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Les tarifs de l'électricité vont continuer à augmenter... à cause des coûts du renouvelable

En France, les tarifs régulés de l’électricité ont augmenté de 3 à 8% par an depuis 2012, et une nouvelle augmentation de 12% est prévue pour début 2022. Après les accusations du premier ministre espagnol rendant les règles européennes responsables de cette explosion des prix de l’électricité, Bruno Le Maire a renchéri en affirmant : "Le système européen est obsolète, il y a un alignement des prix de l’électricité sur les prix du gaz". Une corrélation qui semble étonnante pour notre pays qui produit 93% de son électricité localement et à coût fixe (nucléaire, hydraulique, éolien, solaire, biomasse), et ne dépendant du gaz importé que pour moins de 7%. D’autant plus que le coût de production de l’électricité n’entre que pour un tiers dans la facture du consommateur final.

Dans son intervention sur TF1, le Premier ministre Jean Castex a annoncé un "bouclier tarifaire" modérant la hausse des prix de l’électricité : l'augmentation sera bloquée à 4% en 2022 contre 12% prévue initalement, financée par la réduction de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), via un amendement au projet de loi de finances. Le manque à gagner de cette taxe, estimé à quatre milliards d'euros, sera récupéré sur des recettes exceptionnelles tirées notamment des énergies renouvelables ou encore de la vente de l'électricité française sur le marché européens. Mais deux questions restent sans réponse :

  • pourquoi les tarifs régulés, disponibles uniquement chez EDF, augmentent-ils ?
  • pourquoi les tarifs libres vont-ils augmenter dans les prochaines années ?

En 2021, 22 millions de ménages ont un contrat à tarif régulé par le gouvernement, et 11 millions sont aux prix libres dits "de marché". Ces tarifs libres sont généralement proches des tarifs régulés (actuellement de -5% à -10%, parfois +2% pour de l’électricité verte garantie). Les tarifs régulés ne sont pas accessibles aux professionnels, hors micro-entreprises. Pour leur consommation, les entreprises souscrivent des contrats à tarifs libres. Leur évolution est donc très importante pour toute l’économie. Au total, presque les trois-quarts (71%) de l’électricité consommée en France sont achetés aux tarifs libres.

Les tarifs régulés

Les tarifs régulés sont fixés par le gouvernement après proposition de la Commission de régulation de l’énergie.

Structure des tarifs régulés - En France, le coût de production du MWh compte pour un tiers dans le tarif de l’électricité pour le consommateur final. Un second tiers de ce tarif provient des coûts de transport et de distribution, et un troisième des taxes qui ont bondi ces dernières années.

Evolution des tarifs régulés

En 2021, le PIB et la consommation d’électricité étant encore inférieurs à ceux de 2019, il n’y a pas de pénurie d‘électricité en France. La répartition de la production entre les différentes centrales électriques a peu évolué depuis 2019, avec toujours 70% de nucléaire, 11% d’hydraulique et 12% de nouveaux renouvelables, toutes strictement franco-françaises. La part du thermique (7%), est en légère baisse en 2021 compte tenu de la réduction de la consommation, de la réduction du charbon et de l’augmentation du prix du gaz.

Source: https://bilan-electrique-2019.rte-france.com/production-totale/#1

Au moment du pic de consommation du lundi 20 septembre 2021, les chiffres de production confirment les données moyennes annuelles : la France n’importe aucun MWh mais dispose à l’exportation d’une puissance de 1972 MW, et ne produit que 3% par ses centrales à gaz.

Mode de production de l'électricité en France le 20 septembre 2021

Note : au moment de la consommation minimum, la production à partir des centrales à gaz était encore plus faible (671 MW). Source : https://www.rte-france.com/eco2mix/la-consommation-delectricite-en-france

Sur toute cette production, seules les centrales aux fioul, charbon et gaz (seulement 5% de la puissance totale) sont sensibles aux évolutions du prix de leurs combustibles sur les marchés de gros. L’augmentation du prix du gaz ne peut donc expliquer l’augmentation des tarifs régulés de l’électricité compte tenu du faible poids du gaz dans la production de l’électricité en France. Ces tarifs n’ont d’ailleurs pas baissé les années précédentes quand le prix du gaz a été divisé par deux.

