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Éoliennes : n’oubliez pas leur surcoût

Le soutien de Stéphane Bern et Brigitte Macron à la contestation contre le déploiement des centrales éoliennes vient de télescoper les instructions envoyées aux préfets par Barbara Pompili, ministre de la transition énergétique. Après des années de mise en garde par les associations de citoyens, puis par des responsables politiques des régions les plus atteintes (Haut de France, Grand Est), les questions posées par les éoliennes terrestres et marines ont surgi dans l’actualité : atteinte aux paysages, bruit, pollution des sols, recyclage des pales, faible part de production française, danger pour les oiseaux, perturbation des zones de pêche, parasitage des radars militaires. Depuis 20 ans, les gouvernements ont largement ignoré ces interrogations, et le parlement a accepté une loi limitant les droits de contestation des opposants.

Mais curieusement, un sujet essentiel, celui du surcoût pour les consommateurs de l’électricité produite par les éoliennes est peu mis en avant. Il est pourtant certain, et se chiffre déjà à un milliard d’euros par an, un montant qui va fortement augmenter dans les 25 prochaines années pour les seuls contrats déjà signés. Et qui sera encore beaucoup plus élevé si la loi de transition énergétique devait être appliquée.

Surcoûts sur la période actuelle 2010-2030

Pendant toute cette période, sur le marché européen de l’électricité, le prix moyen du Mwh varie de 35 à 60 euros pour 90% du temps. Le prix de vente par EDF à ses concurrents des Mwh produits par les centrales nucléaires est de 42 euros, stable depuis 10 ans, mais qu’EDF demande à augmenter à 48 euros. Celui des Mwh produits par les centrales à gaz est d’environ 65 euros, variable en fonction du cours du gaz.

Prix d’achat moyen sur la période 2010-2030

 

Prix du marché

Nucléaire

Gaz

Eolienne terrestre

Eoliennes marines

Prix par Mwh

35-60

45

65

80

131 à 155

 

Note : Les annonces des responsables politiques ou techniques portant sur les coûts de production des éoliennes devraient toujours être qualifiées : coût de production du stock actuel d’éoliennes ? en France ou à l’étranger ?  des plus récentes ou des futures éoliennes ? La tribune du président de la Commission de régulation de l'énergie  affirmant le 17 juin 2021 "Sur le plan économique, les énergies renouvelables atteignent aussi le même niveau de prix que l'électricité nucléaire historique", est trompeuse, aucune énergie renouvelable produite en France n'étant compétitive en 2021. Idem pour l'affirmation de la Ministre " Aujourd’hui, le coût de production d’un MWh éolien est d’environ 60 €/MWh, ce qui est voisin du prix du marché ".  Le diagramme ci-dessus publié par l’ADEME se réfère sans doute à des coûts les plus performants du moment, en Europe ou dans le monde, mais pas en France si on en juge par le coût de l’éolien marin, annoncé à 40 euros, alors qu’en 2023, la seule centrale marine française produira à 140 euros.   « Coût des énergies renouvelables, ADEME  2019 ».

En 2021, le prix d’achat des Mwh produits par les centrales éoliennes terrestres existantes est en moyenne de 85 euros. La majorité des contrats ont été signés à 82 euros, conformément aux décrets de 2006 et 2014. Les éoliennes construites en réponse aux appels d’offres de 2017 et 2018 recevront 75 euros et 70 euros par Mwh. Pour les éoliennes en production, ces prix augmentent chaque année en fonction d’un indice d’inflation prenant en compte les coûts des composants des éoliennes (ex. cuivre, béton, acier, travaux publics, main d’œuvre). Pour les nouvelles mises en production, le prix initial baisse de 2% par an de délai entre la signature du contrat définitif et la mise en production. Compte tenu des contrats déjà signés, le prix moyen de l’ensemble de la production éolienne terrestre en France restera à ce niveau de 80 euros pendant encore 10 ans.

