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26 milliards de déficit pour le régime de retraite des agents de l’Etat

26 milliards d’euros, c’est le déficit caché de retraite que l’on peut estimer pour le seul régime des agents de l’Etat (FPE). Pourquoi caché ? Parce qu’il n’existe pas de caisse de retraite des agents de l’Etat qui permettrait de clairement identifier les charges : prestations versées de droit direct et dépenses de solidarité et côté recettes, les cotisations sur la base des taux appliqués aux salariés du privé et, au-delà, la subvention d'équilibre. Ainsi, le solde du système de retraites présenté dans le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites ne reflète, qu’en partie, la réalité, en renvoyant essentiellement au déficit des régimes du privé. De nouveaux documents budgétaires permettent de faire le point sur l’équilibre financier du régime des fonctionnaires de l’Etat. Une information bienvenue alors que le gouvernement s’interroge sur le calendrier et les modalités de la future réforme des retraites. L’occasion de rappeler que la convergence public-privé ne doit pas être écartée plus longtemps.

Définir le périmètre du régime de retraite des fonctionnaires d’Etat

Le document publié début juillet 2022 dans le cadre des notes d’exécution budgétaire de la Cour des Comptes du « compte d’affectation spéciale Pensions » 2021 permet de calculer un déficit approché du seul régime des retraites des fonctionnaires de l’Etat (FPE), hors ouvriers de l’Etat et pensions militaires d’invalidité.

En effet, pour le Fonds Spécial de Pensions des Ouvriers des Établissements Industriels de l’Etat (FSPOIE), sa situation démographique en fait un régime spécial en extinction, couvert en presque totalité par des subventions de l’Etat votées par le Parlement. Donc la logique tend à les classer dans les déficits connus des régimes spéciaux et non avec le reste des retraites des fonctionnaires de l’Etat. Pour les pensions militaires de retraites et d’invalidité, 42 % des dépenses d’un total de 1,5 Md € sont des retraites assimilables aux autres prestations obligatoires tandis que 55 % sont les pensions d’invalidité qui trouvent leur équivalent dans plusieurs régimes de salariés privés. Mais il n’y a pas de cotisation à proprement parler et l’Etat responsable des combattants et de leurs moyens de subsistance est le seul pourvoyeur de fonds.

Estimation du déficit du régime à partir du financement par les employeurs publics du Cas Pensions en 2021 (section 1)

     2021 en Md €

Etat (civil et militaire)

Etablissements Publics et Collectivités

Orange et La Poste

TOTAL

1-Masse cotisable

52,8 (1)

8,7 (2)

2,6 (3)

64,1

2-Cotisations salariés

6,8

0,3

7,1

3-Cotisations employeurs

42,4

6,1

0,8 dont 0,4 en  sur cotisation

49,3

4-Cotisations à 16,46 %

-8,7

-1,4

 

10,1

5-Surcotisations (3-4) hors 0R et LP

33,7

4,7

 

38,4

6-Dépenses de solidarité

   

-11,7

7-Excès des taux de cotisation

   

-0,4

8-Déficit

   

-26,3

 Source : notes d’exécution budgétaire de la Cour des Comptes du « compte d’affectation spéciale Pensions » 2021

Ce tableau appelle quelques précisions :

La masse salariale

La masse salariale cotisable (traitement et bonifications indiciaires plus certaines primes « indiciarisées ») est approchée car ce chiffre n’a pas encore été publié (rapport annuel de la DGAFP non encore disponible). Elle a donc été estimée avec un taux de progression de 1,8 % par rapport à 2020 (pas de hausse de l’indice mais effet des avancements et des augmentations catégorielles). La publication en octobre prochain du rapport annuel de la DGAFP pour 2021 permettra de confirmer cette importante donnée.

La masse salariale versée par les établissements publics et les collectivités locales pour les fonctionnaires de l’Etat (2) qu’elles emploient (en disponibilité ou en détachement) n’est fournie par aucun rapport officiel. Il est seulement connu que les fonctionnaires de l’Etat[1] mis à disposition ou détachés dans d’autres entités, la plupart du temps publiques, (EPA d’enseignement et de recherche ou autres EPA principalement) et qui continuent à être rattachés au régime de la FPE, représentent 17% des effectifs (mais moins en traitement indiciaire).

La masse cotisable peut donc être calculée, soit à partir du montant des cotisations employeurs effectivement payées par ces établissements et collectivités. Le taux de cotisation peut être variable entre établissements et collectivités, la plupart du temps à 74,28% mais parfois, par exception, à 30,65%, soit à partir des cotisations salariés à 11,1%.

