Actualité

Retraites : il est urgent d'introduire une dose de capitalisation

La réforme des retraites n'aborde même pas le sujet de la mise en place d’une part de retraite par capitalisation additionnelle à notre système de répartition. Pourtant, il ne s’agit pas de remplacer un système par l’autre mais de renforcer notre système de retraite en veillant à ce qu’il contribue au développement économique de notre pays. Ce serait aussi une mesure d’équité puisque des régimes par capitalisation obligatoire ont déjà été mis en place : pharmaciens, fonctionnaires, Banque de France, sénateurs, etc. Pourquoi ne pas franchir le pas et généraliser ce système ? Même Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière de 2004 à 2018, s’est exprimé dans Le Figaro, pour cette option : « Je ne suis pas hostile à la généralisation d'une part complémentaire de capitalisation pour que tout le monde y ait accès. Ce serait même une mesure d'équité, à condition de la rendre obligatoire, sinon ceux qui n'épargnent pas connaîtront des difficultés. »

 

Cotisations, prestations et provisions mathématiques au titre de la retraite supplémentaire en 2020 (en milliards €)

 

Cotisations

Prestations

Provisions mathématiques

Souscriptions individuelles

8,6

2,9

110,0

PER individuel

4,1

0,4

13,9

PERP

1,9

0,4

20,3

Produits destinés aux fonctionnaires et aux élus locaux (Préfon, Corem, Fonpel, etc.)

0,2

0,8

22,9

Loi Madelin

2,1

0,6

40,8

Autres*

0,3

0,6

12

Souscriptions collectives

6,4

2,9

107,4

PER d’entreprise collectif et Perco

3,0

0,6

22,6

PER d’entreprise obligatoire et articles 82 et 83

3,5

2,3

84,8

Article 39

1,4

1,2

33,1

Ensemble

16,4

7

250,6

Source DREES

*retraite mutualiste du combattant, exploitants agricoles, autres.

Pour Philippe Desfossés, ancien directeur du régime additionnel de la fonction publique, plus grand régime en capitalisation en France, l'intérêt serait aussi d'assurer notre souveraineté : financer notre dette, financer nos actifs, affronter la transition démographique en permettant de profiter du rendement du capital actuellement réservé aux fonctionnaires. Enfin, ce serait un moyen de mobiliser des fonds pour investir dans la transition énergétique et environnementale et ainsi d’associer les jeunes très sensibles à cette question au fur et à mesure de la constitution de leur épargne. L'existence de fonds de pension serait aussi un moyen de financer et d'augmenter la maturité de notre dette publique, à l'instar du Royaume-Uni.

Quels sont les produits d'épargne retraite ?

D'ores et déjà des systèmes de retraite supplémentaire existent. Un certain nombre de lois ont jalonné son développement même si les règles juridiques et fiscales applicables restent très spécifiques selon les produits.

La loi Pacte a donné un coup d’accélérateur, avec le développement du PER individuel qui remplace le PERP. Les dispositifs individuels représentent 50 % du total des cotisations (8,6 milliards). 14,3 millions de personnes détiennent un contrat de retraite supplémentaire en cours de constitution. Les adhérents à un produit de retraite supplémentaire sont sensiblement plus âgés : 74 % ont 40 ans ou plus. C’est surtout vrai pour les produits souscrits à titre individuel. Cela marque une préoccupation croissante avec l’âge pour le revenu de remplacement une fois à la retraite.

On peut éventuellement intégrer dans ce panorama l’intéressement et la participation qui s’élèvent à 16,1 milliards € nets de versements en 2020. Mais la diffusion est en majorité dans les moyennes et grandes entreprises. Elle reste à développer dans les petites entreprises. Un bon moyen de le faire serait de diminuer le forfait social (recettes de 5 milliards € environ au profit de la CNAV).

En 2020, le montant des prestations servies au titre des contrats de retraite supplémentaire s’élève à 7 milliards €. La part de la retraite supplémentaire reste cependant marginale, rapportée à l’ensemble des régimes de retraite : 5,1 % des cotisations et 2,1 % des prestations. L’ensemble des dispositifs représente en 2020, 250 milliards € d’encours. La France est loin derrière la moyenne OCDE ou les grands pays industrialisés en matière de retraite par capitalisation. Le montant des actifs sur des plans d’épargne retraite représente en France 12,2 % du PIB en 201935 contre 99 % pour la moyenne OCDE, et même 167 % pour la Suisse, 109 % pour la Suède, 212 % pour les Pays-Bas.