Pourquoi les tarifs régulés ont beaucoup augmenté

Pas de pénurie, pas d’augmentation des coûts sur 93% de la production totale d’électricité, les causes d’augmentation des prix de l’électricité en France depuis dix ans se cachent ailleurs.

Les nouvelles énergies renouvelables contribuent pour 12% à la production d’électricité mais sont déployées à un rythme soutenu, surtout pour l’éolien (+55% en 3 ans), le solaire progressant moins vite depuis l’abandon des niveaux de subventions extraordinaires (prix de vente allant jusqu’à 450 €/MWh). Ce sont les surcoûts du solaire qui pèsent le plus sur les factures des consommateurs (en 2021, solaire : 3 Md€ pour une production de 14 TWh, éolien : 1,6 Md€ pour une production de 41 TWh). 

Augmentation de la production

 201820192020
Eolien+15,3 %+21,1 %+17,3 %
Solaire+11,3 %

+7,8 %

+2,3%

Source : https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-03/Bilan%20electrique%202020_0.pdf

Décomposition des charges de la Contribution au service public de l’électricité (CSPE)

(ZNI : Zones non interconnectées)

Source EDF : https://www.edf.fr/entreprises/le-mag/le-mag-entreprises/decryptage-du-marche-de-l-energie/evolution-de-la-contribution-au-service-public-de-l-electricite-cspe-au-1er-janvier-2021

Ce développement des énergies renouvelables intermittentes et dispersées sur tout le territoire, entraine l’obligation de restructurer les réseaux de transport et de distribution d’électricité comme l’indique Marianne Laigneau, directrice d’Enedis.

 « On passe d'un réseau où l'électricité va dans un sens, du producteur au consommateur, à un système électrique conçu et exploité de manière totalement différente, avec des acteurs nouveaux. L'entreprise doit raccorder actuellement des nouvelles installations renouvelables au réseau d'électricité. Soit 450.000 producteurs d'électricité en tout, pour une capacité de 26 gigawatts raccordés en dix ans.  Enedis prévoit d'investir 69 milliards entre 2019 et 2035. » De son côté, le président du Réseau de transport d'électricité (RTE) a annoncé un plan d'investissement de 33 milliards d'euros en quinze ans, soit un bond de 50 % en moyenne annuelle jusque 2035 par rapport à son rythme actuel. 

Au total le surcoût d’investissement de RTE et Enedis dû aux nouvelles énergies renouvelables est de 5 milliards par an qui se répercutent sur le coût de la composante « acheminement » du tarif au consommateur final.  

Sources : 

https://www.enedis.fr/sites/default/files/documents/pdf/enedis-dossier-prospective-2050.pdf

https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/electricite-enedis-veut-investir-69-milliards-deuros-en-seize-ans-1182041 

Après le coût des nouveaux renouvelables et celui de la restructuration des réseaux, la troisième cause d’augmentation des tarifs appliqués aux consommateurs est celle des taxes. La CSPE qui reflète une partie de l’impact des nouvelles énergies renouvelables est passée de 4,5 €/MWh en 2004 à 22,3 €/MWh en 2021. Cette taxe d’abord marginale en 2004 pèse maintenant plus de la moitié du coût moyen de production des MWh, de 35 à 45 €/MWh. Déjà multipliée par 5, elle connaîtra une forte augmentation au cours des 5 prochaines années avec la mise en route des centaines de mega-éoliennes marines aux productions massives et aux coûts de 140 à 150 euros/MWh.

