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Excédents de l’Agirc-Arrco : l'occasion de baisser les sur-cotisations retraite du privé !

Les négociations Agirc-Arrco ont repris le 5 septembre dernier. Le dernier accord couvrait la période 2019-2022. Une période contrastée où les comptes de l’Agirc-Arrco ont profondément dévissé pendant la période Covid avant de rebondir grâce à la reprise économique. Les comptes de l’Agirc-Arrco ont dégagé 5 milliards d'euros d'excédents en 2022 et disposent de 68 milliards de réserves. La réforme des retraites en repoussant l’âge de la retraite devrait aussi avoir des effets positifs sur les comptes du 2e régime de retraites après le régime général (CNAV). Si les principales hypothèses de négociations tournent autour de dépenses supplémentaires, une piste intéressante, et pourtant négligée, serait de baisser les cotisations. Une possibilité serait de modifier le taux d’appel, cette différence spécifique aux retraites complémentaires, entre le taux de cotisation et le taux acquitté. Ce dispositif introduit en 1971 et qui représente désormais 14 milliards € sur les 68,5 milliards € de cotisations engrangées en 2022 par les retraites complémentaires. Un retour par exemple à un taux d’appel de 125% appliqués avant l’accord de 2017 représenterait une baisse de charges d’1 milliard € et un gain pour le pouvoir d’achat des salariés.

Les retraites complémentaires en bref

Ce sont les partenaires sociaux qui sont les gestionnaires du système et fixent les paramètres du régime (cotisations, prestations, revalorisations). Au niveau opérationnel ce sont des institutions de retraite complémentaire qui, intégrées au sein de groupes de protection sociale (12), assurent la collecte des cotisations et le versement des pensions des salariés du privé. Bien que non gérées par l’Etat, les retraites complémentaires sont obligatoires, et font partie à ce titre des administrations de sécurité sociale.

L’employeur cotise aux caisses désignées par la convention collective du secteur, ou aux caisses départementales compétentes. Les cotisations (part salariale + part employeur) versées au cours de l’année sont converties en points de retraite complémentaire. Ils sont calculés en multipliant les cotisations par un « prix d’achat du point ». Au moment de prendre sa retraite, le total des points accumulés est converti en montant de retraite. Ce total de points est multiplié par la « valeur de service du point ». La valeur d’achat et la valeur de service sont fixées nationalement chaque année par l’Agirc-Arrco. Les retraites complémentaires Agirc-Arrco sont le régime de retraite le plus important après celui du régime général (CNAV) avec 82 milliards de prestations versées en 2022. Elles concernent 26 millions de cotisants et 13 millions de retraités. 

Les mesures issues des précédentes négociations

Le dernier accord datait de 2019. Cette date marquait le point de départ de deux dispositions importantes adoptées lors de précédentes négociations : la fusion Agirc-Arrco[1] et la mise en place d’un bonus-malus. S’agissant de la fusion des régimes, la grande nouveauté était que le régime unique était désormais applicable à tous les salariés du privé sans distinction de cadre ou non-cadre.

Le système dit de bonus-malus[2] a commencé à s’appliquer en 2019 comprenant un « coefficient de solidarité » ou décote de 10% et un bonus, dit « coefficient majorant », se traduisant par une majoration de la pension de 10% / 20% / 30% pour tout salarié qui prolonge son activité de 2 ans / 3 ans / 4 ans. En 2015, il était prévu que seules les personnes exonérées de CSG ne seraient pas concernées par le dispositif de malus[3] mais en 2019 les cas d’exonération ont été étendus[4]. Le dispositif a été critiqué, car bien que devant inciter les salariés à prolonger leur activité, il était à craindre que les seniors sortis du marché du travail, soient dans l’incapacité d’échapper au coefficient de solidarité, et de ce fait, pénalisés par une plus faible pension.

Si ces deux mesures étaient des étapes importantes, d’autres mesures fortes avaient été adoptées par l’accord de 2019

Tout d’abord, l’accord actait le retour de l’indexation sur l’inflation des retraites après les années de gel en valeur des prestations (accord de 2015 applicable aux années 2016—2018 qui avaient permis de redresser les finances des régimes). Ainsi en 2022, l'Agirc-Arrco avait accordé à tous ses retraités une revalorisation des pensions de 5,12%. Une décision qui a coûté 5 milliards d'euros en année pleine et représente une charge de 75 milliards sur quinze ans[5].

