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Réforme des retraites : une nécessaire clarification

Le gouvernement s’attaque à la grande réforme des retraites avec la mise en place d’un système universel où "un euro cotisé donnera les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé". La tâche est énorme compte tenu de la diversité des régimes de base (salariés du secteur privé environ 70% des actifs, régimes spéciaux du secteur public 19% des actifs et régimes des non-salariés 11 % des actifs), des nombreux régimes complémentaires obligatoires par répartition et des régimes sur-complémentaires par capitalisation. Parallèlement, la communication qui est faite autour de cette réforme insécurise fortement les Français compte tenu d’annonces mal formulées sur des sujets essentiels : régimes par points ou comptes notionnels, rentes de réversion, carrières longues,... Les choses doivent être reprises en main rapidement par le gouvernement afin de ne pas générer des angoisses et mécontentements.

Jean-Paul Delevoye a été nommé haut-commissaire à la réforme des retraites par décret du 11 septembre 2017 avec des missions très larges : "organiser la concertation avec les principaux acteurs du champ des retraites et coordonner, au niveau INTERMINISTERIEL, les travaux de préparation de la réforme des retraites. Il rendra compte de ses travaux au Premier ministre et à la ministre des Solidarités et de la Santé". La concertation doit se poursuivre jusqu'à l'automne avant la discussion autour d'un projet de loi au printemps 2019. La réforme prévoiera une transition assez longue, probablement d'ici 2022. Avant même la pose de la première pierre des fondations, le Président de la République, Emmanuel Macron, passe déjà à la conclusion en posant un postulat qui va rendre impossible l'équilibre de l'édifice. Il a déclaré en effet qu’il ne comptait pas augmenter – pendant son quinquennat – l'âge légal de départ à la retraite.

Age de départ à la retraite

Les sénateurs René-Paul Savary et Jean-Marie Vanlerenberghe de retour d’un voyage dans trois pays d’Europe (Allemagne, Suède, Italie) où des réformes ont été engagées dans les années 1990, rappellent utilement que "la question des âges de la retraite demeure centrale" pour tendre vers un équilibre financier. Ils proposent en particulier le report de l’âge légal en France de 62 à 63 ans. En fait il faudrait le porter très rapidement à 65 ans. 

On peut déjà dire que la notion d’âge légal de départ à la retraite en France n’est pas d’une clarté lumineuse. C’est l’âge à partir duquel un salarié du privé ou un fonctionnaire de catégorie sédentaire (ne présentant pas de risque particulier) a le droit de faire valoir ses droits à sa retraite de base.

Cet âge est fixé à 62 ans pour les personnes nées à partir du 1er janvier 1955 et les retraites sont versées pendant plus de 25 ans (et même 30 ans à l'Agirc pour les femmes). Lorsque les régimes de retraite ont été mis en place à partir de 1945, il était de 65 ans et les retraites à cette époque étaient versées un peu plus de 10 ans. Une ordonnance de 1982 a réduit l’âge légal à 60 ans alors que l’espérance de vie à la retraite augmentait considérablement, ce qui a été à l’origine des déséquilibres financiers que nous connaissons actuellement.

La France se situe dans la moyenne basse des autres pays européens et les déficits actuels encouragent le report de l’âge légal (de 65 à 67 ans en Allemagne d’ici 2029 et 66 ans au Royaume Uni d’ici 2020).

La notion d’âge légal ne signifie pas automatiquement de percevoir une retraite à taux plein. Le retraité doit avoir cotisé le nombre de trimestres fixé par la loi. Ce nombre de trimestres dépend de la date de naissance de l’individu. Il a varié de 160 trimestres pour ceux nés en 1948 et a été porté à 172 trimestres pour ceux nés à partir de 1973. En cas d'insuffisance de trimestres la retraite est minorée à l’exception des personnes qui partent à partir de 67 ans.

En dehors de cette notion d’âge légal, les départs à la retraite s’échelonnent donc entre 52 ans (pour certains régimes spéciaux comme les conducteurs d’autobus) et 70 ans.

Rôles respectifs de la répartition et de la capitalisation

Dans son panorama des systèmes de retraite en France et à l’étranger le Conseil d’Orientation des Retraites (COR – séance plénière du 17 février 2016) précise :

Un système de retraite peut être caractérisé comme une maison à quatre niveaux...

  • Le rez de chaussée : les minimas de retraite ou retraites planchers – tous les pays en ont au moins un visant à assurer un socle de solidarité commun à tous les retraités ;
  • Le 1er niveau : les retraites de base – par répartition.
  • Le 2e niveau : les retraites professionnelles – en capitalisation, sauf en France où les régimes complémentaires professionnels obligatoires sont en répartition et sont généralisés aux salariés et aux indépendants. Les dispositifs professionnels en capitalisation ne sont pas explicitement obligatoires (ils le sont souvent à l’échelle de certaines branches d’activité).
  • Enfin, le 3e niveau : les retraites individuelles, facultatives, en capitalisation uniquement, qui dépendent de la capacité d’épargne des individus." 

Compte tenu de la mission très transversale confiée à Monsieur Delevoye on était en droit d’espérer une réforme globale qui couvre les 4 étages de la maison retraites. Or cela ne semble pas du tout le cas, car le ministère des Finances vient de présenter au conseil des ministres du 18 juin dernier son projet de loi PACTE (Plan d’action pour la Croissance et la transformation des Entreprises) qui intègre un volet "retraites" assez surprenant car il privilégie fortement les produits d’épargne au détriment des versements en rentes.

Or selon les dernières prévisions du COR, la situation financière des régimes de retraite se dégrade fortement du fait de la révision des perspectives démographiques et économiques à tel point que pour tenter de résorber ce déséquilibre il faudrait baisser le montant des retraites entre 10 et 20% dans les années à venir. De toutes façons les réformes qui seront prises – sauf à baisser les retraites actuellement en cours de versement – mettront de nombreuses années avant de porter leurs fruits.