Au total, on trouve par ces deux méthodes une masse salariale cotisable EP/CL entre 8,3 Md € et 8,7 Md €.

Les rapports officiels sur les retraites (COR et CCSS) quand ils mentionnent la cotisation d’équilibre de l’employeur au Cas pensions ne mentionnent jamais la cotisation d’équilibre versée au Cas pensions par les autres organismes publics qui sont consolidés. Il s’agit là d’une anomalie importante car c’est une manière d’occulter l’ampleur du déséquilibre : les cotisations d’équilibre versées par des personnes publiques autres que l’Etat couvrant les fonctionnaires de l’Etat représentent en effet plus de 10 % des dépenses totales.

Orange et La Poste

Orange et La Poste versent des cotisations d’employeurs pour les fonctionnaires en nombre décroissant qu’ils continuent à employer (3) et qui continuent à cotiser au régime FPE, à des « taux d’équité concurrentielle », respectivement de 50,6 % et 21,83 % en 2021, nettement plus élevés que ceux des employeurs CNAV/AGIRC-ARRCO, mais nettement inférieurs à ceux de l’Etat. Orange ne veut, en particulier, pas expliquer pourquoi, après avoir versé, lors de la privatisation de France Telecom, une soulte très conséquente pour financer les retraites à payer par le Cas Pensions, il reste des cotisations de cet ordre de grandeur sur environ 30 000 fonctionnaires actifs. Quant à La Poste, la baisse de 5 points de la cotisation en 2021, dont la justification n’est pas claire, a aggravé le déficit du compte d’environ 100 M € et a constitué une aide de l’Etat.

En revanche, Orange et La Poste n’étant pas consolidés dans les comptes publics, la sur-cotisation globale de 0,4 Md € que ces deux employeurs payent ne doit pas être comptée dans le déficit de la FPE. La totalité des cotisations de ces deux employeurs est une recette externe du compte qui contribue à un moindre déficit.

Les dépenses de solidarité

Les dépenses de solidarité, dont la nature est bien répertoriée, ne sont, en revanche pas identifiées comptablement et publiquement dans le régime FPE (contrairement à la CNAV par exemple). Toutefois, la DREES publie à intervalle régulier, une analyse assez précise qui donne des indications sur les grands régimes et notamment la FPE. Ces dispositifs sont évalués par les études DREES à 24,8 % des droits directs pour la fonction publique, dans la définition large des dépenses de solidarité, soit 11,7 Md € en 2021 (contre 21,5 % pour les retraités du secteur privé). Ce qui est une indication que les retraités de la FPE ont un avantage substantiel par rapport à des règles CNAV/Agirc-Arrco. Mais si l’on compare les dépenses de solidarité au sens strict (le périmètre large comprend des dépenses liées aux effets sur le taux de liquidation des trimestres non cotisés directement[2] ainsi que les départs au taux plein pour invalidité ou carrières longues) alors les dépenses de solidarité FPE seraient de 11 Md € seulement et l’avantage FPE sur le régime des salariés privés serait encore plus important.

Les dépenses de solidarité financées par l’Etat, non pas comme employeur mais comme financeur d’une politique nationale de solidarité, à travers des cotisations à taux plus élevé, modifie l’estimation du déficit du régime de retraites FPE. On retient ici une estimation large des dépenses de solidarité, réduisant ainsi l’estimation du déficit. Toutefois, force est de constater que le déficit n’est pas le seul reflet d’une démographie défavorable mais aussi le reflet de prestations non contributives plus élevées pour la fonction publique. Il ne s’agit pas de stigmatiser le régime de retraites des fonctionnaires, mais de faire la clarté sur la situation réelle du régime.

Cet exemple chiffré montre bien à quel point il est essentiel, en vue d’une vraie réforme des retraites, de mesurer rigoureusement les dépenses de solidarité dans tous les régimes et surtout dans les régimes déficitaires. C’est ce que voulait instituer la réforme de 2020 en organisant le financement des dépenses de solidarité de chacun des régimes, autour d’un seul fonds pour toutes les caisses harmonisant graduellement les règles. Néanmoins, il reste possible d’agir : la Fondation iFRAP recommande de longue date la constitution d’une caisse de retraite pour les fonctionnaires d’État faisant apparaître clairement les charges, prestations versées de droit direct et distinguant clairement les dépenses de solidarité, et accessoirement les coûts de gestion qui ne sont pas connus.