En contrepartie, une autre mesure importante prise en 2019 a été l’indexation de la valeur d’achat du point sur les salaires. La valeur annuelle du prix d’achat du point Agirc-Arrco (17,0571 € auxquels on ajoute le taux d’appel de 127%[6] soit 21,66 euros au total) doit depuis cette date augmenter pendant 4 ans selon l’augmentation des salaires. L’évolution de la valeur de service du point, qui permet de calculer le montant de la pension, reste quant à elle fixée sur l’inflation. Comme les salaires augmentent en général plus vite que l’inflation, « il faut cotiser plus pour percevoir le même niveau de pension lorsque vous serez à la retraite » résume un syndicaliste CFE-CGC. 

Une baisse régulière du rendement des retraites complémentaires

En 2019, d’après les chiffres de Spac actuaires cités par le magazine Capital[7], société de conseil en actuariat spécialisée dans le social, le rendement net est de 5,81% alors qu’il était de 5,99% en 2018. Cette baisse de rendement n’est pas une nouveauté. Comme le soulignait également le Cor dans un rapport de 2018 : pour “assurer la pérennité financière des régimes, les rendements Agirc-Arrco ont diminué au fil des années. Dit autrement, un cotisant acquiert pratiquement deux fois moins de droits en 2018 à l’Arrco qu’il en acquérait en 1973 avec le même euro de cotisation”. Si dans les années 60 le taux avoisinait les 16%, il a dégringolé à 7% au début des années 2000. Cette mesure est un outil de rééquilibrage des comptes moins visible qu’un gel des pensions. 

Le dernier rapport du Cor indique d’ailleurs que les régimes complémentaires des salariés du privé et des indépendants (90% de ces régimes sont constitués par l’Agirc-Arrco) seraient excédentaires sur la période de projection (jusqu’en 2070) et leur situation s’améliorerait même à partir des années 2050 : le solde reflète principalement la situation de l’Agirc-Arrco qui est excédentaire de 0,2% du PIB en 2022 et le resterait sur toute la période de projection (0,2 % en 2030 et 0,4 % en 2070 quel que soit le scénario)[8].

Ainsi, les régimes complémentaires n’ont pas ménagé leurs efforts, acquittés par les actifs et les retraités, qui se sont traduits par une baisse de rendement du régime depuis 1990, de moindres revalorisations par rapport à l’inflation sur la période récente (décalage des dates de revalorisation de 2014 à 2018 et sous-indexation en 2019 et 2020 pour les pensions de base ; gel de la valeur du point de 2013 à 2018, puis sous-revalorisation en 2019 et 2020 pour les pensions complémentaires), auxquels s’ajouteraient les effets de la baisse future du rendement à l’Agirc-Arrco. 

C’est grâce à ces efforts importants consentis par les salariés du privé, avec l’accord des organisations syndicales[9] et patronales, que la situation de l’Agirc-Arrco est aujourd’hui excédentaire.

Bien sûr la réforme des retraites va améliorer la situation financière des retraites complémentaires. D’après des calculs demandés par les partenaires sociaux, avec taux de chômage de 7 %, le régime devrait engranger quelque 22 milliards de ressources supplémentaires jusqu'à 2037. Le résultat serait amélioré de 2 milliards d'euros par an à l'horizon 2030, et encore 2,2 milliards d'euros en 2035[10].

Les principales pistes évoquées pour les négos 2023

C’est dans ce contexte que les partenaires sociaux vont entamer leurs discussions. Les principales pistes évoquées sont les suivantes : la fin de la décote de 10%. Cette mesure est défendue par les syndicats pour qui les excédents renforcés avec l’entrée en vigueur de la réforme des retraites, justifie cette mesure. « Nous voulons faire tout ce qui est possible pour faire disparaître le malus rapidement, assure Christelle Thieffinne pour la CFE-CGC. Il a été mis en place à un moment où la situation financière de l’Agirc-Arrco n’était pas au beau fixe. Aujourd’hui, les finances se portent bien. Maintenir une décote dans le contexte de la réforme des retraites ressembleraient à une double peine »[11]. Le coût de la suppression du malus est estimé à 500 millions €.

