Data centers : où en est la France ?
Le développement des datacenters en France est soumis à des injonctions contradictoires. D’un côté, la France cherche à renforcer sa souveraineté en matière de stockage de données alors que l’on estimait encore récemment que 70 % des données françaises étaient stockées aux Etats-Unis. De l’autre, l’activité fortement consommatrice d’énergie est scrutée pour son impact environnemental et de plus en plus encadrée par des réglementations européennes et françaises. Cette réglementation qui s’est accélérée ces derniers mois ne devrait pas décourager l’implantation de datacenters en France. Si leur poids en termes d’emplois créés reste limité (entre 30 et 50 000 emplois selon les estimations), leur activité va devenir essentielle pour le développement de l’économie numérique. D’un point de vue énergétique, ils pourraient bénéficier de la production abondante d’électricité prévue en France dans les prochaines années tout en apportant de la flexibilité au réseau électrique.
Un développement spectaculaire des datacenters
En matière de datacenters, la France occupe en 2024 la 6e place au monde, et la 3e place en Europe après le Royaume-Uni et l’Allemagne[1] (source Statista Cloudscene). L’Ile-de-France est devenue la troisième région la plus importante en Europe en termes d’accueil des datacenters selon le cabinet de conseil immobilier CBRE.[2]
Le développement des datacenters en Europe, et plus particulièrement en France, est considéré comme une question essentielle de souveraineté. En 2023, on estimait que 70 % des données françaises étaient stockées et traitées aux Etats-Unis[3]. En 2024, en France, l’hébergement des données de santé du Health Data Hub par Microsoft avait suscité de nombreuses réactions conduisant à requalifier l’appel d’offres pour trouver un hébergeur souverain (français ou européen).
Leur fiabilité est aussi une question essentielle comme l’illustre la panne géante de lundi dernier lorsque le service cloud d’Amazon est tombé en panne aux Etats-Unis rendant de nombreuses applications indisponibles (Airbnb, Snapchat, Reddit, ...) et touchant des services ou des sites spécialisés d’entreprises (la banque Lloyds a indiqué que certains de ses services étaient touchés)[4]. AWS est une plateforme de cloud qui fournit aux entreprises des services de stockage de bases de données ou de l’intelligence artificielle. Outre la question que soulève l’externalisation des données pour les entreprises, cette panne interroge sur la dépendance à des fournisseurs basés à l’étranger.
Plug baby plug
Lors du dernier sommet Choose France, l’exécutif a insisté sur les atouts de notre pays en matière d’accueil des infrastructures fortement consommatrices d’énergie comme les data centers : une électricité décarbonée à 95 %, une production record, un réseau fiable et en développement. Au niveau des prix, le document publié par l’Elysée[5] expliquait que les utilisateurs électro-intensifs pouvaient bénéficier de contrats d’approvisionnement sécurisés avec EDF à des prix attractifs en plus d’incitations fiscales : une réduction de 10,5€/MWh pour la TICFE et de 5,7 €/MWh sur la TURPE. Ces avantages sont soumis à des critères d’éco-conditionnalité.
Des géants technologiques comme Microsoft et AWS ont confirmé l’attractivité de la France en annonçant des investissements de l’ordre de 6 milliards d’euros pour développer de nouveaux data centers. Microsoft, en particulier, veut renforcer son infrastructure dédiée à l’intelligence artificielle (IA) et au cloud.
Une forte consommation d’électricité
Les data centers consomment une part croissante de l’électricité. Selon le SDES (Service des Données et Études Statistiques du ministère de l’Écologie)[6], en 2023, les 460 centres de données consommant plus de 1 GWh par an représentaient 3,9 TWh d’électricité. En ajoutant environ 200 centres plus modestes, la consommation totale est estimée entre 4 et 6 TWh par an[7], soit une hausse de 21 % entre 2018 et 2023. Cette énergie alimente principalement les serveurs et leur refroidissement.
La demande énergétique est très concentrée : 21 % des centres de données consomment 78 % de l’électricité totale des data centers en France métropolitaine. L’Île-de-France représente à elle seule 64 % de cette consommation. En 2024, la région parisienne (582 MW) dépasse Amsterdam (570 MW), mais reste derrière Francfort (980 MW) et Londres (1 104 MW), selon CBRE.
