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SNCF : 25 milliards de reprise de dette, 4,7 milliards de relance et encore une grève

Ce jeudi 17 septembre est une journée de grève à l'appel d'une intersyndicale menée par la CGT, FSU et Solidaires. Les revendications sont les suivantes : hausse des salaires, réduction du temps de travail (32 heures par semaine), relocalisations, abandon des réformes de l'assurance chômage et des retraites. La contestation devrait concerner aussi la SNCF où un appel à la grève a été lancé pour réaffirmer la défense du service public en particulier ferroviaire. A la CGT, on réclame de revenir sur les réformes ferroviaires de 2014 et 2018 "fondées sur le dogme libéral de casse de l’entreprise publique SNCF au profit du marché" et leurs conséquences : baisse de l'emploi au statut année après année, suppression des embauches au statut à partir de 2020, filialisation de Fret SNCF, gel des salaires, ouverture à la concurrence du transport de voyageurs… Le ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, a déploré à raison une "grève d'habitude" d'autant moins compréhensible dans le contexte actuel et compte tenu des 4,7 milliards d'euros promis dans le cadre du plan de relance en faveur du ferroviaire. Compte tenu aussi des 25 milliards d'euros de dette repris par l'Etat à la SNCF. Etrangement, sur ce sujet de la SNCF, on ne parle jamais de "contreparties" ! Et pourtant, il n'est pas acceptable d'aider autant par les deniers publics un secteur qui repousse toutes les réformes (statuts, retraites...)

 

 

Le gouvernement a présenté son plan de relance de 100 milliards d'eurosFrance relance : https://ecologie.gouv.fr/sites/default/files/PlanRelance_annexe-fiche-mesures.pdf. 11 milliards seront consacrés aux transports dont 4,7 milliards au ferroviaire. Revues dans une perspective de verdissement des transports, les annonces ne comportent pas à proprement parler de surprise. Le ministre des Transports insiste sur les financements qui seront cette fois à la hauteur des engagements. Mais le plan de relance devrait aussi comporter un volet de recapitalisation de la SNCF fortement impactée par la crise. Un tel engagement financier n'est acceptable que si la SNCF poursuit sa modernisation et la transformation de son modèle social.

Le ministre a détaillé les mesures annoncées le 3 septembre dernierPlan de relance : Jean-Baptiste Djebbari détaille les 11,5 milliards d’euros consacrés aux transports, Le Parisien 3 septembre 2020 : https://www.leparisien.fr/economie/plan-de-relance-jean-baptiste-djebbari-annonce-11-5-milliards-d-euros-consacres-aux-transports-03-09-2020-8377845.php dans le cadre du plan de relance regroupé dans la partie "infrastructures et mobilité vertes" en insistant bien sur le fait que les transports bénéficieront d'environ 10% des 100 milliards annoncés. La France entend ainsi prendre sa part aux objectifs européens d'une neutralité carbone en 2050 (green new deal).

Plus précisément 4,7 milliards seront fléchés vers le ferroviaire. Dans le détail cela donne entre autres :

  • 2,3 Mds€ investis dans la rénovation du réseau, notamment la modernisation des aiguillages ;
  • L'outil européen de gestion du trafic ferroviaire pour améliorer la sécurité (ERTMS) bénéficiera également du plan ;
  • 1,5 Md€ sera consacré à la fin du glyphosate et à la rénovation des ponts ferroviaires ;
  • D'autres mesures encore concernent l'accessibilité des gares (120 M€) ou les aménagements de passage à niveau (84 M€).

Encore un plan de relance du fret ferroviaire

Le gouvernement a aussi communiqué sur la relance du fret ferroviaire avec l'annonce de la gratuité des péages pour les trains de fret d'ici à la fin de l'année et la baisse de 50% des péages en 2021.  Des mesures seront mises en œuvre pour favoriser le wagon isolé (technique de fret ferroviaire). Les sommes en jeu sont modestes - 63 millions € en 2020 et 63 millions € en 2021 - mais malgré tout c'est le Premier ministre lui-même qui en avait fait l'annonce dès le mois de juillet. Le gouvernement promet des aides au démarrage de projets d'autoroutes ferroviaires pouvant aller jusqu'à 35 millions €. "Le rail route c'est l'avenir" a même déclaré, enthousiaste, Jean Castex qui a appelé à la relance du train des primeurs qui relie les Pyrénées-Orientales dont il est élu vers la région parisienne. L'État espère voir 20.000 poids lourds de moins sur les routes en 2021, correspondant à 425.000 tonnes de CO2 émis en moins.

