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Pourquoi il faudra reculer l'âge de la retraite à 65 ans

La publication récente des nouvelles perspectives financières du COR jusqu'en 2070 a relancé le débat sur le retour à l'équilibre à moyen/long terme de notre système de retraites. La longévité (ou espérance de vie) après 60 ans est la "colonne vertébrale" de l’équilibre de nos systèmes de retraite. Les autres paramètres tels que taux de croissance de l’économie, l’évolution de la productivité, du taux de chômage… sont certes importants mais ne peuvent pas contrebalancer l’inéluctable vieillissement de la population. Les hypothèses du COR sur ce sujet restent encore trop floues. Si l'augmentation de l'espérance de vie après 60 ans se poursuit au même rythme, la seule solution sera la baisse des pensions… La grande réforme des retraites venant d'être reportée d'un an et ne pouvant porter ses fruits qu'à très long terme, il y a urgence à porter l'âge de la retraite à 65 ans et à mutualiser au maximum les différentes activités support des trop nombreux régimes de retraite.

Les organismes les plus prestigieux tels que le Conseil d’Orientation des Retraites (COR), le Comité de Suivi des Retraites, le Trésor… réalisent des études très sophistiquées mais les données démographiques prises en compte sont souvent imprécises, hétérogènes… et fluctuantes. Leurs recommandations - qui sont vitales pour prendre les bonnes décisions afin de sécuriser l’avenir de nos retraites - peuvent donc changer régulièrement sans aucun état d’âme.

Comment peut-on faire des projections sur le taux de chômage, la croissance, la productivité, le solde migratoire à horizon… 2070 ? Pourquoi prendre des hypothèses d’espérance de vie à 60 ans alors que l’âge de la retraite est déjà à 62 ans ? Or s’il y a un domaine dans lequel la prévision à long terme est possible c’est bien la démographie ! En conséquence les organes institutionnels de nos trop nombreux régimes de retraite prennent des orientations dans un cadre stratégique encore trop incertain.

Par exemple, pour les salariés, les partenaires sociaux viennent de prendre des décisions courageuses relatives à la fusion de l’Arrco avec l’Agirc sachant qu’ils n’avaient pas d’autre solution car l’Agirc ne pourra plus honorer les versements de ses pensions à partir de 2019. Toutefois les décisions prises ne vont pas restaurer l’équilibre de ces régimes à moyen/long terme.

"Il n’y a aucun souci au moins jusqu’à 2028" a précisé le représentant du MEDEF, Claude Tendil, qui a ajouté "nous avons modernisé et rationnalisé le système, organisé un pilotage responsable avec tous les leviers pertinents y compris l’âge de départ à la retraite" et de rappeler que l’âge justement est "le levier le moins utilisé alors qu’il est le plus efficace et le plus juste… On ne pourra rester à 62 ans quand il varie de 65 à 67 ans dans tous les pays"Nouvel accord sur les retraites complémentaires, Le Figaro, 17/11/2017, http://www.lefigaro.fr/retraite/2017/11/17/05004-20171117ARTFIG00265-nouvel-accord-sur-les-retraites-complementaires.php.

La progression sensationnelle de l'espérance de vie

En 1945, époque de la création des premiers régimes obligatoires, l’âge de la retraite était de 65 ans. L’espérance de vie à cet âge était de 10 ans pour un homme et 13 ans pour une femme. La durée moyenne de versement des retraites était donc un peu supérieure à 10 ans.

En 1983, l’âge de la retraite à taux plein a été abaissé à 60 ans - sous condition de 40 annuités de cotisations - avec comme conséquence une durée de versement des pensions beaucoup plus longue puisque l’espérance de vie augmentait parallèlement. 

En 2016, la durée prévisible de versement pour les salariés cadres est selon l’Agirc de 30,5 ans pour les femmes et 26,2 ans pour les hommes avec un âge moyen de départ à la retraite de 62 ans (source chiffres clés 2016 Agirc/Arrco) donc trois fois plus longtemps qu'à la création des régimes Cnav ou Agirchttps://www.agirc-arrco.fr/ressources-documentaires/chiffres-cles/.

L'espérance de vie : de quoi parle-t-on ?

L’espérance de vie découle des tables de mortalité. Il y a plusieurs facteurs à prendre en compte :

  • Population générale ou tables d’expérience

A – Tables de population générale : Elles sont calculées chaque année par l’Insee à partir de l’enregistrement des décès à l’Etat Civil. Elles concernent l’ensemble de la population française.