L’Île-de-France, la métropole de Marseille[8] et les Hauts-de-France ont longtemps été les lieux d’accueil privilégiés des data centers en France explique RTE. En Île-de-France, parce que les services de cloud se développaient à proximité des sièges des grandes entreprises. A Marseille, car la ville est la « porte d’entrée » des grands câbles sous-marins de télécommunication reliant l’Europe aux autres continents. Enfin, les Hauts-de-France bénéficient de leur proximité avec les autres capitales européennes et de la présence d’un acteur historique, OVH.
Aujourd’hui, le gestionnaire de réseau investit pour augmenter les capacités d’accueil dans ces zones avec un dispositif nommé « zones d’accueil mutualisées », récemment introduit dans la loi française (loi APER[9]), qui permet de développer par anticipation le réseau électrique pour répercuter les coûts avec l’accord de la CRE sur les acteurs qui en bénéficieront pour se raccorder.
Pour les grands centres de calcul, RTE et l’Etat travaillent pour identifier des sites avec un large foncier disponible à proximité du réseau à très haute tension. Sur ces sites, les opérateurs pourront bénéficier de la part de RTE d’un accès rapide à de fortes puissances (entre 400 et 1000 MW), sans générer des conflits d’usage (voir exemple de Marseille).
Les élus s’élèvent contre le développement des datacenters Le directeur de RTE Marseille explique que la ville figure dans le top 10 mondial des hubs de connectivité télécom, grâce à sa place privilégiée comme point d’arrivée européen de nombreux câbles sous-marins internationaux. Mais les data centers commençaient à entrer en concurrence avec d’autres projets comme l’alimentation électrique des navires à quai dans le port, l’aménagement du quartier Euroméditerranée, etc. RTE a travaillé pour identifier une zone plus favorable à leur raccordement. La zone de Plan de Campagne a été choisie avec une extension envisagée jusqu’à près de 500 MW de puissance électrique. Dans la ville de Marseille qui compte déjà 6 data centers, des voix s’élèvent contre le développement de ces infrastructures, des conflits d’usage et des conséquences sur la consommation locale d’électricité et sa soutenabilité[10]. Les élus voudraient limiter l’implantation de ces centres (au nom de la préservation du foncier et de la volonté de développer des activités plus créatrices d’emplois). La ville a décidé de refuser tout nouveau projet une fois achevé la construction - en cours - de MRS5, le cinquième data center phocéen de Digital Realty. |
Selon le bilan prévisionnel 2023 de RTE, la consommation électrique des data centers pourrait atteindre 23 à 28 TWh d’ici 2035, soit environ 4 % de la consommation électrique française. Les projets récents, notamment pour l’IA, nécessitent des puissances de 100 à 200 MW, équivalentes à la consommation de villes comme Rouen ou Bordeaux. Toutefois, RTE note que les centres dédiés à l’IA pourraient être mieux répartis sur le territoire, car moins contraints par les délais de communication que les serveurs de données traditionnels (pour lesquels les temps de réponse et d’échange avec les serveurs doivent être très courts, problématique qui peut être résolue par des serveurs plus petits mais plus proches des utilisateurs finaux[11]).
Des ambitions à concilier avec les politiques environnementales
Les data centers posent des défis environnementaux majeurs : consommation d’énergie, émissions de CO2, utilisation d’eau et production de déchets. L’Union européenne et la France ont introduit des réglementations pour encadrer leur impact. La Directive UE 2023/1791 impose aux centres de plus de 1 MW de valoriser leur chaleur résiduelle, tandis que le Règlement UE 2024/1364 établit un système de notation de la durabilité. En France, la loi REEN (Réduction de l’Empreinte Environnementale du Numérique) impose des critères environnementaux, comme la valorisation de la chaleur, pour bénéficier de tarifs réduits sur l’électricité. Certains data centers réutilisent cette chaleur pour alimenter des réseaux de chaleur urbains.
Dès octobre 2025, les centres de plus de 500 kW devront déclarer leurs consommations énergétiques sur une plateforme européenne. Les opérateurs devront publier chaque année des indicateurs de performance : consommation d’énergie globale, part des énergies renouvelables, actions pour améliorer l’efficacité énergétique. Les entreprises clientes devront, elles aussi, vérifier la conformité des datacenters qu’elles utilisent. Elles seront de plus en plus incitées à choisir des fournisseurs respectant ces nouvelles obligations, notamment pour répondre à leurs propres engagements en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et aux exigences des investisseurs.