Les acteurs du secteur se sont félicités de ces annonces. Le Groupement national des transports combinés (GNTC) salue "ces annonces très positives pour l’ensemble de notre filière, qui viennent récompenser un important travail de mobilisation". Mais ils ont aussi souligné que la reconquête du fret ferroviaire passe par une indispensable amélioration de la qualité de service : "le fret ferroviaire en France ne pourra se développer que si la ponctualité et la régularité du rail sont au moins égaux à la prestation route".

Ces dernières années, au fil des gouvernements successifs, des plans de relance du fret se sont tous soldés par des échecs : en 2009 l'engagement national pour le fret ferroviaire qui prévoyait 7 milliards d'investissement comportait à peu près les mêmes mesures que celles qui sont déclinées aujourd'hui. Depuis 2000, 4 plans ont été initiés pour sauver le fret (2000 plan Gayssot, 2004 plan Véron, 2007 haut débit ferroviaire, 2009 engagement national pour le fret ferroviaire).

Dans le même temps, la part modale du transport ferroviaire n'a cessé de diminuer. En 1974, 46% des marchandises étaient alors transportées par rail, contre 9% aujourd'hui. C'est moins que nos voisins européensLe marché français du transport de marchandises, Focus 2018, Autorité de régulation des transports, https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2020/01/bilan_marche_ferroviaire_marchandises_2018_vf-1.pdf.

 

90% des marchandises quittant le port du Havre le font par la route. À Rotterdam, la part du ferroviaire est de près de 50%. La plupart des grands ports européens font une plus large place au ferroviaire que les ports français. Les accès ferroviaires aux ports feront également l'objet d'investissement (200 millions d’euros).

Mais si le gouvernement souhaite réellement relancer le fret c'est toute une stratégie qu'il faut revoir : depuis le milieu des années 1980, les principaux investissements d'infrastructure français ont été mis au service des nouvelles LGV et des voyageurs. Et le fret ferroviaire est passé au second plan : les embranchements ferroviaires n'ont pas fait l'objet d'investissements, les sillons de fret ont été reportés pour les trains de voyageurs, la qualité du réseau fret fait que les chargeurs sont dans la crainte de savoir quand leurs marchandises vont arriver à destination. La France a pendant longtemps négligé ses atouts géographiques en matière de fret et fait le pari du transport de voyageurs laissant d'autres pays être des leaders en matière de logistique. Il suffit pour en être convaincu d'observer comment certains pays européens, l'Allemagne et les Pays-Bas en particulier, ont fait de cette approche une vision stratégique, identifiant le transport de fret comme un complément indispensable pour l'industrie et le commerce, afin de conquérir des marchés extérieurs, tout en attirant sur leur territoire des investissements créateurs d'emplois. La même remarque pourrait être faite aussi pour l'agriculture : « Si l’Allemagne est devenue un grand pays exportateur de produits agricoles, c’est aussi parce qu’il peut s’appuyer sur un fret performant, notamment vers les ports » fai remarquer le cabinet d'étude spécialisé SIA Partner.

Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer l'échec des précédents plans de relance : désindustrialisation, crise économique, ouverture à la concurrence mal préparée ou perturbation par les mouvements sociaux sont notamment mises en avant. Le déficit de productivité de l'opérateur historique est également pointé du doigt : la durée et l'aménagement du temps de travail des cheminots comparés aux autres opérateurs français ou étrangers ont longtemps constitué un problème de fond et expliqué un écart de coût entre la SNCF et les autres entreprises de transport (jusqu'à 30% d'écart) avec un impact sur la compétitivité de l'activité fret. Au point même que la SNCF a créé une filiale VFLI avec des cheminots embauchés sous contrat et non au statut pour parvenir à rester compétitive.

