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Vers le big bang des retraites

On en sait un peu plus sur la réforme des retraites en préparation. Le Haut-Commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, s'est exprimé à l'occasion d'un colloque qui s'est tenu au Sénat, où il a présenté les objectifs du système cible qui devraient être discutés en 2019, et des éléments qui sont soumis à la concertation avec les partenaires sociaux. Et le colloque qui a réuni de nombreux experts a été l'occasion de rappeler les enjeux de notre système de retraites. Avec la réforme en préparation, c'est une grande partie de notre modèle social qui va être revisité.

Emmanuel Macron avait rappelé les grands principes dans son interview face à Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin, rappelant son attachement au système par répartition mais insistant sur son intention de mettre fin aux trop nombreux régimes que nous connaissons : "Ce qu'il faut revisiter, c'est l'injustice du système de retraites dans lequel nous vivons avec une quarantaine de systèmes différents. Progressivement, tout le monde va converger vers un système unique." Le président a redit qu’il souhaitait inclure dans la réforme, tous les régimes, y compris les régimes spéciaux comme celui de la SNCF. Depuis, le Haut-Commissaire à la réforme des retraites a détaillé un peu plus les enjeux de la réforme en préparation.

Une réforme éminemment politique

Jean-Paul Delevoye a débuté son propos en expliquant qu’il s’agissait d’une réforme éminemment politique qui ne visait rien de moins que de transformer le pays. 2018 sera l’année de la concertation, avec, comme il se doit, un site dédié à cet effet où toutes les contributions pourront être déposées. L’objectif sera la discussion d’une loi au 1er semestre 2019 au Parlement. Cependant le Haut-Commissaire envisage une transition (aussi appelée franchise car elle exclurait tous ceux qui sont aux limites du départ en retraite) de 4 à 5 ans.

Au-delà de la seule formule que l’on connaît du programme d’Emmanuel Macron, "1 euro cotisé doit rapporter les mêmes droits à chacun", le système en préparation devra renforcer la cohésion nationale en consolidant les solidarités inter et intra générationnelles. Ajoutons à cela que dans la matinée, la ministre des solidarités, Agnès Buzyn, venue ouvrir le colloque, avait indiqué qu’il n’y aurait pas de nivellement des droits par le bas.

Le projet est donc très ambitieux. Il s’appuie sur quelques principes rappelés par le Haut-Commissaire :

  • Il y a ce qui incombe au monde du travail et ce qui incombe au monde de la retraite. Le système de retraite sera le reflet du monde actif. Autrement dit, le système de retraites ne pourra pas tout résoudre;
  • Universel ne veut pas dire unique : il peut y avoir des différences si cela se justifie par l’équité ;
  • Ce sera un système contributif qui s’appuiera sur toute la carrière des individus, et non sur des statuts.

Une concertation organisée autour de 6 thèmes

La concertation va s’organiser autour de 6 blocs, chacun donnant lieu à des négociations. Les trois premiers blocs seront consacrés aux grands principes du nouveau système de retraite et feront l’objet de discussions jusqu’à l’été 2018.

  1. La construction d’un système universel, commun à tous les actifs où sera abordée la définition du nouveau régime en termes de périmètre, de niveau de couverture, d’assiette et de taux de cotisation (avril- mai) ;
  2. La construction d’un système redistributif et solidaire avec la prise en compte des droits non contributifs liés à la maladie, la maternité, au chômage, ainsi que les minima de pension (mai-juin) ;
  3. La construction d’un système tenant compte des évolutions de la société avec l’examen des droits familiaux et la question de l’égalité entre les femmes et les hommes (juin-juillet).

Les trois autres blocs seront discutés à l’automne :

  1. Les conditions d’ouverture des droits à retraite avec notamment l’objectif de donner plus de liberté dans la transition vers la retraite ;
  2. La reconnaissance des spécificités de certains parcours professionnels où seront examinées les conditions des départs anticipés à la retraite ;
  3. La construction d’un système pérenne, responsable et solide où seront abordées les questions de gouvernance, de pilotage et d’organisation du système universel ainsi que les modalités de transition entre l’ancien et le nouveau système.

