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Les non-dits de la réforme Delevoye

Les propositions du Haut-commissaire à la réforme des retraites ont été présentées le 18 juillet dernier au Premier ministre. Elles devraient être suivies d'une nouvelle étape de concertation avec les partenaires sociaux avant que le gouvernement ne présente son projet de loi au début de l'année prochaine. Puis celui-ci sera discuté au Parlement.

Dans cette première version du projet, le Haut-commissaire propose une montée en charge progressive, sur 15 ans, à partir de 2025. On est donc encore loin de la version définitive du nouveau système de retraite qui s'appliquera aux Français. Néanmoins, on peut déjà identifier trois points clés qui concentreront les débats : les questions autour des primes des agents publics, l'introdution d'un âge de taux plein (et sans toucher à l'âge légal) et la convergence des régimes (à quel rythme).

En italique, les extraits du rapport de 130 pages.

Les principes fondateurs du système recommandé par Jean Paul Delevoye sont présentés en introduction du rapport qui détaille sur 130 pages le fonctionnement du futur système. On peut isoler 4 principes : 

  • "Une ambition : Un système "universel" de retraites, une protection sociale du XXIe siècle, qui renforce l'équité entre les générations, protège les plus fragiles, restaure la confiance et redonne de la valeur au travail.
  • Un constat : personne ne peut prévoir ce que sera la croissance économique, personne ne peut garantir ce que sera l'avenir de sa profession dans son statut et dans son périmètre, le vieillissement accéléré de notre société interroge la solidité de notre protection sociale.
  • Le nouveau système reposera sur la mutualisation collective et la solidarité. Un système en répartition fondé sur la solidarité entre générations. Un système universel fondé sur des règles communes à tous. Un système qui s'adapte aux incertitudes démographiques ou économiques.
  • Le système de retraite offrira la possibilité de choisir la date de son départ en fonction de son niveau de retraite, la notion de durée d'assurance s'effaçant derrière celle de points acquis."

Les futures règles qui déterminent le fonctionnement (voir la synthèse ci-dessous) occasionneront chacune de longues discussions. Mais 3 points essentiels doivent être mis au clair avant la présentation du projet de loi au Parlement.

La question des primes des agents publics

Ce qui est dit : "Les assiettes et taux de cotisation seront uniformisés sur la situation la plus répandue aujourd'hui, celles des salariés du privé. Pour les agents publics cela signifie que le taux global sera le même que les agents privés (28,12%) et le partage identique entre employeur et salarié (60/40). L'assiette inclura les primes et se montera jusqu'à 3 PASS."

Ce premier point est en soi une transformation du système non pas pour les salariés du privé mais pour les salariés des régimes spéciaux, au premier rang desquels les fonctionnaires (sans parler des indépendants mais nous y reviendrons).

D'abord s'agissant du taux de cotisation employeur. Actuellement, il s'établit à 74% pour l'État et à 39% pour les collectivités et les hôpitaux. Il serait demain à 17% ce qui devrait représenter une amélioration théorique mais creuserait le CAS pension, compte du budget de l'État qui équilibre cotisations et pensions, et les comptes de la CNRACL, caisse de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Il est donc probable que la différence sera comblée par un fléchage direct du budget général. Or, si les taux de cotisation employeur du public sont si élevés, ce n'est pas seulement en raison de la compensation démographique, qui est certes plus dégradée que pour le régime général, mais aussi en raison de conditions de liquidation plus avantageuses. En 2016, la Cour des comptes avait chiffré certains dispositifs :

  • Suppression des bonifications : économie pour les finances publiques : actuellement 11% des fonctionnaires d’Etat partant à la retraite en bénéficiant pour 236 € de gain en moyenne par mois ;
  • L’harmonisation des droits conjugaux : aligner la réversion avec les conditions du privé et proratiser à la durée du mariage : économie pour les finances publiques : 116 M€ rien que pour les conditions d’âge[1] ;
  • La remise en question des catégories actives : économie pour les finances publiques : 2,3 Mds d’€ à l’horizon 2020.

Côté cotisation salariale, cela va représenter une hausse – limitée – du taux de cotisation mais surtout un élargissement de l'assiette de cotisation, ce qui risque d'engendrer de fortes revendications salariales. La prise en compte des primes risque également de susciter la grogne des corps touchant peu de primes – les enseignants – qui verront la base de calcul de leurs droits être beaucoup plus faible que les corps touchant une forte proportion de primes.