La production des éoliennes étant aléatoire et intermittente, son utilité est moindre que celle des centrales capables de produire à la demande (gaz, nucléaire, hydraulique de chute). Typiquement, une partie de la production des éoliennes est réalisée quand les besoins sont très faibles (nuits de printemps et été, week-end, jours fériés) et les prix très bas sur le marché. Faute de nouvelle capacité de stockage, cette production est largement inutile. De même, la production des éoliennes ne pouvant pas être augmentée en cas de pointes de consommation (ex. fin de journée l’hiver), cette production n’est pas plus importante quand les prix sont élevés sur le marché. Pour tenir compte de cette moindre utilité, les Mwh produits par les éoliennes doivent être affectées d’un coefficient négatif. En supposant que chaque Mwh éolien produit n’est utile en moyenne qu’à hauteur de 0,75Mwh, le prix des Mwh éoliens utiles de 80 euros est en réalité de 100 euros. A ces prix devraient s’ajouter les coûts d’adaptation du réseau électrique à ces nouvelles sources d’énergies nombreuses et aléatoires, de leur gestion administrative et des investissements nécessaires pour éviter les délestages ou black-out (construction de centrales au gaz, subventions aux délestages volontaires) liés au caractère aléatoire de la production éolienne.   

Aucun champ d’éoliennes marines n’est encore construit en France, mais les Mwh qui seront produits à partir de 2024 par les 6 premiers champs déjà attribués seront vendus au prix fixe de 131 à 155 euros par Mwh, pour une durée de 15 ans.  Il est inférieur au prix de 220 euros qui avait été conclu initialement avec les promoteurs de ces centrales. Mais pour faire accepter cette baisse, l’Etat a accepté de prendre en charge les dépenses d’études des sites et de raccordement des éoliennes au réseau électrique à terre. Des dépenses estimées entre 10 et 20 euros par Mwh.    

Le surcoût pour les consommateurs de l’électricité produite par les éoliennes résulte des tarifs fixés par les gouvernements, complétés par l’obligation d’achat imposé aux consommateurs. Actuellement, chaque Mwh éolien terrestre coûte environ deux fois plus cher brut que le prix du marché (80 vs. 40 euros), et en réalité 2,5 fois plus (100 vs. 40 euros). Les Mwh éoliens marins coûteront à 140 euros (+25%) aux consommateurs 4 fois plus que le prix du marché pendant 15 ans.    

Situation future 2030-2050

De multiples facteurs vont redistribuer les cartes entre les différents moyens de production de l’électricité. Si les recommandations de l’AIE étaient appliquées (arrêt immédiat des recherches de nouveaux gisements de gaz et de pétrole), le prix du Mwh produit par des centrales à gaz exploserait à des centaines d’euros[1].  Les projections pour les coûts du mix d'ancien, de reconditionné et de nouveau nucléaire sont assez homogènes. Celles pour l’éolien terrestre sont très positives mais incertaines en France. Le coût de la plupart de leurs composants classiques (acier, béton, plastique) a tendance à augmenter ; leur design est mature et très proche de l’optimum (structure et forme des pales, générateurs) ; le coût de location des terrains augmente régulièrement, une tendance qui va s’aggraver avec le zéro-artificialisation des terres et avec les problèmes d’acceptabilité par les Français ; et les meilleurs emplacements sont déjà pris. A l’étranger Arabie saoudite, Texas, Maroc, des prix de Mwh éolien terrestre très bas sont déjà effectifs, dans des environnements très différents de notre pays.

Pour l’éolien marin, l’écart entre les prix français et étrangers s’expliquerait par la configuration du plateau continental beaucoup plus profond sur nos côtes. En France, la promesse d’EDF d’un prix de vente à 44 euros le Mwh pour la centrale éolienne marine de Dunkerque, a surpris et éliminé tous ses 6 concurrents.