Historique des tarifs de la CSPE (€/MWh)

Source CRE : tous les chiffres de 2003 à 2022 https://www.cre.fr/Documents/Deliberations/Decision/evaluation-cspe-2022

Conclusion : le prix des tarifs régulés de l’énergie augmente non pas à cause de Bruxelles ou du gaz utilisé en production de l’électricité mais à cause du déploiement rapide de centrales éoliennes, solaires et de biomasse qui ne sont pas compétitives et exigent une restructuration des réseaux électriques pour l’acheminement.

Les tarifs libres

Les tarifs libres proposés aux particuliers par de nombreux fournisseurs (y compris EDF) sont souvent garantis pour 2 ou 3 ans, isolant provisoirement les clients des augmentations comme des baisses de prix sur le marché de l’électricité. Ils ont à tout moment la possibilité de revenir au tarif régulé pour la grande majorité des contrats (puissance de moins de 36kVA).  

Structure des tarifs libres

Les tarifs libres supportent les mêmes coûts de transport/distribution et les mêmes taxes que les tarifs régulés, et dépendent du coût d’achat ou de production des MWh, et marginalement des frais de gestion. Les fournisseurs d’électricité qui alimentent les consommateurs s’approvisionnent en électricité auprès d’EDF via le dispositif de l’ARENH (Accès Régulé à l'Electricité Nucléaire Historique) et via les bourses européennes qui les mettent en relation avec les producteurs d’électricité. Le dispositif de l’ARENH permet à des fournisseurs d’acheter en gros jusqu’à 100 TWh d’électricité nucléaire à EDF vendue à un prix administré de 42 €/MWh. Certains fournisseurs sont aussi producteurs (avec centrales à gaz, centrales hydrauliques ou autres renouvelables, plus rarement centrales nucléaires) et vendent aux consommateurs cette production.

Sur les bourses européennes (EPEX SPOT, Nordpool, etc…), les fournisseurs négocient des quantités à terme principalement pour se protéger, les contrats à long terme étant généralement à prix maîtrisés, mais aussi des quantités spot. L’électricité spot provient de productions renouvelables intermittentes et de production par centrales à gaz. Une pratique qui a été très rentable ces dernières années, les prix y étant très bas, au point que des fournisseurs n’utilisaient pas leur quota de MWh « nucléaires » à 42€. Mais l’augmentation des prix sur les bourses dues depuis deux ans à l’augmentation du prix du gaz et à la fermeture de nombreuses centrales fossiles et nucléaires a changé la donne, notamment en 2021 comme on le voit entre les lundi 23 septembre 2019 et 20 septembre 2021.

Evolution des tarifs libres

Les fournisseurs appliquent aux consommateurs finaux des tarifs libres qui dépendent d’une part de leur approvisionnement comme expliqué ci-dessus et d’autre part d’une marge qu’ils fixent librement. Les évolutions de ces tarifs sont tributaires de celles des prix de gros sur les bourses, lesquels dépendent largement des prix du gaz.

Comme le montre le diagramme ci-dessous, le prix du gaz est actuellement très élevé à 5 $/MMbtu, contre une moyenne de 3,5 $/MMbtu sur les dix dernières années, avant la crise du COVID, et de 1,5 $/MMbtu  au pire de la crise.

Cours du gaz sur 10 ans – (MMbtu Million british thermal unit)

Source : Trading economics  - https://tradingeconomics.com/commodity/natural-gas

Prix du MWh en Europe, les lundi 23 septembre 2019 et 21 septembre 2021

Source : https://www.rte-france.com/eco2mix/la-consommation-delectricite-en-france

Le 21 septembre 2021, les producteurs qui exportent à ce moment le font à des prix de marché très rentables : 184 €/MWh contre 50 €/MWh en 2019 un lundi comparable. En ce sens, le ministre de l’économie a raison, quand les prix montent, les producteurs qui produisent à bas coût, n’ont pas signé que de contrats à long terme et ont des capacités disponibles, peuvent être très gagnants. C’est le cas d’EDF.