Mettre en place un étage de retraite obligatoire collectif par capitalisation : l’exemple de la RAFP

Il faut que des versements réguliers abondent tout au long de la carrière l’épargne retraite des salariés. C’est par exemple ce qui a été mis en place avec la RAFP : retraite additionnelle de la fonction publique pour les agents des trois fonctions publiques. Il s’agit d’une retraite obligatoire par capitalisation. Les cotisations sont calculées sur les primes et indemnités dans la limite de 20 % du total du traitement brut annuel. Le taux de cotisation est de 10 % : 5 % à la charge du fonctionnaire ; 5 % à la charge de l’employeur public. La RAFP a été mise en place par la réforme des retraites de 2003 et représente, après seulement 17 ans, 37 milliards € d’actifs sous gestion. 385 millions € de prestations ont été versées en 2021 pour 1,9 milliard € de cotisations encaissées.

Mettre en place un étage de retraite obligatoire capitalisation : quid du privé ?

La difficulté pour les salariés du privé est que le taux de cotisation retraite est déjà très élevé. Il est donc impossible d’ajouter une cotisation supplémentaire au profit d’une retraite par capitalisation. La seule solution est d’affecter une partie des cotisations actuelles. En 2017, nous avions proposé de transférer la cotisation AGFF qui avait été mise en place pour assurer le financement de la retraite à 60 ans en 1981. Elle représentait 2 % de l’assiette salariale (comparable à la cotisation RAFP pour le public). Cependant, la réforme de l’Agirc-Arrco en 2019 l’a intégré dans la Contribution d’Équilibre Général (CEG). Une autre solution serait d'y affecter des cotisations finançant d'autres régimes sociaux (logement, transport...)

La proposition de la Fondation iFRAP

Le report de l'âge de la retraite pourrait permettre de dégager des ressources pour les régimes de retraite de base et complémentaires permettant d'amorcer cette épargne par capitalisation : affectation de la CEG, fléchage de la différence entre taux d'appel et taux de cotisation Arrco-Agirc (127 % du taux théorique depuis 2019), affectation d'autres cotisations. Les cotisations pourraient être fixées à 1 % puis monter graduellement vers 2 % et ne seraient pas financées par le contribuable. Par ailleurs, il est essentiel que le bénéficiaire futur du capital ait la capacité de décider dans quelles valeurs son compte sera investi ou de déléguer cette décision à des gestionnaires agréés.

  • Modélisation de l’impact d’une retraite complémentaire obligatoire par capitalisation :

Nous reprenons ici un calcul sur ce que pourrait être l’impact d’une cotisation de 2 % affectée à un fonds de capitalisation obligatoire. Les chiffrages montrent l’impact d’un financement par capitalisation sur le niveau de retraite eu égard au dernier salaire : +4 points de niveau de remplacement pour une cotisation de 2 % par an. Et plus de 5 points pour un cadre et 6 points pour un non-cadre en passant la cotisation à 5 % du salaire.

L’effort d’épargne demandé n’est pas excessif si l’on considère un financement partagé entre les entreprises et les salariés. Ce financement pourrait en outre être assorti d’une exclusion de l’assiette de l’impôt sur le revenu pour les salariés. Le financement par l’entreprise pourrait être déductible pour celles qui souhaiteraient financer au-delà des 2 % ou 5 %. Sur la base du salaire moyen français (3 000 € bruts moyen), ce fonds pourrait être alimenté avec 13 milliards € par an dès la première année. Ces fonds investis dans l’économie productive au travers d’entreprises françaises cotées en Bourse, pourront contribuer à la compétitivité de l’économie française et par là même à la croissance.

La priorité nous semble de développer l’épargne retraite collective qui bénéficie aux salariés modestes et/ou qui commencent leur vie active et qui n’accompliraient pas autrement un acte d’épargne, ce qui permet de mutualiser au sein des entreprises l’effort entre les hauts et bas salaires, et qui peut constituer un argument en faveur du recrutement ou de la fidélisation des salariés de l’entreprise.