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Non, la majorité des seniors ne sont pas au chômage au moment de prendre leur retraite

Pour ses détracteurs, les réformes des retraites sont inefficaces puisqu’elles conduisent à un déport des seniors au mieux vers l’assurance chômage ou les minima sociaux. Pour les syndicats, une telle réforme est un repoussoir : « une personne sur deux à 55 ans n’est plus en activité » (CGT). Cet argument est faux, car depuis la réforme des retraites de 2010, le marché du travail pour les seniors s'est même amélioré : le taux d’activité des 55-64 ans passant de 41% à 60% en 2021. Ainsi 40% ne sont pas en activité au moment de la retraite dont un quart seulement au chômage. 

Les seniors et le chômage

La question n’a pas échappé aux économistes qui ont montré que la réforme aurait un effet sur l’activité d’autant plus favorable que le report de l’âge d’ouverture des droits est important, et ces effets positifs se matérialiseraient d’autant plus que la montée en charge est rapide.

L’effet à long terme serait de l’ordre de 1,4 point de PIB et près de 390 000 emplois créés. Mais, à court-moyen terme, cela entraîne une hausse de la population active plus rapide que celle de l’emploi, qui entraîne une augmentation du chômage.

La période actuelle pourrait justement être propice à un tel changement : en effet, le rythme de croissance de la population active a fortement ralenti, passant de +110 000 personnes par an entre 2011 et 2016 puis +70 000 personnes par an entre 2016 et 2021. Les projections de l’Insee prévoient un « pic » de population active en 2040 avec 30,5 millions de personnes occupées avant une décroissance. De plus, les tensions actuelles sur le marché du travail pourraient renforcer l’intérêt pour les employeurs d’un maintien dans l’emploi.

Les effets sur le statut à 60 ans suite au report de l'âge de la retraite en 2010 (DG Trésor)

 

Emploi

Chômage

Inactivité

Retraite

Évolution en points

+16

+7

+2

-25

D’un point de vue concret, reculer l’âge de la retraite permet de garder des expertises en pénurie et envoie un signal aux actifs (et à leurs employeurs) qu’ils doivent se préparer à travailler plus longtemps. C’est ce qu’on appelle l’effet horizon : une conséquence directe de la législation des retraites sur le marché du travail. Un effet que l'on observe clairement avec la réforme de 2010 avec un décalage de 2 ans du taux d'activité des seniors et du pic des fins de CDI (étude du Trésor).

Les enseignements de la réforme de 2010

Pour évaluer les effets du système de retraite sur les seniors, la Direction statistique du ministère des Affaires sociales (Drees) suit les trajectoires de fin de carrière. Ainsi, à 59 ans, 72 % des femmes et 73 % des hommes de la génération 1958 étaient en emploi contre 47 % pour la génération 1942. Une amélioration spectaculaire.

Depuis la réforme des retraites de 2010, le marché du travail pour les seniors s'est amélioré : le taux d’activité des 55-64 ans est passé de 41 % à 59,7 % en 2021. Dans le détail, il se décompose ainsi : 79,9 % d’activité pour les 55-59 ans et 38,2 % pour les 60-64 ans. Le taux d’emploi a progressé également dans des proportions moins soutenues : passant d’un peu moins de 40 % en 2009-2010 à 56 %.

Mettre fin à la "culture" du retrait précoce du marché du travail

Pour améliorer les choses, il faut s’interroger sur les différents dispositifs de départs anticipés avant l’âge légal : on ne peut pas vouloir augmenter le taux d’emploi des seniors et multiplier les dispositifs. La Cour des comptes avait appelé à en « hiérarchiser » les priorités car leur multiplication ces dernières années a eu un coût proche des 15 milliards € pour 400 000 assurés concernés, soit 1 retraité sur 2 en 2017. Leur nombre devrait toutefois baisser (pic en 2017).

Les catégories actives dans la fonction publique sont également concernées : elles représentent selon la Cour 33 000 départs annuels pour un coût de 3 milliards, majoritairement dans l'hospitalière. S’agissant du compte pénibilité, le dispositif est trop récent pour que des départs en retraite aient été effectués à ce titre.

Pour une vraie politique de l’emploi des seniors

Une analyse élargie des trajectoires entre 50 et 67 ans confirme que 60 % des trajectoires se font directement de l’emploi à la retraite. Il est donc exact de dire que 40 % des trajectoires de fin de carrière passent par des périodes de « non-emploi » : ces périodes peuvent comprendre du chômage, de l’invalidité, de la maladie, ou de l’absence du marché du travail (halo).

La Drees suit en particulier les « Nerp », personnes « ni en emploi, ni en retraite, ni en préretraite ». Leur part parmi les 53-69 ans est de 16 %. La durée passée en dehors de l’emploi ou de la retraite est de 2,5 années durant lesquelles leurs revenus sont constitués aux 2/3 d’indemnités chômage, d'invalidité ou de minima sociaux. La crainte est donc d’alourdir mécaniquement les comptes de l’Unedic et des autres régimes de prestations sociales en repoussant l’âge légal.