L'Agirc-Arrco pourrait également participer au coup de pouce sur les petites pensions prévu par la réforme des retraites. Le représentant de la CPME estime que « Si on fait la sourde oreille, à un moment où un autre cela va nous tomber sur la figure » et le gouvernement pourrait vouloir puiser dans les réserves des retraites complémentaires. Selon les Echos, les services de l'Agirc-Arrco ont chiffré le coût d'une participation éventuelle à 500 millions d'euros par an aux retraites complémentaires. A rapprocher d’un coût total de 1,8 milliard d'euros à horizon 2030 uniquement porté par le régime général[12]. Car le minimum de pension n'existe pas dans le régime complémentaire. Toujours selon le quotidien économique, la participation des retraites complémentaires n’avait pas été évoquée pendant la réforme car l’exécutif ne voulait pas prendre les partenaires sociaux à rebrousse-poil, particulièrement après l’épineux dossier du transfert du recouvrement de cotisations à l'Urssaf, finalement abandonné. 

Quid d’une baisse des cotisations ?

En 2017, dans le cadre de l’accord interprofessionnel signé par les partenaires sociaux, plusieurs mesures de recettes avaient été mises en place. Pour mémoire, il faut rappeler que les cotisations Arrco-Agirc prélevées sur la feuille de paye des salariés ne sont pas toutes génératrices de droits. Ainsi la contribution d’équilibre général (CEG) qui a rapporté 13,9 Mds € en 2022 n’est pas génératrice de droits. De même, la contribution d’équilibre technique (CET 1 Md €). S’ajoute à cela la différence entre le taux de cotisation et le taux d’appel : le taux de cotisation est multiplié par un taux d’appel qui augmente les versements de l’entreprise sans toutefois être convertis en points supplémentaires pour le futur retraité. Ce dispositif avait été introduit en 1971[13] et en 2017 les partenaires sociaux avaient adopté un relèvement de 125 à 127% du taux d’appel. En clair, cela signifie que les taux de cotisation de 6,2% sur la tranche 1 (de 0 à 1 PASS) et de 17% sur la tranche 2 (de 1 à 8 PASS) sont multipliés par 1,27 pour donner le taux appelé, la différence n’étant pas génératrice de droits à retraite[14].

Les recettes de cotisations de l’Agirc-Arrco en 2022

2022

Cotisations des entreprises (T1&T2)

CEG (T1&T2)

CET (T1&T2)

Total

Cotisations

En Mds €

68,489

13,977

1,034

83,501

Selon nos calculs, un retour de 1,27 à 1,25 représenterait une baisse de recettes de 1 Md € environ (chiffre brut, hors prise en compte des effets induits sur les allègements de charges). Un chiffre compatible avec le maintien de l’équilibre financier des comptes Agirc-Arrco tout en représentant un signe fort en faveur du pouvoir d’achat des salariés et de la compétitivité des entreprises.


[1] fusion prévue par l’accord Agirc-Arrco-Agff du 30 octobre 2015, et actée par l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 17 novembre 2017),

[2]  Prévu par l’accord de 2015

[3] Les retraités soumis à la CSG au taux réduit de 3,8% devaient subir une décote de 5%.

[4] (chômeurs en fin de droits ; personnes en incapacité de travail au taux de 20% ; invalides des 2ème et 3ème catégories, bénéficiaires de l’allocation d’adulte handicapé)

[5] https://www.lefigaro.fr/social/bientot-la-fin-du-malus-sur-les-retraites-complementaires-20230905

[6] Le taux d’appel est un prélèvement supplémentaire appliqué sur les cotisations mais qui ne génère pas de nouveaux droits à la retraite

[7] https://www.capital.fr/votre-retraite/la-mauvaise-nouvelle-de-laccord-agirc-arrco-sur-les-retraites-complementaires-1338950

[8] https://www.cor-retraites.fr/node/614

[9] A noter toutefois que les derniers accords n’ont pas été signés par la CGT

[10] https://www.lesechos.fr/economie-france/social/les-bons-comptes-de-la-reforme-des-retraites-pour-lagirc-arrco-1975575

[11] https://www.cfecgc.org/actualites/retraite-complementaire-quel-avenir-pour-lagirc-arrco

[12] https://www.lesechos.fr/economie-france/social/revalorisation-des-petites-retraites-lagirc-arrco-interpelle-1975215

[13] https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2019-06/doc-1073.pdf

[14] https://www.agirc-arrco.fr/wp-content/uploads/2023/06/resultat_comptable_et_financiers_Chiffres_AGIRC-ARRCO_2022.pdf