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Oui à la suppression de l’ENA… si Macron ne s’arrête pas au milieu du gué !

Énarque, énarchique, énarchie… Combien d’écoles peuvent s’enorgueillir d’avoir suscité la création d’un tel nombre de mots dans le dictionnaire et, surtout, d’avoir autant influencé le destin de la France ? Aucune. Mais esquissons les résultats : 483 taxes, impôts et cotisations, 3.500 pages du code du travail, 400.000 normes, dont un tomberau de lois et décrets, des coûts de production de nos services publics plus élevés de 84 milliards d’euros par an en moyenne par rapport à nos homologues européens, un Parlement infiniment plus faible que les grands corps, et privé de la possibilité d’exercer efficacement sa mission de contrôle des dépenses publiques…  Arrêtons là cette accablante énumération.

Cette tribune a été publiée dans les pages du Figaro, le 9 avril 2021. A voir, en cliquant ici.

Qu’apprend-on à l’ENA? Pour avoir osé demander leurs cours aux jeunes énarques en formation, les équipes de la Fondation iFrap avaient déclenché l’ire de la direction de l’école en 2016 et la promesse que ceux qui donneraient des informations sur le contenu des cours seraient sanctionnés !

Le constat est pourtant irrécusable : nos énarques restent des généralistes transversaux mais pas des « faiseux ». « Sur les 80 élèves formés chaque année par l’ENA (…) un tiers va dans les corps d’inspection et de contrôle (…) Nous avons aussi une difficulté que nous connaissons, qui est constamment dénoncée : nous inspectons, vérifions, contrôlons des gens et des missions que nous n’avons pas faites (nous-mêmes) » - ce jugement d’Emmanuel Macron lui-même, dans son allocution du 8 avril dernier, est exact. Ajoutons qu’à force d’être transversaux, nos énarques ont transformé la France en temple de la complexité.

Mais ce n’est pas tout. Contrôler ou conseiller ceux qui mettent les mains dans le cambouis sans prendre soi-même des risques. Faire à son gré moult allers-retours entre public et privé. Être protégé par un statut qui garantit l’emploi à vie et ne jamais connaître l’angoisse du chômage. Pouvoir, tout en restant haut fonctionnaire, faire de la politique sans démissionner alors que ce serait tout à fait impossible, par exemple, au Royaume-Uni, où les hauts fonctionnaires qui briguent des mandats électifs doivent quitter la fonction publique. Ne jamais être sanctionné. Être parfois même, promu afin de laisser son poste à un autre plus compétent. Avoir une rémunération (parfois plus élevée que celle du président de la République) opaque, alors que la liste des 172 hauts fonctionnaires qui gagnent plus que le Premier ministre et leurs rémunérations est publiée au Royaume-Uni : tels sont certains traits de l’énarchie.

La capacité de résistance de la haute fonction publique aux réformes qu’elle désapprouve est une réalité. En 2008, le président Sarkozy voulait doter le Parlement d’un organe d’audit pour évaluer les politiques publiques. Le lobby des grands corps a fait capoter la réforme. En 2017, François Hollande voulait modifier le classement de sortie de l’ENA. Macron à peine élu, un décret promulgué le 28 juin 2017 a rétabli le classement de sortie des élèves de l’ENA dans son organisation originelle…

Emmanuel Macron aurait donc changé d’avis ? Le 25 avril 2019, au terme du mouvement des «gilets jaunes», Emmanuel Macron déclarait : « Je pense qu’il faut supprimer, entre autres, l’ENA » « pour bâtir quelque chose qui fonctionne mieux ». Il ajoutait même : « Je souhaite que nous mettions fin aux grands corps ».

Deux ans plus tard, alors qu’un rapport Thiriez pompeusement nommé « Mission haute fonction publique », était remisé au placard, nouveau rebondissement : le président, en visite à l’Institut régional d’administration (IRA) de Nantes, annonçait qu’il allait réserver des places à l’ENA à des candidats issus de milieux modestes. Était alors invoqué donc, l’argument - peu convaincant à vrai dire - de la « diversité » pour, en définitive, ne pas supprimer l’ENA.

L’annonce de la fin de l’ENA prend donc le landerneau et les Français de court. Devons-nous y croire ? Est-ce juste un stratagème pour continuer dans le même esprit ? Derrière le syndrome énarchique se cache aussi la scission entre le secteur public et le secteur privé. Une scission malsaine qui n’existe pas ailleurs en Europe. Le sursaut de la France, sa reconstruction, dépendra de la réconciliation de ces deux France. Il faudra de grands talents pour servir la France dans les prochaines années, mais pas des talents technocratiques. Ces talents existent, chez nos entrepreneurs et nos travailleurs indépendants qui tous connaissent, chacun à son niveau, les affres de la confrontation avec la bureaucratie de notre pays et son contrôle suspicieux.

Le salut de notre pays passera par cette ouverture à ces talents français pour qu’ils puissent diriger certaines de nos administrations, de nos organisations sociales, de nos collectivités locales. La France a trop souffert des chasses gardées. Le salut passera aussi par un alignement des modalités d’embauche, de carrière, de retraite dans le privé et dans les collectivités, les hôpitaux et nombre d’administrations de l’État sous contrat et non plus sous statut, sous réserve, c’est vrai, de précautions indispensables visant à éviter que des militants politiques ou associatifs n’en bénéficient de façon indue.

La suppression de l’ENA ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt pour recommencer avec une autre école peu ou prou à l’identique. Le temps n’est plus à l’affichage opportun de quelques têtes de la société civile pour faire croire que l’état d’esprit de nos dirigeants a changé. Notre pays, si rien n’est fait rapidement en matière de réformes courageuses, va continuer de décrocher.

Les informations dont nous disposons sur le projet du gouvernement sont, à bien des égards, encourageantes. Il serait excellent qu’on ne puisse plus, par exemple demain, accéder directement à un grand corps de l’État à la sortie de l’ENA si l’on est classé parmi les premiers. Mais nous ne sommes pas naïfs. Sur ce sujet, les promesses non tenues ont été légion depuis des décennies. Les résistances à surmonter sont immenses. Et les choix techniques à faire parfois, c’est vrai, difficiles.

Un chantier très vaste s’ouvre. Tout reste à faire. Soyons exigeants, vigilants. Mais, à ce jour, soutenons le principe de la réforme. Donnons-lui sa chance. Tournons la page pour en écrire une autre : celle où l’administration sert la France sans l’assujettir.