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Conclave retraites : des avancées et des non-dits

Finalement, le conclave n’aura pas abouti. Dans une conférence de presse qui s’est tenue le 26 juin, le Premier ministre a listé les objectifs fixés à ce cadre inédit de discussion des partenaires sociaux et les principales avancées. Il a bien été obligé d’admettre que deux points particulièrement clivants restent en suspens et a donné un délai supplémentaire aux partenaires sociaux pour trouver une voie de passage, délai qui a été refusé par la CFDT. Bien sûr de cet accord dépend en partie la survie politique du gouvernement Bayrou. Toutefois, il faut reconnaître que les discussions ont permis de mettre sur la place publique des thèmes jusque-là peu abordés dans le cadre bien huilé des rapports annuels du COR et des débats budgétaires du PLFSS : la capitalisation et la gouvernance. Mais l’alignement complet des régimes publics sur ceux du privé reste le grand absent de ce débat sur les retraites.

Les points d’accord à la date du 26 juin

Sur les objectifs du conclave, le Premier ministre a rappelé que le débat s’est déroulé dans un cadre contraint à savoir le retour à l’équilibre du système de retraite financier en 2030, et a ajouté l’impératif d’augmenter le taux d’emploi des seniors. Dans ce cadre, les partenaires sociaux étaient invités à trouver des solutions pour une meilleure justice : pour les femmes, pour les actifs ayant eu une carrière hachée et pour ceux qui ont eu un métier pénible. 

A ces thèmes, François Bayrou a ajouté d’autres sujets : ne pas alourdir le coût du travail pour ne pas menacer l’emploi et poser la question de la gouvernance.

Les points d’accord à l’issue de la négociation sont les suivants :

Les partenaires sociaux se sont accordés sur un retour à l’équilibre financier en 2030 et à ne pas remettre en cause les conditions d’âge fixées par la loi de 2023.

Ils se sont accordés pour améliorer la situation des personnes qui sont obligées d’attendre l’âge d’annulation de la décote qui passe de 67 ans à 66,5 ans. Cette mesure devrait coûter 600 M€ en 2030, 2,75 Mds € en 2045, selon les centrales patronales citées dans l’Opinion.

Améliorer les retraites des femmes : le coût des mesures envisagées est estimé à 400 M€ en 2030. Le premier point concerne la référence aux 25 meilleures années, les femmes ayant eu un enfant verront le calcul modifié sur 24 meilleures années, et pour deux enfants et plus, ce seront les 23 meilleures années. Cette mesure spécifique est estimée à 200 M€ en 2030, 600 M€ pour 2035, 1 Md en 2040 et 1,6 Md€ en 2045. L’autre mesure est la prise en compte des trimestres de maternité pour les départs anticipés au titre des carrières longues pour laquelle nous ne disposons pas de chiffrage. On constate tout de même que ces mesures deviennent vite onéreuses dans le temps.

Sur la pénibilité, les partenaires sociaux se sont accordés pour une réintégration des critères de pénibilité dits ergonomiques (ports de charges de lourdes, vibrations, postures difficiles) écartés à l’occasion de la réforme des retraites en 2023. La création de points d'usure pour les personnes exposées auxdits facteurs ergonomiques coûterait entre 400 et 700 millions d'euros d'ici à 2030 et 2,1 milliards en 2040.  Ils ont acté une cartographie des métiers exposés et une réponse par une action de prévention généralisée. Le point essentiel où un désaccord subsiste concerne la réparation : les organisations syndicales souhaitent une réparation générale. En clair, un départ anticipé à la retraite sera automatique, pour les personnes exerçant un métier reconnu comme pénible sous condition d’exposition. Pour les organisations patronales, ce serait recréer des « régimes spéciaux » et ils souhaitent plutôt une reconnaissance individuelle sur la base d’un avis médical.

Autre point non satisfait et non des moindres, le financement : les partenaires sociaux se sont entendus pour flécher 500 M€ de la branche AT MP et attendent d’une révision des conditions de cumul emploi-retraite 500 autres M€. Il manque toujours 400 M€ que les syndicats souhaitent obtenir par un relèvement du forfait social (2 points) tandis que les représentants patronaux voudraient remettre en cause les départs en carrière longue ouverts selon eux à un trop grand nombre d’actifs, ce qui représenterait une économie supplémentaire. La suppression des bornes d’âge de 21 et 20 ans permettant de partir en carrières longues, pourrait faire économiser 1,7 Md€ en 2030 et 4,5 Mds € en 2035 selon eux, mais les syndicats ne sont pas d’accord.

A l’issue de sa conférence de presse, François Bayrou a annoncé que si les partenaires sociaux ne trouvaient pas de solution, le gouvernement prendrait ses responsabilités en présentant un texte issu des négociations avec ses arbitrages qui serait soumis au vote du Parlement dans le cadre du PLFSS. Sur la question de la désindexation des retraites, le Premier ministre a botté en touche renvoyant aux annonces budgétaires qui seraient présentées le 14 juillet prochain.

Un retour en arrière sur l’âge n’est pas réaliste

Si le conclave était bien un objet politique permettant au gouvernement de jouer sa survie, force est de constater que les discussions ont abouti à ne pas remettre en cause le report de l’âge à 64 ans. Bien sûr, il faut rappeler que toutes les organisations syndicales et patronales ne sont pas restées jusqu’à la fin des débats (FO, CGT et U2P ont quitté très tôt les négociations). De plus, deux faits ont contribué à rendre la proposition d’abrogation de la réforme de 2023 hors de propos : la publication du rapport de la Cour en février pointant un déficit de 15 Mds € en 2035, y compris report de l’âge à 64 ans et du rapport du COR osant pour la première fois dire que des trois leviers pour redresser les comptes : désindexation, hausse des cotisations ou report de l’âge, les deux premiers avaient un effet récessif sur l’économie, le dernier avait un effet expansif. Ces avancées sont à souligner alors que nombre de représentants politiques continuent à brandir dans l’hémicycle le retour aux 62 ans.