Ce qui là encore risque d'engendrer des tensions salariales. Le gouvernement qui cherche par ailleurs à assurer un retour à l'équilibre des finances publiques devra faire preuve de fermeté. A moins qu'il ne se saisisse des possibilités ouvertes par la nouvelle loi fonction publique pour augmenter le nombre de contractuels.

Pour l'instant le rapport Delevoye indique : "Toutefois, une transition longue sera prévue afin d’éviter que la totalité des cotisations salariales ne s’appliquent immédiatement à cette part de la rémunération. Ainsi, si l’assiette cotisée doit rapidement intégrer l’ensemble des primes au taux de 28,12%, une répartition différente de la cible (60/40) entre la part due par leurs employeurs et celle due par les assurés est prévue au démarrage de la réforme. Les employeurs publics prendront ainsi transitoirement en charge une part plus importante des cotisations que celle prévue en cible. Cette prise en charge de l’employeur diminuera à mesure que la part salariale remontera progressivement vers le taux cible".

Enfin les primes ne font pas actuellement l'objet de cotisations, sauf en ce qui concerne le régime additionnel de la fonction publique, retraite supplémentaire en capitalisation assise sur les primes dans la limite de 20% du traitement indiciaire. Cette évolution signifie donc la fin de ce régime qui représente tout de même 30 milliards d'actifs sous gestion et pose la question de la garantie et du transfert de ces droits constitués en capitalisation.

Tous ces éléments montrent que si cette évolution est primordiale, elle sera délicate à mettre en œuvre. Et on n'est pas étonné de lire : "Pour les fonctionnaires et les militaires, comme pour les assurés relevant des différents régimes spéciaux, une concertation spécifique sera menée afin de définir le détail de cette transition, dont il est proposé que la durée soit de l’ordre de 15 ans".

Mais cette situation serait d'autant plus injuste si cette convergence se faisait en garantissant un rendement équivalent à celui du privé alors même que les droits passés n'auront pas été cotisés sur les primes : "Le rendement des cotisations sera le même à carrière identique, ce qui se traduira par la fin des régimes spéciaux y compris parlementaires".

Ce qui pose une autre question : à quel moment seront figés les droits acquis dans l'ancien régime (droits directs et droits indirects) ?  Il faut que cette date soit la même pour tout le monde, dès la mise en place du régime c'est-à-dire 2025.

La reprise des droits passés aurait dû justifier une surcotisation, ces régimes n'ayant généralement pas de réserves. Or la lecture du rapport nous apprend qu'un "fonds de réserve sera constitué à partir des réserves actuelles pour offrir aux futures générations l'assurance que leurs retraites seront toujours maintenues de façon satisfaisante". Que celles-ci servent à garantir les droits futurs d'accord, que celles-ci servent à couvrir les droits passés, non ! Les régimes du privé ont dû consentir des efforts importants pour constituer ces réserves. Les régimes spéciaux qui seraient les bénéficiaires de ces réserves doivent également faire un effort.

L'âge de départ légal (62) vs âge de taux plein (64)

Le rapport explique : "Si 62 ans restera l'âge minimum de départ, un âge du taux plein viendra s'ajouter autour de 63 ou 64 ans. Il ne tiendra pas compte de la durée de cotisation mais sera le même pour tous à l'exception des personnes pouvant bénéficier d'un départ anticipé.

S'agissant de l'équilibre financier, les règles d'évolution des taux de cotisation âge de départ et montant des retraites seront fixées pour prévenir les aléas, même si ces règles pourront évoluer en fonction d'objectifs sociaux dès lors que l'équilibre financier du système est rempli.

Un fonds de réserve sera constitué à partir des réserves actuelles pour offrir aux futures générations l'assurance que leurs retraites seront toujours maintenues de façon satisfaisante.

La pérennité du système suppose qu'il soit à l'équilibre en 2025 au moment de sa mise en place. Compte tenu des récentes perspectives du COR, il conviendra donc de prendre des mesures correctrices nécessaires pour assurer ce retour à l'équilibre".