Ceux dépassant 1 MW devront valoriser leur chaleur fatale, sauf dérogation pour des raisons techniques ou économiques[12]. En cas de non-conformité à l’obligation de valorisation de la chaleur fatale produite, les sanctions peuvent aller jusqu’à la mise en demeure, et une amende jusqu’à 50 000 €. Les data centers présentent de gros gisements de chaleur fatale. En 2020, le potentiel de chaleur fatale récupérable via les data centers était estimé à 1 TWh, soit 100 000 équivalents logements. En 2030, compte tenu de l’augmentation du nombre de data centers, le potentiel de chaleur fatale récupérable pourrait représenter 3,5 TWh. Ces opérations complexes sont éligibles aux subventions CEE.
Par ailleurs, la loi DDADUE impose aux entreprises consommant plus de 2,75 GWh par an un audit énergétique tous les quatre ans, ou un SME certifié ISO 50001 avant octobre 2027[13]. Ces audits doivent couvrir 80 % de la facture énergétique et identifier des actions concrètes de réduction.
De plus le décret tertiaire impose aux bâtiments tertiaires de plus de 1 000 m² une réduction progressive de leur consommation énergétique : le secteur devra réduire de 40 % d’ici 2030, 50 % d’ici 2040 et 60 % d’ici 2050 la consommation énergétique finale d’un bâtiment à usage tertiaire[14].
Les data centers ont toutefois pour atout de contribuer à la flexibilité du système électrique - un enjeu croissant avec la montée des prix négatifs. Selon le groupement GIMELEC[15], les datacenters permettent de moduler à la hausse comme à la baisse la consommation d’électricité, voire d’en injecter dans le réseau en cas de besoin. La flexibilité des data centers permet d’atteindre près de 2,1 GW en 2035, soit 70 % du niveau actuel d’effacement de l’industrie en France[16]. Selon l’étude du Groupement cité par cette note, les flexibilités des datacenters sont de 3 ordres :
1/ Les groupes électrogènes de secours dont les data centers sont actuellement équipés qui pourraient servir.
2/ Les batteries électrochimiques dont se servent les datacenters pour assurer la continuité des services numériques. Ces batteries et leurs futurs développements plus performants pourraient agir à la fois à la hausse et à la baisse pour flexibiliser la consommation.
3/ Le rapport suggère aussi d’agir sur les systèmes de refroidissement qui pourraient être modulés pour ajuster la consommation.
Le rapport propose aussi de décaler les charges des serveurs dans le temps pour profiter d’un moment où le réseau sera moins tendu.
Ces ajustements nécessiteront d’être anticipés en amont de la réalisation des datacenters et justifieraient une rémunération pour participation à l’effacement du réseau électrique.
Microsoft relance la centrale nucléaire de Three Mile Island pour alimenter ses data centers[17] Arrêtée en 2019, la centrale nucléaire américaine de Three Mile Island en Pennsylvanie reprend du service pour Microsoft qui souhaite exploiter l'énergie produite par l'un des réacteurs pour alimenter ses centres de données aux Etats-Unis. La société Constellation, propriétaire du réacteur depuis 1999, a ainsi annoncé avoir signé un contrat d'achat d'électricité de 20 ans avec Microsoft qui achètera l'énergie issue de la centrale "dans le but d'aider à compenser l'énergie utilisée par ses centres de données […] par de l'énergie sans carbone". Le site est tristement connu après avoir vécu un drame marquant : l'unité 2 de la centrale nucléaire mise en service en 1974 a subi un accident le 28 mars 1979. Un dysfonctionnement du système de refroidissement a provoqué une fusion partielle du cœur du réacteur, entraînant le rejet d'une quantité de radioactivité. Cet accident a été classé au niveau 5 de l'échelle internationale des événements nucléaires (INES). Dans le cadre du contrat avec Microsoft, il n'est cependant pas prévu de remettre ce réacteur sur pied. Seule l'unité 1 fait partie du projet, mais la firme devra mettre les moyens pour s'assurer de sa résistance à l'épreuve du temps. La relance de ce réacteur nucléaire pourrait créer 3 400 emplois directs et indirects pour une production d'environ 835 mégawatts d'électricité sans carbone. |
Conclusion
Les datacenters représentent des enjeux financiers et de souveraineté importants. De forte intensité capitalistique, ils représentent plusieurs milliards d’euros d’investissements et nécessitent pour les acteurs d’avoir une visibilité sur le cadre réglementaire qui va accompagner leurs choix d’investissements. Malgré les efforts mis en œuvre par l’Etat pour attirer des géants numériques et RTE pour offrir des conditions de raccordement favorables, les projets s’accumulent et les contraintes administratives aussi.