Un prix d'autant plus étonnant qu'EDF a ensuite conclu un contrat à 75 euros pendant 20 ans aux Etats-Unis pour une centrale éolienne marine plus puissante que celle de Dunkerque, en face du New-Jersey. Un pays où les coûts sont toujours moins élevés qu'en France. 

Ce prix de 44 euros donne lieu à des hypothèses : progrès considérables[2] ? dumping ? position « pour voir » sans engagement ferme de construire ces 45 éoliennes ? pari sur un prix des Mwh en 2027 très supérieur à 44 euros ? En pratique, le prix de 44 euros est un prix d’achat garanti par l’Etat. Si le prix du marché est de 30 euros, l’Etat versera la différence à EDF soit 14 euros. Si le prix de marché est de 60 à 70 euros comme c’est probable, EDF vendra sa production sur le marché à ce prix. Il devrait reverser à l’Etat une partie de la différence entre 44 et 60-70 euros mais conservera une partie de ce « bénéfice ».

Sur la période 2030-2050 la plus grande partie des Mwh éoliens marins sera fournie par les centrales éoliennes dont la construction va commencer ces prochaines années, produisant à 140 euros en moyenne.    

Prix d’achat moyen sur la période 2030-2050 (France)

 

Nucléaire

Gaz

Eoliennes terrestres

Eoliennes marines

Prix par Mwh

50-70

90

55

120

 

Conclusion

En 2021, le surcoût dû aux éoliennes est de 1 milliard d’euros par an. Il monterait à 3 milliards en 2030 avec le doublement annoncé du nombre d’éoliennes et la mise en production des 6 centrales éoliennes marines déjà engagées. A ce montant, s’ajoutent les restructurations du réseau de transport et de distribution d’électricité, les protections contre les black-outs et le raccordement des éoliennes marines pour un total de 2 milliards par an. A titre de comparaison, en 2030 le surcoût dû aux nouvelles énergies renouvelables (éolien, solaire, méthanisation, petit hydraulique) sera proche du budget du ministère de la Justice, soit 8 milliards d'euros.  

Le coût de l’énergie est un élément important pour le niveau de vie des Français et pour la compétitivité des entreprises situées en France. La grande sensibilité des ménages à ce sujet s’est fortement manifestée en 2019. Les entreprises sont plus discrètes, mais la grande désindustrialisation de la France a été tout aussi catastrophique.

Sans atteindre le scandale du déploiement massif du photovoltaïque dans les années 2000 avec des prix allant jusqu’à 550 euros par Mwh, le cas de l’éolien terrestre et marin montre qu’il ne faut pas déployer massivement des technologies non matures encore très coûteuses, mais multiplier les expérimentations, et concentrer ses moyens sur la recherche d’améliorations de ces nouvelles technologies. Un message sur lequel a insisté le président d'Air liquide pour le plan hydrogène, en contestant la multiplication des démonstrateurs d'électrolyeurs  pour des flottes de quelques bus à hydrogène, alors qu'il faut travailler sur le problème de fond : diviser par 3 le coût de l'hydrogène propre et des piles à combustible.

Avec son nucléaire, la France n’a aucune des raisons qu’ont ses voisins de se précipiter dans une profonde modification de leur mix énergétique : l’Allemagne pour remplacer le charbon et la lignite, l’Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni pour réduire l’utilisation de gaz produit localement ou importé, l’Espagne pour exploiter un potentiel unique d’espace et de soleil. Même en Europe, chaque pays doit choisir la politique énergétique qui convient à son histoire, ses capacités et ses besoins, tout en réduisant ses émissions de CO2.     

   


[1] La production des puits de pétrole et gaz existants baisse de 8% par an. Heureusement, les recommandations de l'AEI ne seront pas appliquées, évitant une crise économique, alimentaire et sociale mondiale majeure. 

[2] D’autant plus surprenant que les éoliennes étant fournies par des prestataires extérieurs, la marge d’action d’EDF est limitée.