Pour compléter la forte dérive à venir des régimes obligatoires de retraite par répartition il faudrait les compléter par de la capitalisation avec sortie en rentes (viagères). En effet, il faut des revenus réguliers et suffisants à la retraite. Ce n’est pas toujours facile lorsqu’on est âgé de gérer son patrimoine. Par ailleurs, le nombre de majeurs protégés connaît une croissance exponentielle, près de 1 million actuellement dont le patrimoine est géré donc par un tiers avec le plus souvent la nécessité d’obtenir des revenus.

Or les Français n’ont jamais été très attirés par les sorties en rentes. Ils craignent qu’en cas de décès prématuré après leur retraite, toute l’épargne accumulée pendant leur vie professionnelle soit perdue. En effet tout un chacun sous-estime son espérance de vie à la retraite. Les compagnies d’assurance ont pourtant mis en place des formules qui sécurisent les rentes avec bien sûr les traditionnelles options de réversion. Mais au-delà, il y a aussi les rentes avec annuités garanties par lesquelles les compagnies peuvent s’engager à les verser pendant une durée minimum – par exemple 20 ans – et en cas de décès prématuré le solde est versé aux ayants droits désignés.

Aujourd’hui, compte tenu des taux d’intérêt bas et de l’allongement considérable de l’espérance de vie à la retraite, le rendement des rentes n’est pas très attractif. C’est pourquoi il faut de fortes incitations fiscales soit à l’entrée soit à la sortie avec par exemple une défiscalisation des rentes versées.

Enfin les rentes ne s’achètent pas spontanément. Il faut des conseillers spécialisés qui puissent faire un bilan des droits acquis dans les différents régimes obligatoires (dans la période à venir cela ne va pas être évident), évaluer avec le client ses besoins à la retraite et mettre en place le complément indispensable en capitalisation dans le meilleur contexte fiscal et social. Or ce sont surtout les bancassureurs qui commercialisent ces produits et il n'est pas toujours facile de vendre de la retraite. Il est beaucoup plus facile de proposer des produits d’épargne puis de les transférer d’un produit vers un autre en fonction des modes et des opportunités, mais ce n’est pas cela qui va générer des revenus réguliers à la retraite. Le journal l'Argus de l'Assurance du 3 mai 2018 évoque les annonces du ministre de l'Economie : "le premier objectif de la réforme sera d'assurer "la portabilité" de tous les produits d'épargne retraite existants (Perp, Perco, article 83, Madelin) afin que l'épargnant dispose d' "un seul et même produit tout au long de sa vie" qu'il change d'entreprise, de métier ou même de statut". Certes l'intention est noble mais il a été évoqué des frais de transfert au maximum de 3% de l'encours ce qui est énorme ! Si tel est le cas de nombreux épargnants risquent d'être spoliés avec de trop nombreux transferts - subis ou organisés - tout au long de leur vie professionnelle. A ces frais de transfert s'ajouteront inévitablement des frais annuels de gestion sur encours gérés qui s'ajouteront aux frais sur les cotisations versées. Ces facilités pourraient entraîner de mauvaises pratiques commerciales.

Dans ces conditions, pourquoi le volet "retraites" de la loi PACTE ne prévoit-il pas des incitations beaucoup plus fortes pour favoriser les sorties en rentes ? L’énorme déception est que dès le départ de sa mission Mr Delevoye n’ait pas proposé une architecture d’un dispositif de retraite associant répartition et capitalisation. Or aujourd’hui on a le sentiment que deux ministères travaillent en parallèle sur cette réforme, le premier, les Affaires sociales, avec les organisations syndicales et le second, l’Economie et les Finances, avec les banques et les assureurs.

Technique de répartition : annuités, points ou comptes notionnels ?

Rappelons quelques caractéristiques de ces techniques par répartition :

Régime en annuités : c’est la retraite de base de la Caisse Nationale d’Assurance Veillesse. La pension à la liquidation est principalement fonction de la durée d’assurance et du salaire de référence limité à un plafond sécurité sociale et accessoirement d’un taux d’annuité fixé par l’Etat. C’est le système le plus équitable inter-générationnellement car la pension est indépendante de l’espérance de vie à la retraite. Mais compte tenu de l'allongement de l'espérance de vie, ce système n'est pas soutenable.

Régimes par points : la pension à la liquidation est le produit du nombre de points acquis par l’assuré pendant sa carrière professionnelle par la valeur de service du point au moment du départ à la retraite. Le problème est que ces régimes, dirigés par les partenaires sociaux (patronat et syndicats), ont été très dispendieux pendant les années de montée en charge avec distribution d'avantages (ex. points gratuits), multiplicité de caisses, lourds frais de gestion,... avec l’impossibilité de constituer des réserves avant le milieu des années 1990 malgré de gros excédents antérieurs. Le coup fatal a été donné par la baisse en 1982 de l’âge de la retraite de 65 à 60 ans.

Comptes notionnels : le dispositif est assez proche des régimes par points mais avec un pilotage automatique qui transforme le capital virtuel accumulé en rente en fonction l’âge effectif de la retraite choisi par l’assuré et de l’espérance de vie à cet âge de la génération à laquelle appartient l’assuré.

Il est clair que la France a depuis des décennies l’expérience de la gestion des régimes par points mais ce qui sera important ce sont les bornes des montants soumis à cotisations obligatoires. Il ne faudrait en aucun cas que les régimes obligatoires excèdent 1,5 voire au maximum 2 plafonds annuels de la sécurité sociale, soit 60 000, voire 80 000 € par an.