Ce sujet est, avec la définition de la valeur de rendement du point, le point critique du nouveau système. L'introduction d'un âge de taux plein en plus de l'âge légal n'est pas en soi une amélioration. Cet âge évoluera également avec l'équilibre du système et risque donc d'être différent selon les générations ce qui n'est pas non plus une amélioration en termes de lisibilité. Enfin, il y aura en plus des âges de départ anticipé. Par ailleurs, les mesures correctrices évoquées pour revenir à l'équilibre d'ici 2025 risquent également de modifier les durées de cotisation, ce qui va encore complexifier le système d'ici là.

La Fondation iFRAP avait exprimé son souhait de remonter l'âge légal à 65 ans au rythme de 4 mois par an et ce dès 2020. Cette mesure aurait eu le mérite de la clarté et de l'efficacité, avec près de 6 milliards d'€ d'économies d'ici 2022 et 18 milliards d'ici 2027.

La gouvernance et la convergence

Ce pré-projet de réforme des retraites nous affirme qu'une "nouvelle gouvernance sera mise en place : ainsi dans le cadre juridique et financier mis en place par le gouvernement et le Parlement, les adaptations du système seront définies par les partenaires sociaux, notamment en matière de cotisation et de droits liés et par l'Etat pour les éléments de solidarité.

De nouvelles structures de gouvernance seront mises en place et le dispositif prévoira une participation des citoyens. Afin d'évaluer les résultats du système, une instance sera constituée d'experts indépendants pour donner un cadre aux décisions des acteurs".

Les retraites complémentaires des salariés du secteur privé sont un des derniers bastions du paritarisme et le plus important, parmi l'ensemble des régimes de retraite. Le paritarisme de gestion, ou cogestion d’organismes par les partenaires sociaux signifiait jusqu'à présent une autonomie de leur gouvernance, de leur budget et de leur organisation.

Un des objectifs de la réforme est de parvenir à plus de simplification avec la fusion des 42 régimes. La lente adaptation du paritarisme de gestion se traduit entre autres par un nombre important de salariés dans différents groupes de protection sociale (Klesia, Malakoff, etc.) Selon un rapport parlementaire de 2016 sur le paritarisme, ces caisses comptaient encore 13 000 salariés en 2014.

Une organisation qui contribue à l'inflation des coûts de gestion, quasiment le double de ceux de la CNAV. Idem pour notre système de retraite au total : les coûts actuels de gestion sont estimés entre 5 et 6 milliards d’euros, soit entre 1,6 et 2 % des prestations d’ensemble servies, alors que les statistiques d’Eurostat indiquent que la moyenne de l’UE est de 1,19  %. 0,72 % en Suède et 1,23 % en Allemagne. 

Les partenaires sociaux resteront-ils les pilotes du système ou bien cette réforme signe-t-elle une nouvelle étatisation de la protection sociale, après l'assurance chômage ? On peut compter sur les syndicats pour défendre leur rôle et vouloir s'imposer dans la nouvelle gouvernance. Mais les partenaires sociaux devront faire des efforts en termes de réduction d'effectifs et de mandats.

De ces enjeux (et de beaucoup d'autres dont nous reparlerons), dépendront les économies possibles sur les dépenses de retraites dont il faut rappeler qu'elles sont les premières dépenses sociales avec 300 milliards d'euros. En tout état de cause, la montée en charge progressive suggère que les économies ne seront pas significatives avant 15 ans, soit 2040, ce qui est bien tard compte tenu de l'urgence de la situation française.

Le fonctionnement du futur régime  synthèse du rapport Delevoye

Les assiettes et taux de cotisation seront uniformisés sur la situation la plus répandue aujourd'hui, celle des salariés du privé. Pour les agents publics cela signifie que le taux global sera le même que les agents privés (28,12%) et le partage identique entre employeur et salarié (60/40). L'assiette inclura les primes et se montera jusqu'à 3 PASS.

Pour les travailleurs non-salariés, le barème sera aménagé : "une équité sera recherchée avec les salariés tout en préservant l'équilibre économique de leur activité".

Le rendement des cotisations sera le même à carrière identique, ce qui se traduira par la fin des régimes spéciaux y compris parlementaires.

Une logique contributive

La retraite restera le reflet des carrières avec une logique contributive mais toutes les rémunérations feront l'objet de cotisation et ouvriront droit à des points (selon la règle 1 point = 10 € de cotisation à la mise en place du système). Le cumul emploi retraite sera développé.