Plan de relance ou plan d'aménagement du territoire ?

Le plan de relance en faveur du ferroviaire n'oublie pas les trains de nuit et les petites lignes. Dans sa présentation, le ministre des transports indique vouloir que 4 lignes de train de nuit soient opérationnelles d'ici à 2022 contre 1 seulement aujourd'hui. (Paris-Nice, Paris-Hendaye, Paris-Briançon, Paris-Rodez). Le ministre veut également proposer un pacte aux régions avec 6 milliards € en faveur des petites lignes dont un tiers serait financé par l'Etat. Des mesures qui sonnent comme des gages à l'opinion publique et aux élus locaux de la part du gouvernement soucieux de marquer son intérêt aux préoccupations des transports du quotidien, après la fronde des gilets jaunes. Mais là encore souvenons-nous des conclusions très claires du rapport SpinettaL'avenir du transport ferroviaire, https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2018.02.15_Rapport-Avenir-du-transport-ferroviaire.pdf de 2018 sur les petites lignes :

D’après SNCF Réseau, les charges de gestion de l’infrastructure associées à l’ensemble des « petites lignes » sont d’environ 600 M€ par an, auxquels il faut ajouter 150 M€ de dépenses annuelles de régénération financées par les régions et l’Etat dans le cadre des CPER, soit un total de 750 M€ par an. Les péages perçus par SNCF Réseau pour ces lignes sont de 90 M€ annuels, hors redevance d’accès. Le maintien à long terme de ces lignes nécessiterait de tripler l’effort de renouvellement, pour atteindre environ 500 M€ annuels. Il convient d’y ajouter les coûts d’exploitation des trains. Les lignes de catégorie 7 à 9 supportent 25% de l’offre TER, soit 1 milliard d’euros de dépenses annuelles, hors investissements de matériel roulant. Les dépenses publiques consacrées aux petites lignes s’élèvent donc à 1,7 milliard annuel pour moins de 10% des trains et surtout moins de 2% des voyageurs. Chaque kilomètre parcouru par un voyageur coûte ainsi 1€ à la collectivité.

Ou du rapport DuronTET : agir pour l'avenir, https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-24602-rapport-tet-avenir-duron.pdf sur les trains de nuit qui pointait une fréquentation déclinante en raison d'une offre alternative (aérien, autocar), de confort de voyage pas à la hauteur de l'investissement fait par la collectivité. Pour le rapporteur, le train de nuit avait une utilité au-delà d'un certain temps de trajet, dans le cas d'absence d'offre alternative et dans la mesure d'un remplissage élevé des trains. Si Jean-Baptiste Djebbari cite des pays comme l'Autriche où les trains de nuit continuent de circuler il faut juger s'il ne s'agit pas simplement d'un segment de niche.

 

Un plan de relance pour éponger les pertes ?

