Tribune

La décarbonation doit servir la réindustrialisation, et non l'inverse !

Nous sommes dans un piège, un piège bureaucratique et technocratique. La Commission européenne veut nous faire avancer à marche forcée vers une baisse de 90 % de nos émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2040. Rappelons qu'il y a déjà un objectif de baisse de 55 % fixé pour 2030, que nous ne sommes pas certains d'atteindre. En présentant cette nouvelle contrainte au Parlement européen, la commission européenne risque d’entrainer à nouveau la France dans une situation ubuesque qui va nous emmener à de devoir payer des amendes alors que nous produisons moins de GES que nos voisins européens ! Car nous utilisons en France une Energie plus décarbonée grâce à l’électricité nucléaire.

Comment la France a-t-elle pu accepter que le calcul se fasse en pourcentage de baisse par rapport au niveau des émissions de CO2 de 1990. Forcément, pour cette nouvelle étape à -90% en 2040, le pays est réticent et le président de la République s’est insurgé contre cet objectif sorti du chapeau de l’Union avant la neutralité carbone en 2050. A juste titre car nous sommes le pays du G7 qui émet le moins de CO2 par habitant avec le Royaume Uni et que nous avons déjà une électricité très décarbonée avec le nucléaire. Avec 369 millions de tonnes CO2 en 2024 (et une empreinte carbone de 644 millions de tonnes en 2023 en incluant les émissions importées), La France ne représente que 0,9% des émissions mondiales quand notre PIB correspond à 3% du PIB mondial. 

En toute logique l’ajustement devrait se faire par rapport aux émissions moyennes de Co2 par habitant ! Voyons plutôt : nous émettons 5,9 tonnes de Co2 par habitant quand la moyenne de la zone euro est de 7 tonnes. L’Allemagne est à 8,0 tonnes par habitant, l’Italie à 6,5 tonnes, l’Espagne à 5,8 tonnes, les Pays-Bas à 8,5 tonnes, la Belgique à 8,0 tonnes, l'Irlande à 10,0 tonnes, le Luxembourg à 13,0 tonnes.  Par rapport aux pays du G7 également, la France est aussi très bien placée. Si on fait le tour de ses membres hors Union européenne, on constate que les États-Unis sont à 17,61 tonnes de Co2 par habitant, le Canada à 15,2 tonnes, le Japon à 9,0 tonnes et le Royaume-Uni à 5,6 tonnes.

 

Si l’on ajoute à nos émissions nationales de CO2, celles associées aux importations de biens, nous montons alors à 9,4 tonnes par habitant ce qui reste inférieur au Luxembourg ou à l’Allemagne, mais supérieur à certains pays européens comme le Portugal.  Ne pose-t-on pas la question à l’envers en Europe ? Ne faudrait pas plutôt se poser celle de produire plus en France et en Europe, quitte à générer plus d'émissions intérieures de CO2 par habitant mais en réduisant, du coup, les émissions importées ?

En réalité, si nous voulons moins de GES pour la planète, ce n’est pas moins de Co2 en France qu’il faudrait émettre mais bel et bien plus. En produisant plus en France avec une industrie plus décarbonée, le volume d'émissions de GES imputable à la France baisserait ! Prenons des hypothèses simplifiées : si notre pays réduisait ses importations de 50%, les émissions territoriales par habitant passeraient de 5,9 à 7,3 tonnes d'équivalent CO2, certes. Mais l’empreinte carbone totale par habitant diminuerait, passant de 9,4 à 7,83 tonnes. Cela induirait donc une baisse nette de l’impact climatique global, car la production française est moins carbonée que celle des pays exportateurs. 

Atteindre la neutralité carbone sans se soucier des émissions liées aux importations n’a aucun sens. Comment là encore a-t-on pu laisser passer une règle de calcul sur la neutralité carbone qui ne prend pas en compte les émissions de GES importées ? Même si l’UE a mis en place un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières censé être opérationnel en 2026, cela n’a rien à voir et commence déjà à être détricoté dans le cadre de la simplification. On peut dire que les objectifs européens pesant sur les Etats demeurent hors sol. Et la France va se retrouver encore pénalisée alors qu’elle est plus vertueuse que ses voisins. 

Comme en 2020 lorsque la France a été réputée seul pays de l’Union à ne pas avoir atteint son objectif de 23% d’énergies renouvelable (EnR) dans sa consommation énergétique brute – l’obligeant à acheter des « mégawatts statistiques » à des pays comme l’Italie et la Suède pour environ 500 millions d’euros ! En 2020 la France était à 19% mais à plus de 50% d’énergie décarbonée grâce au nucléaire. L’UE a accepté d’inclure le nucléaire dans les énergies vertes mais continue de pénaliser la France et son énergie nucléaire. Nous marchons sur la tête. Il est nécessaire d’adopter au niveau européen des objectifs plus cohérents :

  • Pour la consommation énergétique brute : fixer des objectifs en part d’énergies vertes et non d’énergies renouvelables 
  • Pour la décarbonation : chiffrer des objectifs en tonne par habitant et non en pourcentage de baisse par rapport à 1990
  • Pour une décarbonation qui ne rime pas avec désindustrialisation et arrêt de la production européenne : inclure dans les objectifs des objectifs de relocalisation industrielle avec baisse de l’équivalent des émissions de GES importés par rapport au niveau en tonne par habitant actuel

Les Etats membres devraient recevoir des bonus quand ils arrivent à diminuer leur empreinte carbone globale en tonne par habitant tout en réindustrialisant !