Les droits acquis seront revalorisés comme les salaires et non plus sur les prix comme actuellement. Au moment du départ en retraite les points seront transformés en euros (selon une valeur de service de 0,55 euro par point au moment de la mise en place du système) qui obéira à la même règle pour tous et la retraite versée sera revalorisée sur l'inflation. Les Français pourront connaître chaque année le nombre de points accumulés et pourront déterminer en connaissance de cause à quelle retraite s'attendre et fixer ainsi l'âge de leur retraite.

Les dispositifs de solidarité

Les droits à solidarité seront harmonisés et financés par l'impôt. Par ailleurs, les dépenses de solidarité qui représentent aujourd'hui un quart des dépenses du système de retraite conserveront cette part. L'efficacité des différents dispositifs (minima de pension, droit à départ anticipé, droits familiaux, droits conjugaux, prise en compte des interruptions d'activité) sera réexaminée.

Les périodes de chômage, de maternité ou de maladie seront compensés par des points.

Les majorations pour enfant seront transformées selon la formule suivante : 5% par enfant quel que soit le rang de l'enfant avec attribution à l'un ou l'autre des parents, librement choisie.

En matière de réversion, les ressources seront garanties à hauteur de 70% de ce que percevait le couple avant le décès.

Un montant minimum de retraite permettra de garantir à ceux qui ont travaillé toute leur vie une retraite égale à 1000 euros soit 85% du SMIC.

Les stages seront mieux pris en compte et la situation des aidants sera améliorée.

L'âge

Si 62 ans restera l'âge minimum de départ, un âge du taux plein viendra s'ajouter autour de 63 ou 64 ans. Il ne tiendra pas compte de la durée de cotisation mais sera le même pour tous à l'exception des personnes pouvant bénéficier d'un départ anticipé.

S'agissant de l'équilibre financier, les règles d'évolution des taux de cotisation, âge de départ et montant des retraites, seront fixées pour prévenir les aléas, même si ces règles pourront évoluer en fonction d'objectifs sociaux dès lors que l'équilibre financier du système est rempli.

Un fonds de réserve sera constitué à partir des réserves actuelles pour offrir aux futures générations l'assurance que leurs retraites seront toujours maintenues de façon satisfaisante.

La pérennité du système suppose qu'il soit à l'équilibre en 2025 au moment de sa mise en place. Compte tenu des récentes perspectives du COR, il conviendra donc de prendre des mesures correctrices nécessaires pour assurer ce retour à l'équilibre.

La gouvernance et la convergence

Une nouvelle gouvernance sera mise en place : ainsi dans le cadre juridique et financier mis en place par le gouvernement et le Parlement, les adaptations du système seront définies par les partenaires sociaux, notamment en matière de cotisation et de droits liés et par l'Etat pour les éléments de solidarité.

De nouvelles structures de gouvernance seront mises en place et le dispositif prévoira une participation des citoyens. Afin d'évaluer les résultats du système, une instance sera constituée d'experts indépendants pour donner un cadre aux décisions des acteurs.

La transformation se fera progressivement : Les retraités actuels ne verront pas leur situation modifiée ; Pour les actifs, la montée en charge se fera très progressivement. Les droits déjà acquis seront à 100 % garantis.

Les règles des différents régimes convergeront progressivement selon un rythme différent en fonction de leur situation de départ. De même pour la gouvernance, les organisations pourront s'intégrer à des rythmes différents.

Idem pour les taux de cotisation ou les âges de départ anticipé à la retraite pour lesquels les transitions se feront sur des rythmes adaptés.

L'ensemble de ces transformations se fera sur un calendrier d'une quinzaine d'années.

Enfin, le nouveau système devra mettre en œuvre plus de transparence avec un accompagnement tout au long de la vie active et une plus grande transparence au niveau collectif en clarifiant les flux financiers.


[1]En 2010, à l'occasion de la réforme Woerth des retraites, un rapport du Sénat a évalué l'économie que représenterait l'alignement des conditions de la réversion de la fonction publique sur le secteur privé, notamment l'introduction d'une condition de ressources sur une partie de la réversion et l'alignement par le haut des taux de réversion. Il ressort de ce rapport que l'on pourrait économiser 500 millions d'euros par an d'ici 2020 et plus d'un milliard d'ici 2030 pour les trois fonctions publiques.