L’équilibre du Cas Pensions

Le Cas Pension est équilibré par construction. En fait, il est « suréquilibré », car le produit des cotisations employeurs au taux de 74,28 % et 126,03 % prélevées sur les traitements et imputés en dépenses des ministères et des programmes budgétaires pour l’alimenter, excèdent les dépenses de retraites réelles ordonnancées par le Service de retraite de l’Etat. En 2021, par exemple, les recettes ont excédé les dépenses de 0,4 Md € et en 2020 de 1,3 Md €. L’Etat ne veut en effet pas baisser le taux de cotisation à due concurrence car la prévision de départs en retraites au-delà de 2023 pourrait conduire à des dépenses excédant au contraire le produit des cotisations sur traitement aux taux actuels.

Avec 56,9 Md € de dépenses et 57,3 Md € de recettes (dont 56,4 Md € de cotisations employeurs et salariés, retenues sur les traitements et 0,9 Md € de recettes diverses compensations d’autres caisses), en neutralisant l’excédent de 0,4 Md € décrit ci-dessus, on peut donc estimer le déficit 2021 à 26,3 Md € soit 46 % de la dépense totale de la section 1 du Cas Pensions.

Conclusion

En simplifié et arrondi, les dépenses de 57 Md € du régime de retraites des fonctionnaires de l’Etat en 2021 sont couvertes par trois catégories de ressources :

  • Des cotisations au taux de droit commun des employeurs et des salariés fonctionnaires : 17 Md € (auxquels s’ajoutent des cotisations exceptionnelles prélevées sur Orange et La Poste de 1 Md € et des ressources de compensation et diverses de 1 Md €)
  • Le financement par l’Etat par sur-cotisation des dépenses de solidarité dans une acception large : 12 Md €
  • Le financement par l’Etat par sur-cotisation de la pérennité du régime de retraite face à son déséquilibre démographique : 26 Md €

Convention sur les déficits des régimes de retraite des agents publics : les arguments CSR et COR ne sont pas recevables

La publication au printemps dernier d’une note de Commentaires proposant une méthode pour approcher les déficits des régimes de retraite des agents publics a fait beaucoup réagir, notamment le Conseil d’orientation des retraites qui dans son rapport annuel s’est fendu d’une note pour contester cette méthodologie. Contestation reprise par le Comité de suivi des retraites qui a publié son rapport le 22 septembre dernier. Il mentionne en page 19 : « Une nouvelle convention est ainsi apparue récemment dans le débat public, qui retient comme niveau de ressources pour le financement des régimes de fonctionnaires celui résultant de l’application à leur traitement des taux de cotisations en vigueur pour les salariés du secteur privé. La logique sous-jacente à cette convention parait au Comité aussi légitime que les autres, dès lors que les différences de taux entre régimes seraient le reflet de règles plus favorables des régimes de retraite des fonctionnaires. Mais elle nécessite de corriger les taux de cotisation des écarts d’assiette de périmètre de prestations et de situation démographique, ce qui conduit à des écarts de taux de cotisation minimes. Retenir cette convention en l'appliquant de manière pertinente ne modifie donc pas significativement le montant du solde obtenu. L’estimation d’un déficit supérieur de 30Mds € à ceux présentés par le COR apparait donc non fondée ».

Cette réponse du Comité de suivi des retraites appelle les commentaires suivants :

Il est en effet reconnu que deux régimes, celui des fonctionnaires de l’Etat (FPE-CAS Pensions) et celui des fonctionnaires des collectivités locales et des hôpitaux, la CNRACL, qui représentent 23 % des prestations de retraites en France, ont un besoin de financement important, principalement pour des raisons démographiques, couvert par l’Etat et les autres collectivités publiques employeurs. L’Etat, les collectivités locales et les hôpitaux équilibrent globalement ces régimes avec un niveau de cotisations employeurs élevé, fondé sur des taux de cotisations exorbitants du droit commun, constants depuis 8 ans (74 %, 126%, 31%) à comparer aux 16 % qui s’appliquent aux employeurs de près de 80 % des actifs salariés français.

-L’application aux régimes de fonctionnaires d’un taux de cotisation employeur identique à celui de la très grande majorité des employeurs français ne serait qu’une convention parmi d’autres. La modélisation, pour les régimes des fonctionnaires, d’un taux de cotisation employeur identique à celui de la très grande majorité des employeurs français n’a rien d’une « convention » de calcul sur les ressources du régime. Ce n’est pas une hypothèse sur l’avenir, c’est la norme légale actuelle pour les employeurs de salariés privés et donc la plus pertinente des « références » que l’Etat peut s’appliquer à lui-même en tant qu’employeur. A preuve, en ce qui concerne les taux de cotisations salariés retenues sur les traitements des fonctionnaires, une convergence vers un taux identique de 11 % a été graduellement réalisée entre 2010 et 2020, démontrant que la référence des régimes de salariés privés a été constamment jugée valide pour les fonctionnaires.