A noter que sur les bourses de l’électricité, s’il y a plus d’électricité renouvelable intermittente, il y a de facto besoin de plus d’électricité produite à partir de centrales pilotables à gaz pour faire l’équilibre offre-demande, ce qui explique l’exposition du cours de ces bourses aux prix du gaz.

Les règles du marché

Parce que l’électricité se transporte assez facilement avec peu de pertes, le marché européen de l’électricité est très ouvert mais aussi très organisé. Les producteurs et les acheteurs en gros peuvent se mettre d’accord, soit directement, soit à travers des courtiers, soit à travers des bourses, sur des contrats de long, moyen, court terme (la veille 13 heures), soit très court terme, une heure avant la livraison des Mwh. D’autres intervenants proposent des capacités payantes de délestage en cas de pointes de consommation, et des producteurs sont financés pour maintenir en stand-by des capacités de production rarement utilisées sauf en période de pointes de consommation.   

Ce système est complexe mais optimise la production et la consommation de l’électricité en Europe. Il lisse aussi considérablement les effets de variations de coûts, la très grande majorité des échanges se faisant à moyen/long terme. Vouloir s’en désolidariser quand ses règles vous sont défavorables, et en profiter quand elles sont favorables comme depuis plusieurs années pour la France, ne correspond pas aux règles de l’Union européenne.

Accroître les capacités de stockage de gaz, en diversifier les approvisionnements, regrouper les commandes des pays de l’UE, augmenter les interconnexions électriques entre pays, semble par contre tout à fait correspondre à de bonnes règles de gestion, déjà largement appliquées.

Conclusion

Les coûts actuels de production et de connexion de toutes les nouvelles énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse, petit hydraulique) étant supérieurs, voire très supérieurs aux coûts de production classique (nucléaire), leur déploiement massif conduit à une augmentation inévitable des tarifs régulés. C’est de la responsabilité des experts et des politiques d’en informer les Français, sans se défausser sur le prix du gaz ou sur Bruxelles, ni affirmer que « les énergies renouvelables sont moins chères ».

En revanche, l’évolution à la hausse des tarifs libres est bien le résultat du fonctionnement concurrentiel européen du marché de l’électricité comme l'a dit le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire. En cela, Bruxelles est impliqué mais l'est aussi dans la plus forte dépendance au marché du gaz du fait de sa politique de développement des énergies renouvelables intermittentes. Et si la diversité des politiques énergétiques menées par les différents pays de I’Union européenne présente l’avantage de répartir les risques, les choix des uns (ex. arrêt rapide du nucléaire en Allemagne) peut avoir des conséquences négatives sur ses partenaires. Réunis à Bruxelles, les ministres ont prôné le développement du stockage du gaz, la diversification des approvisionnements, et la signature de contrat de moyen long terme, toutes mesures très classiques qui n’éviteront pas les évolutions rapides des prix du gaz, et donc de l’électricité, avec la reprise post-covid.

Les tarifs régulés (TRVE, Tarif régulé de vente de l’électricité) sont une spécificité française, censée se terminer dans les années 2020. Les brutales évolutions des tarifs libres sont donc un sujet sensible y compris à terme pour les consommateurs particuliers et c’est aussi aux responsables d’avertir les consommateurs du risque qu’ils encourent sur ce marché comme sur d'autres auxquels ils sont habitués (ex. essence).

Avec la fermeture de nombreuses centrales électriques (charbon, nucléaire, gaz) en Europe, et les interdictions morales de financer de nouveaux gisements d’énergies fossiles, des augmentations de prix brutales sont inévitables, même si une meilleure coopération européenne est enclenchée. Les surcoûts liés à la transition énergétique ne peuvent pas être dissimulés aux consommateurs, mais le « signal prix » doit être transmis de façon progressive et modulée.