Capitalisation et gouvernance : les deux sujets qui ressortent aussi des débats

Le conclave a aussi permis de faire émerger dans le débat sur les retraites des thèmes nouveaux : ainsi la capitalisation. Fait notable, le principe d’un nouveau cycle de discussion autour de l’introduction d’une part de retraite par capitalisation obligatoire, à l’image de celle qui existe pour les fonctionnaires, avait été acté durant le conclave des retraites.

Les politiques se sont d’ailleurs engouffrés dans cette idée qui séduit les jeunes générations qui craignent pour leurs retraites. Cette proposition est toutefois menacée par la menace d’augmentation du forfait social. Rappelons que le forfait social est une cotisation patronale prélevée sur les revenus non soumis à cotisations sociales : en clair, il s’agit des contributions employeur au titre d’une retraite supplémentaire, des plans d’épargne retraite collectifs ou plans d’épargne entreprise, etc. avec un taux de 20% et plusieurs taux dérogatoires de 8 à16%. Il s’agit donc d’un prélèvement social assis sur l’épargne retraite gérée en capitalisation au profit de la CNAV, soit le principal régime de retraite en répartition. On mesure donc toute l’ironie de ce débat sur les retraites où l’on souhaite développer la capitalisation tout en déclarant vouloir la taxer plus.

Les politiques et les partenaires sociaux devraient se souvenir que la capitalisation suppose un principe essentiel : la confiance. La confiance qu’à la première tempête, les économies placées ne seront pas ponctionnées pour assurer la pérennité du système de retraite par répartition (comme ce fut le cas en Pologne en 2013, où le gouvernement de D. Tusk avait nationalisé les fonds de pension privés pour diminuer le poids de la dette publique, ou en France en 1940).

Un autre thème est apparu en arrière-plan des négociations du conclave : l’idée que les partenaires sociaux reprennent en main la gouvernance du régime général, à l’image de ce qu’ils font pour les retraites complémentaires non sans un certain succès (pas de déficit, pas d’endettement, des réserves d’environ 90 Mds €, une situation financière équilibrée obtenue grâce à des mesures douloureuses, désindexation et baisse de rendement des retraites complémentaires que les syndicats salariés ont toujours acceptée). Le Premier ministre dans sa conférence de presse s’est déclaré très favorable à cette voie. Les partenaires sociaux oseront ils accepter cette main tendue ?

L’angle mort de la fonction publique

Reste un angle mort : le cas de la fonction publique. Dès le début des négociations et la mise en place du conclave, les syndicats ont indiqué qu’ils ne souhaitaient pas aborder la question des retraites de la fonction publique. D’ailleurs, on l’a oublié, mais un « sous-conclave » sur les retraites de la fonction publique était censé se tenir dont on n’a plus jamais entendu parler. Les mesures d’âge et les éventuelles dispositions spécifiques en faveur des carrières longues ou encore du calcul de l’âge de la décote s’appliquent à tous, fonction publique comprise. En revanche, la discussion sur la pénibilité ne concerne pas les fonctionnaires puisqu’ils sont couverts par un dispositif différent : les catégories actives peuvent toujours partir à la retraite à 59 ans. En 2016, la Cour des comptes avait chiffré le gain global d’une suppression des catégories actives à 2,3 Md€ à l’horizon 2020. Et ce n’est pas la seule différence ! il demeure plusieurs règles bien spécifiques concernant les retraites de la fonction publique qu’il conviendrait de les requestionner. 

Par exemple, pour toucher la réversion de son conjoint, n’y a pas de conditions de ressources comme à la CNAV ni de condition d’âge pour les agents publics. De même, les majorations pour enfant sont plafonnées à 10% dans le privé tandis que les retraites de la fonction publique prévoient une majoration de 5% par enfant, au-delà du 3e enfant. La seule limite étant que la pension majorée ne peut pas être supérieure à 100% du dernier salaire hors primes.

La dernière estimation du coût annuel de l’avantage de la réversion date de 2010. Cette année-là, le Sénat avait estimé à plus d’un milliard l’économie possible à horizon 2030 en s’alignant sur les règles du privé… Pour les majorations pour enfants un rapport IGF de 2024 évalue à horizon 20 ans l’économie à un demi-milliard d’euros par an si on prend en compte les trois fonctions publiques. 

Au-delà de ces règles spécifiques, aucun effort n’a été fait pour connaître le déficit réel du régime des retraites des fonctionnaires. Le rapport de la Cour de février évacue la question en considérant que même si des présentations comptables différentes montrent une surcotisation de 42 Mds € dont 35 pour l’Etat, cette présentation est sans incidence sur la charge qui, au final, pèse sur les finances publiques prises dans leur ensemble (État, collectivités territoriales et sécurité sociale).  Or cette affirmation est fausse puisque le régime de retraite des fonctionnaires locaux et hospitaliers qui fonctionne comme celui des fonctionnaires d’Etat présente pourtant un déficit qui devrait se creuser au cours des prochaines années (-2,6 Mds € en 2025 et -5 Mds € en 2035). D’ailleurs pour y répondre une augmentation de cotisation de 12 points a été adoptée en 2025 !! Une hausse de cotisation payée in fine par les contribuables ou par endettement public. Comment pourrait-il en être autrement pour la fonction publique d’Etat ? La Cour, le COR, le gouvernement ne pourront pas éternellement se retrancher derrière l’argument que le régime des fonctionnaires d’Etat n’est pas comparable aux autres !