  • La logique d’une telle référence ne dépend pas de savoir si les deux régimes de retraites de fonctionnaires bénéficient de règles de liquidation plus ou moins favorables que les salariés du privé. Quelles qu’en soient les causes, les deux régimes de retraites des fonctionnaires ont des besoins de financement, avant dotations d’équilibrage, qui doivent être agrégés au solde global de la protection vieillesse obligatoire pour faire un constat actuel et complet. Les deux régimes mobilisent, sur fonds publics, des dotations d’équilibrage très importantes qui financent la protection sociale et dont la contribution aux déficits publics français globaux doit être identifiée et publiée.
  • Des écarts d’assiette cotisable, de périmètre de prestations et de situation démographique justifieraient, selon le CSR et le COR, le niveau, exorbitant du droit commun, des cotisations employeur. Corrigés de ces éléments, les taux de cotisation des deux régimes publics seraient alors équivalents à celui du régime (base et complémentaire) des salariés privés. Ce raisonnement est largement inexact ou inopérant :
  1. Sur l’écart d’assiette cotisable entre régimes, si les cotisations des deux régimes de fonctionnaires ne portent effectivement que sur leur traitement et les bonifications indiciaires, à l’exclusion de la plupart des primes, alors que les cotisations du régime privé portent sur la totalité de la rémunération brute, les taux de cotisation de ces deux types de régimes restent totalement comparables puisque les prestations des régimes de fonctionnaires sont aussi calculées sur les seuls traitements.
  2. Il existe une différence limitée de périmètre de prestations entre régime des salariés privés et celui des fonctionnaires concernant les pensions d’invalidité, assurées par la caisse maladie (CNAM) pour le privé et non par la caisse vieillesse (CNAV) alors qu’elles sont prises en charge dans le public par le régime de retraites. Cette différence porte sur moins de 3 % des prestations des régimes de fonctionnaires, et n’explique qu’une fraction faible des différences de contribution globale des employeurs publics.
  3. Enfin l’écart relatif à la situation démographique des régimes de fonctionnaires (rapport démographique de 1 pour la FPE, 1,5 en moyenne pour les deux autres fonctions publiques contre 1,7 pour les autres régimes) est précisément ce qui, à titre principal, crée le besoin de financement des régimes de fonctionnaires. Cet écart est financé par une partie des cotisations à taux exorbitants du droit commun. La correction de ces taux pour tenir compte de la démographie est donc tautologique. Elle vise seulement à établir que l’écart de contribution des employeurs ne vient pas principalement d’avantages spécifiques aux régimes des fonctionnaires. Mais elle ne règle pas la question de l’identification des besoins de financement des régimes de la fonction publique et, par conséquent, de la consolidation de leurs besoins de financement dans l’ensemble des régimes.

Par ailleurs, aucune justification n’est apportée par le CSR ou par le COR sur l’absence de consolidation des besoins de financement des régimes spéciaux et du régime des exploitants agricoles (12 Md € de déficits) avant dotations d’équilibrage et transferts d’impôts.

Au total, aucune des différences entre régimes de retraites des fonctionnaires et régime des salariés privés ne peut exonérer les rapports publics de faire apparaître, en valeur absolue exprimée en euros, les besoins de financement des deux régimes de retraites des fonctionnaires, quels qu’en soient les causes, avant dotations d’équilibrage, d’y ajouter ceux des régimes spéciaux et du régime des exploitants agricoles avant dotations d’équilibrage ou transferts d’impôts et d’agréger ces montants dans la situation globale des retraites obligatoires en France, ce qui ferait apparaître alors, un besoin de financement global de l’ordre de 30 Md € (chiffre repris dans le rapport du COR de septembre 2022).

Il est illusoire de penser convaincre les différents acteurs en cause de la nécessité d’une réforme des retraites sans partir d’un constat réel de leur situation financière qui, loin d’être excédentaire, comporte un besoin de financement structurel proche de 10 % du montant des prestations versées, couvert dans les comptes de l’Etat, des collectivités locales et des hôpitaux.


[1] (source rapport DGAFP)

[2] Majorations de durée pour enfants, AVPF, trimestres assimilés