Un exemple cité par les opérateurs de data centers : l’obligation de fournir trois fois les mêmes informations sur leur efficacité énergétique : à l'Ademe, à la Commission européenne et à l'Arcep.
Autre exemple, la volonté d’une partie des députés, au nom de la souveraineté, d’exclure de la procédure dite de projets nationaux d’intérêt majeur (PNIM) les centres de données dont le propriétaire étranger, et dont le pays d’origine ne garantit pas un niveau de protection des données équivalent à la RGPD[18].
Autre exemple, toujours à l’Assemblée, une partie des députés ont déposé un amendement au PLF 2025, pour supprimer le tarif réduit de l’accise sur l’électricité consommée pour les datacenters, avec l’argument de la croissance de la pollution associée au numérique estimant qu’il s’agissait d’une niche fiscale défavorable à l’environnement[19].
Les datacenters malgré leur consommation électrique amenée à fortement se développer peuvent participer à la flexibilité du réseau électrique (voir aussi la note IFRAP sur les recommandations du HCEA) et répondre à l’électrification des usages en panne en France ("Notre premier combat, nous qui sommes des acteurs de l'énergie, de l'électricité, ça doit être le combat de l'électrification des usages", dixit Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE) Mais ils pourront jouer pleinement ce rôle si l’environnement réglementaire est stabilisé et leur place dans l’économie pleinement reconnue.
[1] https://fr.statista.com/infographie/24147/pays-avec-le-plus-de-data-centers-centres-de-donnees/
[2] https://www.lesechos.fr/pme-regions/actualite-pme/il-y-a-un-vrai-ecosysteme-les-data-centers-poussent-a-un-rythme-effrene-en-france-2167346.
[3] https://www.hosteur.com/ressources/articles/donnees-francaises-usa
[4] https://www.lopinion.fr/economie/le-service-cloud-damazon-tombe-en-panne-airbnb-snapchat-reddit-inaccessibles?utm_source=piano&utm_medium=email&utm_campaign=opinion-apres-midi&pnespid=Xa12pV1Z6jwSilaQ6M3aFE1I_hMikrt3swFRGqcDY8nKO753dHleI4nW4ldwCR.JJbw7x4bfEQ
[5] https://www.elysee.fr/admin/upload/default/0001/18/84d1c64090376516b4d6d8a5d645ce67c49b0a90.pdf
[6] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/la-consommation-delectricite-des-centres-de-donnees-entre-2018-et-2023
[7] Sur une consommation annuelle de 445 TWh en 2023 soit 1,3 %
[8] https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/comment-marseille-est-devenue-une-capitale-mondiale-des-centres-de-donnees-20250429
[9] https://www.services-rte.com/fr/actualites/cartographie-zones-mutualisation-consommation.html
[10] https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/comment-marseille-est-devenue-une-capitale-mondiale-des-centres-de-donnees-20250429
[11] https://www.ey.com/fr_fr/insights/tmt/les-tendances-autour-des-datacenters-edge-en-france
[12] https://www.gide-realestate.com/loi-ddadue-nouvelles-obligations-de-performance-energetique-pour-les-data-centers-creation-dun-cadre-dedie-information-du-public-et-chaleur-fatale/
[13] https://www.datanumia.com/fr/actualites/norme-iso-50001-demandez-la-prime-pro-smen-avant-fin-2025-pour-recuperer-jusqua-20-de
[14] https://www.maxduboisconsultant.fr/accompagnement-au-decret-tertiaire-comment-ca-marche/
[15] https://gimelec.fr/contribution-des-data-centers-francais-a-la-flexibilite-du-systeme-electrique/
[16] https://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/fort-potentiel-de-flexibilite-des-data-centers-140948/
[17] https://www.usine-digitale.fr/article/ia-generative-microsoft-relance-la-centrale-nucleaire-de-three-mile-island-pour-alimenter-ses-data-centers.N2219114
[18] https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/danger-sur-les-investissements-dans-les-data-centers-en-france-2158884
[19] https://dcmag.fr/des-elus-a-lassemblee-nationale-veulent-supprimer-le-tarif-reduit-de-laccise-sur-lelectricite-pour-les-datacenters/