Le Haut-Commissaire n’a pas anticipé sur la concertation à venir avec les partenaires sociaux, experts et représentants de l’opinion qu’il souhaite recevoir. Il a cependant apporté quelques précisions intéressantes.

Sur le système cible, tous les actifs seront intégrés, y compris les régimes spéciaux. Mais se pose encore la question de l’intégration des indépendants, car la règle du 1 euro cotisé leur est difficile à appliquer étant donné qu’il n’y a pas, dans leur cas, de cotisation patronale. 

La question du niveau de couverture est également un point épineux : le futur système doit-il couvrir les cotisations jusqu’à 1 PASS ? Et pourquoi pas 3 PASS "pour intégrer les primes des fonctionnaires…" a pris soin de préciser Jean-Paul Delevoye.

Quelle sera la place des droits non-contributifs ?

"Cette réforme doit être l’occasion de revisiter ce qui relève de la solidarité, et qui paye cette solidarité". Un peu plus tôt dans la journée le président du COR avait détaillé les mécanismes de solidarité dans le système de retraite. Il avait tout d’abord insisté sur le fait que notre système actuel réduit les inégalités puisque l’écart interdéciles passe de 5,8 en matière de revenus d’activité à 4,1 en matière de revenus de pensions quand on y inclut les mécanismes de solidarité. En particulier le système de retraites doit être le moyen de réduire le risque de pauvreté à la retraite. Mais c’est un système dont on mesure mal le financement car il repose sur les ressources internes des régimes. Les mécanismes de solidarité représentent 20% des pensions de retraite en moyenne (27% à la CNAV, 7% à l’Agirc-Arrco), 20% également dans la fonction publique (notamment au travers des catégories actives).

Un des objectifs de la future réforme serait justement de rendre plus transparent le financement de ces mécanismes, avait suggéré PL Bras, et pourquoi pas avec un financement distinct par l’impôt. Mais une telle réforme avec plus de transparence risque aussi de remettre en question ces droits. Et de citer les majorations de durée d’assurance pour enfant, qui ne sont pas les mêmes dans tous les régimes ; la réversion, d’autant qu’elle constitue une entorse à la règle du "1 euro cotisé" puisqu’il y a une redistribution des personnes célibataires vers les personnes mariées. Finalement, concluait PL Bras, ce sont des objectifs de politique familiale inclus dans le système de retraite et qui n’ont pas fait jusqu’à présent l’objet de mesures de convergence au fil des réformes, qui constituerait le gros morceau de ce second bloc de débat.

Dominique Libaut, ancien Directeur de la Sécurité Sociale, insistait lui sur une autre question sensible : l’articulation des retraites avec les minimas sociaux : "combien je dois travailler pour valider un trimestre par rapport à la possibilité de valider 1 trimestre avec un minima social ?"

On ne peut donc qu’être d’accord avec J.-P. Delevoye : cette réforme des retraites va effectivement revisiter notre modèle social et on comprend que l’exécutif avance sur ce sujet avec précaution.

Un second round de discussion à l'automne

Le second round de discussion à l’automne ne sera pas moins délicat. Il devra notamment aborder la question de l’âge d’ouverture des droits. Sur ce point, Dominique Libaut a rappelé que l’arbitrage individuel peut parfois être contraire à l’intérêt collectif (et de citer en exemple les médecins pour lesquels l’Etat a intérêt à ce qu’ils poursuivent leur activité) et suggéré que les pouvoirs publics devraient donner plus de contraintes sur l’âge, ne serait-ce que pour donner un signal sur la poursuite d’activité.

Il devra aussi ouvrir le débat sur la reconnaissance de certains parcours professionnels : on ne voit pas comment l’Etat pourra éviter un débat sur la convergence avec le compte pénibilité/catégories actives. Or l’Etat s’était déclaré incapable de mettre en place le compte pénibilité dans la fonction publique en raison de l’indigence de son système de gestion des ressources humaines.