Le Cor a évalué les effets de bord d’une augmentation de l’âge de la retraite. Le résultat ? 3,6 milliards € de dépenses supplémentaires annuelles au titre notamment des pensions d’invalidité, des indemnités journalières pour maladie et des minima sociaux, en se fondant sur les données 2019 ; 1,3 milliard pour les allocations de retour à l’emploi. Soit un quart des gains liés au report de l'âge de 62 à 64 ans. Mais le Cor reconnaît que le chiffrage n’a pas tenu compte des effets sur les recettes, notamment via les cotisations chômage ou la CSG.

Améliorer le taux d'emploi des seniors

Plusieurs pistes existent pour une politique active de suivi des seniors éloignés de l’emploi : revoir les dispositifs d’inaptitude/invalidité grâce auxquels environ 95 000 assurés  sont partis à la retraite en 2017 et qui sont décrits comme de plus en plus complexes. Autre sujet : une remise à plat des dispositifs carrières longues et catégories actives pour lesquels il n'y a pas d'écarts significatifs d'espérance de vie, contre un dispositif vraiment ciblé sur la pénibilité.

Autre sujet d’importance : avec le vieillissement de la population active, le poids des arrêts maladie va croissant. Leur montant est passé à près de 8 milliards et le poids des personnes de 60 ans et plus dans les arrêts maladie a doublé, passant de 4 à 8 %. Le corollaire, c’est que l’absentéisme des seniors coûte plus cher puisque directement calculé sur le salaire, qui augmente avec l’ancienneté et donc l’âge du salarié.

C’est l’autre frein à l’emploi des seniors : repousser l’âge de la retraite alourdit l’effort financier demandé aux entreprises qui préfèrent se séparer des salariés âgés et surtout ne pas les recruter. Inversement, baisser le salaire en fin de carrière peut conduire les salariés à se retirer du marché du travail. D’où la nécessité d’accroître l’effort de formation en 2e partie de carrière pour que l’offre de travail des salariés seniors soit plus en adéquation avec les attentes des entreprises et les prétentions salariales.

Pourtant, on constate que le recours à la formation professionnelle décroît avec l’âge. La part des personnes ayant suivi au moins une formation approchait de 60 % en 2016 pour les 25-44 ans, mais tombe à 35 % pour les 55-64 ans.

Les règles de l’Unedic

De son côté, le Sénat déplore que notre système d’assurance-chômage « continue d’alimenter un dispositif implicite de préretraite qui gonfle le nombre de chômeurs indemnisés trois années avant l’âge légal de la retraite ». Les règles d’indemnisation prolongées pour les salariés âgés et les dispenses de recherche d’emploi conduisent à des effets de substitution entre les régimes de retraite et les régimes du chômage. Pour les sénateurs, Pôle Emploi doit accentuer son accompagnement sur les seniors. On pourrait aussi recourir à des prestataires spécialisés sur ces publics. Il faut aussi favoriser le cumul emploi retraite en se penchant sur toutes les conditions qui découragent les salariés et les employeurs d’y avoir recours. Cela passe par la réforme du cumul emploi-retraite en faisant en sorte que les cotisations des retraités salariés soient créatrices de droits. Ou symétriquement, pour ceux qui le souhaiteraient, permettre une exonération de cotisations retraite. De nombreux pays ont mis en œuvre des politiques actives pour l'emploi des seniors. Le vieillissement de la population active ne peut pas être le prétexte au statu quo.

Comment promouvoir le travail des seniors ?

La Fondation iFRAP est convaincue que dans cette période de sortie de crise, il faut réformer les retraites et s’attaquer au marché du travail des seniors. La France peut s’inspirer des expériences conduites dans deux pays : les Pays-Bas et la Finlande36. Comme en France, ces pays ont fait le constat d’une culture du retrait précoce du marché du travail.

Les Pays-Bas ont fixé un objectif chiffré (+0,75 % de taux d’emploi par an pour les salariés de plus de 55 ans). Ils l’ont complété par un vaste programme faisant de cette question une grande cause nationale, amplifiant les efforts de formation dès 40 ans. Ils ont également réexaminé leurs dispositifs de retraite anticipée et, pour ceux qui ont été maintenus, en ont confié la responsabilité de l’équilibre financier aux partenaires sociaux. Enfin, ils ont favorisé les dispositifs de cumul emploi retraite. La Finlande a mis en œuvre les mêmes leviers en complétant par deux mesures courageuses : une réforme des règles d’indemnisation chômage et une réforme du dispositif de départ anticipé.

La proposition de la Fondation iFRAP

  • Fixer un objectif chiffré de progression du taux d'emploi des seniors ;
  • Encourager à la formation des salariés seniors et ce dès 40 ans ;
  • Supprimer progressivement le dispositif carrières longues qui est un dispositif automatique tout comme les catégories actives dans la fonction publique (remonter progressivement l'âge de départ anticipé), au profit d’un dispositif axé sur la pénibilité réelle ;
  • Revoir les conditions d'indemnisation et d'accompagnement des salariés seniors au chômage ;
  • Confier l’équilibre financier du régime de pénibilité aux partenaires sociaux ;
  • Promouvoir le cumul emploi retraite : actuellement les retraités qui continuent de travailler payent des cotisations qui ne sont pas créatrices de droits. Deux solutions : rendre les cotisations créatrices de droits ou permettre à ces salariés d'être exonérés de nouvelles cotisations vieillesse.