B – Tables d’expérience : certains milieux sociaux déterminés peuvent sous tendre une mortalité inférieure, donc une espérance de vie supérieure, compte tenu d’un meilleur suivi médical, de comportements et de modes de vie (fumeurs /non-fumeurs, consommation d’alcool…), d’exposition à des risques professionnels, sportifs, … moindres.

  • A la naissance ou à l’âge de la retraite

A - L’espérance de vie à la naissance représente la durée moyenne de vie de toutes les personnes nées une même année. En 2016 selon les statistiques Insee l’espérance de vie moyenne d’une femme à la naissance était de 85,5 ans et celle d’un homme de 79,3 ans.

B- L’espérance de vie à un âge déterminé est le nombre moyen d’années restant à vivre à partir de cet âge. A titre d’exemple, toujours selon l’Insee, l’espérance de vie moyenne à 60 ans était de 27,6 ans pour une femme et de 23,2 pour un homme. En fait il y a un taux de décès avant 60 ans qui est de 12,1 % pour les hommes et de 5,8 % pour les femmes"Mourir avant 60 ans, le destin de 12 % des hommes et 5 % des femmes d'une génération de salariés du privé", Insee, Portrait social 2008. Au-delà de la mortalité infantile qui est très faible, cela reflète à l’âge adulte des inégalités entre groupes sociaux pouvant résulter de différences en termes de comportements, de modes de vie, d’exposition à des risques professionnels.

Il y a en règle générale une distinction par sexe, les femmes ayant une espérance de vie supérieure à celle des hommes sachant que cet écart se réduit progressivement.

  • Mortalité instantanée ou générationnelle :

Les tables de mortalité instantanée sont statiques. Elles permettent de donner la probabilité de décès d’une personne dans l’année pour un âge donné.

Les tables de mortalité par génération parfois appelées prospectives permettent de projeter l’évolution future de la mortalité pour une génération donnée et d’anticiper l’allongement de l’espérance de vie, en particulier de s’adapter à une chute de la mortalité pour les personnes âgées.

Si on compare aux tables prospectives par génération TGF 05 et TGH 2005 qui sont depuis le 1er janvier 2007 les nouvelles tables réglementaires pour les rentes viagèresArrêté du 1er août 2006 portant homologation des tables de mortalité pour rentes viagères - article 2 - Legifrance JORF du 26 août 2006 (Planchet / Serant Institut des actuaires) on voit que l’espérance de vie à 60 ans risque d’être de 39 ans pour une femme et 35,2 ans pour un homme, soit en moyenne 6 ans de plus que les statistiques prises en compte par le COR qui déjà prévoit un fort déficit des régimes de retraite obligatoires.

La problématique pour les retraites est assez simple : comment peut-on envisager qu’un salarié cotise 25 % de son salaire pendant 42 ans pour percevoir 60 ou 70 % de son dernier salaire versé sous forme de rente pendant plus de 30 ans ? Cela veut dire que mécaniquement les retraites devraient diminuer de 20 à 25 % d’ici 2060.

Ce sujet a fait l’objet d’une séance plénière du COR le 26 mars 2014 : "Espérance de vie, santé et durée de retraite" avec un document de travail spécifique n°2 "Espérance de vie instantanée et espérance de vie par génération" qui précise "l'espérance de vie par génération reflète le vécu de chaque génération, contrairement à l’espérance de vie instantanée qui ne reflète pas le vécu d’une personne mais décrit les évolutions conjoncturelles de la mortalité" et d’ajouter "une certaine confusion existe dans le débat public entre les deux notions d’espérance de vie. En effet, les données sur l’espérance de vie usuellement publiées par l’Insee correspondent à l’espérance de vie instantanée. Pourtant ces résultats sont souvent interprétés, à tort par les médias, à tort, en termes d’espérance de vie par génération… ".

On ne peut pas dire que le COR fasse beaucoup de pédagogie sur ce sujet. Ainsi, le COR retient dans ses projections de novembre 2017 des hypothèses démographiques étonnantes à horizon 2070 :

 1 – Tout d’abord à un âge pivot de 60 ans alors qu’on peut considérer que l’âge de départ à la retraite sera largement au-delà à cette époque car il est actuellement déjà fixé à 62 ans,

2- Avec des espérances de vie à 60 ans en 2070 situées à 33,6 ans pour les femmes et 31 ans pour les hommes, avec des variantes entre 28,6 ans pour les hommes dans une variante démographique "population jeune" et 36,3 ans pour les femmes dans une variante "population âgée", très inférieures à ce qui est anticipé par ailleurs.

