (taux directeurs bas, abondance de liquidités) : en effet « cet engagement est très supérieur à leur besoin de financement et alimente en partie leur trésorerie sous forme de dépôt au Trésor (+14,4 milliards d’euros), en particulier la Société du Grand Paris (+5,3 milliards) et des communes (+4,8 milliards). » L’Etat tire donc indirectement partie de ces dépôts qui viennent alimenter sa propre trésorerie (unité de trésorerie – centralisation des fonds sur le compte unique de l’Etat à la Banque de France[3]).

Les ASSO voient leur endettement augmenter de +3,8 milliards d’euros en 2021 après +77,7 milliards en 2020. L’accroissement des titres de dettes est de 5,8 milliards et résulte d’une augmentation des titres de long terme (+32,7 milliards) et une diminution des titres de court terme (-26,9 milliards). La CADES « poursuit le programme de reprise de dette décidé dans le contexte de la crise sanitaire » ce qui aboutit à augmenter sa dette de 18,4 milliards d’euros et symétriquement baisser celui de l’ACOSS d’un même montant. Par ailleurs l’UNEDIC voit sa dette augmenter de +5,4 milliards d’euros et les hôpitaux de +1,4 milliard en dépit de la reprise de dette hospitalière décidée en direction de la CADES. La dette de l’UNEDIC s’explique facilement par la poursuite en 2021 des mesures exceptionnelles relative au chômage (activité partielle etc.) ; en revanche pour les hôpitaux, on voit assez facilement les limites du Ségur de la Santé, puisqu’il n’y a pas de mesures susceptibles d’interdire la reconstitution d’une dette hospitalière conséquente à terme. En revanche l’AGIRC-ARRCO et la Cnaf réduiraient leur endettement de -1,8 milliard et de -0,8 milliard d’euros respectivement. Ces éléments d’information sont important car ils ne sont pas ventilés dans les comptes publiés par l’INSEE.


[1] Voir sur ce point l’effet particulier du coût de l’endettement bancaire des APUL sur la charge de la dette (y compris services intermédiés), https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/charge-de-la-dette-publique-en-2022-vers-les-50-milliards-deuros

[2] Voir note de bas de page précédente.

[3] Voir notre note sur l’augmentation de la centralisation des fonds au Trésor décidée il y a tout juste deux ans, https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/letat-fait-main-basse-sur-10-milliards-de-reserves