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Les régimes de retraite à l’équilibre ? Une blague

Les partenaires sociaux entament la dernière ligne droite des négociations sur la réforme des retraites. Derrière un front uni des syndicats pour refuser toute mesure d’âge revient toujours le même argument : nos régimes seraient globalement à l’équilibre et il n’y aurait donc aucune urgence à réformer le système de retraite. Pourtant, il suffit de gratter un peu pour voir qu’on est loin du compte. Tous les régimes doivent faire face à des déficits, entre générations plus nombreuses en retraite et allongement de la durée de vie. L'équilibre n'est obtenu que par des mesures opaques qui permettent de percevoir des recettes et cotisations supérieures aux droits constitués. Aujourd'hui, par exemple, près de 17 milliards € de cotisations Arrco-Agirc ne donnent aucun point pour la future pension.

C’est une information passée presque inaperçue : le gouvernement souhaitant lutter contre les déserts médicaux proposait le 20 octobre dernier d’exonérer de cotisations vieillesse les médecins en cumul emploi retraite. Réponse du président de la Carmf (caisse de retraite des médecins) : « les quelques 12 000 médecins libéraux retraités actuellement en activité représentent près de 10% des cotisants à la Carmf » ; « En cas d’exonération des cotisations, le manque à gagner du régime pourrait aller jusqu’à 7,3 % des cotisations, soit 73 millions d’euros. Le manque à gagner serait du même ordre de grandeur dans le régime ASV (retraite supplémentaire en points des professionnels de santé), et d’environ 45 millions d’euros dans le régime de base. Ces pertes impacteraient à coup sûr les résultats du régime complémentaire déjà déficitaire et du régime ASV tout juste proche de l’équilibre ». On notera au passage que cette piste fait partie des propositions du gouvernement pour développer le cumul emploi-retraite en France. Cette solution est comme on le voit, lourde de conséquences financières et fait douter des déclarations enthousiastes des partisans du statu quo sur l’équilibre des régimes. Lors de la mise en place de cette disposition de cotisation non productrice de nouveaux droits en 2014, il était estimé que l'impact de la mesure sur l'ensemble des régimes de base représenterait à terme 450 M€ de moindre dépense.

Des cotisations dont une partie ne sert pas à constituer des droits à la retraite 

Le régime des médecins n’est pas le seul dans cette situation : dans le principal régime de retraite complémentaire des salariés du privé, Arrco-Agirc, on applique un taux d’appel différent du taux de cotisation. Les taux d’appel sont fixés à 127% depuis 2019 ce qui signifie que les taux contractuels sont multipliés par 1,27 pour déterminer les cotisations à verser par l'entreprise.

Exemple sur la tranche 1 :

Taux appelé
7,87%

=

Taux d’appel
127%

x

Taux contractuel
6,20%

dont 3,15% de part salariale

dont 4,72% de part patronale

    

En clair, seuls les 6,2% sont constitutifs de droits, c'est-à-dire qu'ils permettent d'acquérir des points qui, cumulés, constitueront la future retraite. Le reste, soit 1,67 point (soit près de 20% de la cotisation) représente des cotisations sans droits, qui permettent d'équilibrer les comptes du régime mais qui sont à fonds perdus pour le salarié. Applicables sur les cotisations tranche 1 et tranche 2, cela signifie que sur environ 77,4 Mds € de cotisations en 2021, seuls 60,9 Mds € sont constitutifs de droits, le reste, soit tout de même 16,5 Mds €, sert à équilibrer les comptes du régime.

Et même des cotisations dont la totalité est sans droits

A cela s’ajoute la CET, pour Contribution d’Equilibre Technique, créée en 2019 qui s’applique à tous les salariés dont le salaire est supérieur au plafond de la sécurité sociale. La recette de CET pour 2021 représente 900 M€ destinée à financer une part des droits acquis avec la GMP (garantie minimale de points qui existait à l’AGIRC, mais est supprimée dans le nouveau régime). De même, la CEG pour Contribution d’Equilibre Général permet à la fois de compenser les charges résultant des départs à la retraite avant 67 ans. La recette de CEG représente 13 Mds € en 2021.

Ces cotisations servent sans nul doute à financer les prestations de solidarité des retraites complémentaires mais celles-ci communiquent assez peu sur le montant total de ces prestations de solidarité. On peut à partir des publications de l’Arrco-Agirc estimer à 13 Mds € les prestations de réversion (qui ne font pas l’objet de cotisations spécifiques contrairement à d’autres pays) et les majorations pour enfants. Ce qui laisse encore environ 17 Mds € qui servent à renflouer les comptes. Les retraites complémentaires Arrco-Agirc gérées par les partenaires sociaux peuvent donc se prévaloir d’une gestion équilibrée mais au prix de lourds prélèvements pour les salariés et les entreprises.

Et en plus, les Français payent par l'impôt pour équilibrer les comptes des régimes spéciaux et des régimes de fonctionnaires

Le rapport annuel de la commission des comptes de la Sécurité social indique qu’en 2021, l’Etat a versé 7,5 Mds € de subventions d’équilibre aux régimes de base, essentiellement des régimes spéciaux :

Cette liste ne tient pas compte des impôts et taxes affectés au financement des retraites : la CTA (1,7 Md €) qui sert à financer le régime des électriciens et gaziers et la taxe affectée du régime de base des exploitants agricoles (taxe sur les alcools, 2,9 Mds €).

De plus, comme nous avions eu l’occasion de le révéler, à l’occasion de la publication d’une note sur le sujet au printemps dernier, les régimes de retraite des agents publics sont eux aussi couverts par une cotisation d’équilibre. Ces régimes ne présentent en apparence pas de déficit mais les cotisations employeurs très élevées (respectivement 74,3% pour les fonctionnaires d’Etat et 30,6% pour les fonctionnaires locaux et hospitaliers) financent au moins trois dépenses différentes : d’abord, la part des retraites à la charge de tout employeur au taux de droit commun, puis la part des dépenses de solidarité de ces régimes (avantages famille ou retraites précoces par exemple), qui ne sont pas couverts par des cotisations des assurés et que l’État finance aussi pour tous les autres régimes, et surtout les déficits de ces deux régimes. La couverture nette des déficits de l’État et des autres collectivités publiques représente 30 Mds €.

On est loin donc de l’image flatteuse que voudraient nous faire croire certains, d’un système de retraite qui est à l’équilibre. Le Conseil d’orientation des retraites serait d’ailleurs bien inspiré de présenter une situation nette du système de retraite en présentant le détail des comptes de chaque régime ainsi que les transferts entre régimes. Le débat sur l’avenir de notre système de retraite gagnerait en clarté.

Et lorsque les commentateurs avancent qu’il n’y a pas urgence à réformer un système de retraite qui devrait, sous l’hypothèse d’une productivité retrouvée et d’un faible taux de chômage, reprendre le chemin de l’équilibre à moyen-long terme, ils oublient de mentionner un codicille qui a toute son importance : sous réserve d'une baisse relative des pensions à long terme. Une situation bien peu réjouissante.