Il est urgent qu’un cadrage soit donné par les plus hautes autorités de l’Etat sur un vocabulaire, des définitions, une approche, des règles à respecter et les données à prendre en compte… pour que les organismes publics publient des scénarios cohérents sur l’avenir de nos retraites qui puissent servir de référence aux décideurs.

L'impact des variantes démographiques sur les projections financières

Logiquement on pourrait penser que le COR (40 membres et des permanents) - rattaché au Premier ministre - ait un rôle de pilotage sur les données à prendre en compte pour déterminer l’équilibre financier de nos retraites. Mais le COR se contente de proposer des scénarios. Par exemple en mars 2014 : "Evolutions de l’espérance de vie par génération selon les six scénarios étudiés". Il parle "d’incertitude sur les évolutions futures de la mortalité"… mais ne donne aucune recommandation précise.

En juin 2017, le rapport annuel du COR est très pessimiste considérant que le système resterait déficitaire jusqu’en 2040 dans tous les scénarios… et que la pension moyenne relative au revenu moyen d’activité va fortement baisser compte tenu de la détérioration du nombre de cotisants par rapport au nombre de retraitésÉvolutions et perspectives des retraites en France, rapport annuel du COR, juin 2017, http://www.cor-retraites.fr/IMG/pdf/doc-4055.pdf.

En novembre 2017, le COR garde ses hypothèses d’espérance de vie à 60 ans mais fait varier les autres paramètres (essentiellement la croissance) ce qui lui permet de se montrer beaucoup plus optimisteRetraites : perspectives financières jusqu'en 2070, sensibilités aux hypothèses, résultats par régime - COR, novembre 2017, http://www.cor-retraites.fr/IMG/pdf/doc-4072.pdf. Il n’est donc pas étonnant que le journal l’Opinion du 23 novembre 2017 se pose la question "Pourquoi les prévisions du COR changent-elles tout le temps ?"

Il publie néanmoins un document relatif à la "sensibilité à la démographie" avec 3 scénarios sur le rapport entre effectifs de cotisants et de retraités de droit direct :

  • Scénario "population jeune" le rapport qui est de 1,74 en 2016 passe à 1,52 en 2070
  • Scénario central le rapport tombe à 1,27
  • Scénario "population âgée" il s’écroule à 1,04

Pourtant, fin 2015, il y avait déjà 1 retraité pour 1,43 cotisant à l’Agirc et 1,46 à l’Arrco, mais ces chiffres intègrent l’impact des pensions de réversion.

On mesure l’importance d’un suivi régulier sur l’évolution des bases de données prises en compte. Ainsi même avec les hypothèses retenues par le COR, on constate (page 20 du rapport) que la sensibilité à la démographie est de loin le facteur ayant l’impact le plus élevé sur les perspectives financières du système de retraites. Ainsi, dans le cas d’un scénario population âgée, l’écart en point par rapport à la trajectoire de référence est de -0,9 pt de PIB en 2040 et -2,2 points de PIB en 2070, tandis qu'il serait de +1,5 en 2070 dans un scénario "population jeune".

Propositions de la Fondation iFRAP

  • Que le COR base ses projections sur des âges de départ à la retraite entre 62 et 67 ans, ce qui permettra de mesurer la sensibilité au facteur démographique ;
  • Que les tables de mortalité par génération prises en compte pour l’équilibre de nos retraites soient basées sur la population des 13 millions de retraités de l’Arrco et qu’il y ait un suivi annuel ;
  • Que l’impact des rentes de réversion soit bien pris en compte ;
  • Si des comptes notionnels sont mis en place, il faudra veiller à l’équité intergénérationnelle.

L’éventuelle grande réforme des retraites ne pouvant porter ses fruits qu’à très long terme il y a 2 grandes mesures à prendre rapidement :

  • Rétablir l’âge de la retraite à 65 ans
  • Mutualiser au maximum les différentes activités support des trop nombreux régimes de retraite

Sinon, la seule solution sera la baisse des pensions…