Dernier aspect du plan de relance pour le ferroviaire, le gouvernement devrait prévoir une recapitalisation à hauteur de 1,8 milliard de la SNCFPlan de relance : l'Etat-actionnaire de nouveau au chevet de la SNCF, 3 septembre 2020, https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/plan-de-relance-letat-actionnaire-de-nouveau-au-chevet-de-la-sncf-1239206. La SNCF a particulièrement souffert durant le confinement et continue à perdre de l’argent en raison de d’une fréquentation insuffisante des trains et de contraintes d'exploitation liées au Covid. Au premier semestre, la perte de chiffre d’affaires par rapport à l’année précédente a atteint 3,9 milliards d’euros et le résultat net -2,4 milliards d’euros. Sa dette atteint désormais 38 milliards d’euros malgré la reprise de 25 milliards d’euros par l’État pour cette année (10 milliards de reprise prévue en 2022)Projet de loi de finances pour 2019 : Transports, Sénat, Avis n° 152 (2018-2019) de MM. Jean-Pierre CORBISEZ, Gérard CORNU, Michel VASPART et Mme Nicole BONNEFOY, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, déposé le 22 novembre 2018, http://www.senat.fr/rap/a18-152-3/a18-152-3.html. D'aucun diront que l'Etat a volé au secours d'Air France ou de Renault. Lors de la réforme ferroviaire de 2018, l'assainissement de la situation financière de SNCF devait passer par une reprise de dette de 35 milliards de dette, d'une règle d'or en faveur de la maîtrise de l'endettement et des efforts de productivité de 1,2 milliard d'euros annuels. Mais déjà l'autorité de régulation des transports avait déjà jugé cette trajectoire beaucoup trop optimisteLe projet de contrat de performance entre l’Etat et SNCF Réseau manque les objectifs fixés par la loi de réforme ferroviaire, mars 2017 https://www.autorite-transports.fr/communiques/le-projet-de-contrat-de-performance-entre-letat-et-sncf-reseau-manque-les-objectifs-fixes-par-la-loi-de-reforme-ferroviaire/. Et depuis se sont ajoutées les pertes subies par l'opérateur en raison des grèves contre la réforme des retraites de l'année dernière. 35 jours après le début des manifestations, le coût des grèves était estimé à 1,8 milliard d'euros dont 680 millions pour la seule SNCF.

Le gouvernement ne semble pas vouloir renoncer à son exigence de demander à la SNCF de poursuivre ses efforts de productivité : « Si l'Etat investit des sommes considérables, il attend en retour que la SNCF ait une performance économique, environnementale et sociale de haut niveau » a déclaré Jean-Baptiste Djebbari qui a ajouté "Nous étudions avec la SNCF les actifs financiers qui pourraient être cédés mais aussi les gains de productivité qui pourraient être réalisés. Je pense que la SNCF a été très bonne sur l'interface client. En revanche, sur la modernisation de l'outil industriel par exemple, il y a encore des gains de productivité à faire. Il faut que le groupe SNCF tienne ses objectifs d'équilibre financier à l'horizon 2024."

Conclusion

Si le plan du gouvernement dans le domaine ferroviaire constitue une occasion toute trouvée de relancer l'investissement avec une politique de grands travaux, il faut que ces investissements soient dirigés vers les secteurs les plus essentiels pour la croissance : ainsi la régénération du réseau notamment autour des grandes villes, l'automatisation des aiguillages, les lignes de contournement pour éviter les bouchons ferroviaires sont prioritaires plutôt que de vouloir donner des gages à l'opinion publique en matière de verdissement des transports ou des élus locaux.

Comme pour le fret, la circulation d'un train de nuit ou sur une petite ligne n'a d'intérêt économique et écologique que s'il est rempli. Devra-t-on en passer par la contrainte ? On voit bien qu'avec les conclusions de la convention citoyenne pour le climat, on a voulu pénaliser le transport aérien intérieur pour augmenter le report sur les lignes TGV. Va-t-on interdire aux camions de rouler, aux voyageurs d'utiliser leurs voitures ? Les tentatives pour réguler le trafic automobile et routier ont jusqu'à présent plutôt suscité la contestation des Français.

Reste à la SNCF à poursuivre ses efforts pour son redressement financier : dans notre étude d'avril 2018 nous proposions de revoir l'organisation du temps de travail (400 M€ d'économies), de réformer les retraites (400 M€ d'économies d'ici à 2030), de supprimer le statut pour les fonctions support et d'externaliser les fonctions support au niveau de l'Epic de tête. Pour les actuels cheminots sous statut : revoir les éléments du cadre social (régime maladie, facilités de circulation...) qui sont un facteur de coût supplémentaire. Et de permettre plus de mobilité en donnant la possibilité aux agents actuellement sous statut d’opter pour un contrat de droit privé. De poursuivre l'ouverture du capital des entreprises du groupe ; de transférer les lignes à faible trafic sur des liaisons par autocar. Enfin d'accélérer sur l'ouverture à la concurrence, cela passe par un accès équitable aux technicentres et aux ressources en énergie et permettre aux nouveaux entrants de reprendre la flotte des trains des régions en cas de reprise de conventions.