Quel pilotage, quelle gouvernance ?

Enfin, le dernier point sur la gouvernance et le pilotage est aussi un chantier explosif ! Les experts, Antoine Bozio en tête, ont rappelé que les éléments clés qui doivent fonder la future réforme sont un système universel (rappelant qu’à titre personnel il avait à 40 ans acquis des droits déjà dans 7 régimes différents !), une prise en compte de la carrière complète (un système réellement contributif comme l’a confirmé un expert de l’OCDE) et un système qui évolue automatiquement en fonction de la démographie.

Ce dernier point est caractéristique du système en comptes notionnels appliqué en Suède et dont semble s’inspirer le président de la République. Les comptes notionnels enregistrent pour chaque assuré un compte virtuel sur lequel sont enregistrés ses droits à la retraite. Les cotisations versées augmentent le capital virtuel (virtuel car le régime fonctionne en répartition) qui est revalorisé chaque année selon un indice qui doit refléter le rendement que le régime peut offrir sans remettre en cause son équilibre financier. Le capital est converti au moment de la retraite selon un coefficient de conversion qui dépend de l’espérance de vie de la génération à laquelle appartient l’assuré. Comme on le voit, les comptes notionnels sont assez proches dans leur fonctionnement des retraites en points que les Français connaissent déjà.

Un âge pivot est fixé à partir duquel on peut prendre sa retraite sans décote. Dans les comptes notionnels, l’allongement de l’espérance de vie se répercute sur chaque génération concernée, sans mutualisation entre générations. Ainsi, si l'on peut dire, l'âge de la retraite s'accroît automatiquement. Cette condition permet d’équilibrer le système. Cet équilibre automatique contribue à une deuxième différence d’importance avec les systèmes en points : le pilotage ne nécessite pas de se réunir régulièrement pour réexaminer les paramètres d’équilibre du régime. Les comptes notionnels sont plus faciles à gérer. Mais les partenaires sociaux qui craignent d’être dépossédés de leur rôle au sein des retraites complémentaires dans un ensemble plus vaste qui serait piloté par l’Etat ne veulent pas entendre parler d’automaticité. Ils restent très attachés à des temps de négociation qui sont aussi un moyen de justifier leur présence au sein des très nombreuses caisses de retraite.

En revanche, pour les cotisants, les comptes notionnels et leur caractère automatique nécessite d’accroître considérablement l’information délivrée tout au long de la carrière. En Suède, les actifs et les retraités reçoivent tous le même « Orange report » faisant le point sur le système global de retraite et une page faisant le point sur leur propre retraite.

L’automaticité est aussi un moyen d’éviter que la pérennité des systèmes de retraite soit prise en otage par des débats politiques. Yannick Moreau, présidente du Comité de suivi des retraites l’a rappelé, sans les réformes menées depuis 1993, on serait à +7 points de PIB pour nos dépenses de retraite. Une des raisons de cette dérive est que dans les années 70/80 on a « mis des droits supplémentaires dans le moteur » des retraites sans prendre en compte l’allongement de l’espérance de vie. Et très vite s’est posé la question de la pérennité des régimes de retraite. Pilotage automatique ou cogestion avec les partenaires sociaux, cet aspect sera une difficulté supplémentaire à régler d’ici la fin de l’année.

A cette liste déjà longue de sujets brûlants à débattre, la présentation de la future réforme évoque le développement des produits d’épargne supplémentaire par capitalisation, en relation avec la loi PACTE.

Si on doit reconnaître au Gouvernement une volonté de tout mettre sur la table, la concertation permettra-t-elle vraiment de rompre avec le système actuel ? Les délais sont très courts entre la discussion avec les partenaires sociaux et le passage au Parlement et il faudra suivre avec attention tous les aspects de la réforme.