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Les mesures pour assurer la confiance entre les Français et leurs administrations

La confiance entre les Français et leurs administrations est centrale pour l’équilibre de notre démocratie. Et ce n’est pas le statut à vie des agents qui garantit cet équilibre mais les principes que sont la transparence sur la gestion publique et sur la qualité de nos services publics, la responsabilité des agents, la capacité de contrôle de l’action publique par le Parlement, la Cour des comptes et le Haut conseil des finances publiques, le cadrage de l’endettement par la Constitution pour garantir notre souveraineté et, à terme, notre liberté.     

Cette tribune a été publiée dans les pages de la revue l'Ena hors les murs, en septembre 2021. A voir, en cliquant ici.

Les Français sont, à 60%, favorables à la suppression du statut de la fonction publique et militent pour un statut de contractuel. De leur côté, les agents publics y sont opposés à 69 %, selon un sondage publié en juin 2021.  

Par ailleurs, les Français, d’un côté souhaitent que tous les salariés soient embauchés selon les mêmes règles, ce qui faciliterait grandement la future convergence des modalités de calcul des retraites du public vers le privé, tandis que les agents publics, continuent, eux, de considérer que leur statut leur permet de mieux servir l’intérêt général… préférant une fonction publique de carrière à une fonction publique d’emploi.

Et si les Français avaient raison ? Si, comme dans tous les pays voisins, le statut était définitivement obsolète ?

Servir l’intérêt général… mais le médecin libéral, n’est-il pas, lui aussi, au service de ses concitoyens ? Le soldat contractuel en opération extérieure ne sert-il pas aussi bien la France que s’il était titulaire ?  Les ministres du gouvernement issus de la société civile (il y en a trop peu), ne sont, certes, pas fonctionnaires mais ils servent la France… Chaque jour, des millions d’entre nous servent la France et ne sont pas pour autant titulaires d’un statut de la fonction publique… et pour beaucoup (pompiers volontaires, contractuels de la cyberdéfense, etc.) assurent des missions de service public.

L’infirmière qui travaille dans une clinique privée met également tout son cœur à soigner ses concitoyens. Le professeur d’école privée sous contrat ou pas, y met autant d’énergie tout comme l’agent de propreté d’une entreprise en délégation de service public, qui tous les jours, ramasse les poubelles de ses concitoyens.   Allons plus loin… l’entrepreneur ne sert-il pas la France aussi… quand il crée des emplois ? Quand il investit ses propres deniers pour créer de la valeur ajoutée et de la croissance ?

Et finalement, nous tous qui payons des impôts pour financer les équipements, les infrastructures, payer les professeurs… ne servons-nous pas aussi, tous les jours, notre pays ?

Evitons l’amalgame : si juridiquement le fonctionnaire titulaire est propriétaire de son grade mais pas de son poste, dans les faits la fonction qu’il exerce n’est ni un métier ni une vocation. Les « manières de servir » se sont démultipliées – y compris dans les fonctions dites « régaliennes ». Et la sélectivité des concours trop généralistes et transversaux les condamne à une perpétuelle « professionnalisation ».

Nombre de serviteurs de la France attendent depuis longtemps que certains principes fondamentaux soient respectés, mais que la pratique s’adapte résolument à l’esprit du temps afin de retrouver du sens à leur action et réconcilier ainsi puissance publique et capacité d’agir.

Pour y arriver, le statut public que nous connaissons doit être transformé en contrat comme dans la plupart des pays qui nous entourent (Danemark, Suède, Suisse, Italie…) Seuls les magistrats () et les militaires pourront rester statutaires à vie. Les embauches dans les collectivités (plus de 50% des embauches s’y font déjà sous contrat), les hôpitaux, les écoles, les ministères se feront, dans les prochaines années, sans aucun doute exclusivement sous contrat.

La question n’est plus est-ce que cela arrivera, mais quand. En effet, il est piquant que certains réflexes corporatistes se raidissent à l’évolution des statuts. Pourtant, c’est aujourd’hui un lieu commun que les nouvelles embauches s’effectuent sous contrat à la SNCF, à la Poste, etc. Alors pourquoi se hérisser à l’idée que cela puisse être symétriquement le cas dans le service des espaces verts d’une commune ou au secrétariat d’un ministère…

D’ailleurs, ce sujet de la contractualisation devrait être aussi central dans la réforme de la haute fonction publique. Quel est l’intérêt de remplacer l’ENA par une autre Ecole nationale du Service public sans passer du statut au contrat et sans demander à ceux qui choisissent le privé de démissionner de leur statut ? Mais il faudra aller plus loin que la fin du statut public pour réconcilier totalement les Français et leurs administrations, et leur en renvoyer une image agile et moderne.

Cinq principes fondamentaux sont selon nous à renforcer  

  • Transparence et responsabilité

Nos élus comme nos agents doivent être responsables au même titre que l’est un avocat, un médecin ou un chef d’entreprise de ses erreurs professionnelles/de fonction. Si la responsabilité financière se modernise à la suite du rapport Bassères et des propositions de réforme de la Cour des comptes, inscrites dans la loi de finances 2022, cela reste une première étape. Il faut être plus ambitieux en publiant l’ensemble des « lettres de forçage » permettant aux ordonnateurs principaux de contraindre les comptables publics à payer des dépenses à découvert, mais aussi en rénovant la lecture actuelle de la séparation des pouvoirs qui interdit aux responsables de nos administrations d’être auditionnés sur la qualité de leur gestion publique devant le Parlement.

Cet effort d’exemplarité et de transparence doit avoir son pendant « documentaire » par la publication systématique des bilans sociaux des organismes publics (ministères, agences, collectivités, organismes de sécurité sociale et hôpitaux). Au passage, ce changement de paradigme devrait permettre de confirmer ou d’infirmer les bonnes pratiques de certaines structures : heures réellement travaillées, taux d’absentéisme, sollicitation des structures déontologiques, alerte éthique, etc.

  • Agilité et accessibilité 

L’expérience client que procure l’administration est loin de celle proposée par les géants du net par exemple. Elle doit donc se digitaliser, prioriser les évènements de la vie (le « dites-le-nous une fois ») et simplifier les procédures (où en est la fusion entre la carte d’identité numérique et son pendant la carte vitale, développées en silos, tandis que l’identité digitale ALICEM est encore dans les limbes ?), ou encore le dossier médical partagé.

  • Améliorer la gouvernance en décentralisant

Un Etat respecté est un Etat qui respecte lui-même une répartition des missions publiques claires entre lui et les territoires. Les études montrent (voir sondage ci-dessous) que les Français attendent maintenant une véritable décentralisation de la santé et de l’éducation, et font plus confiance à leurs élus locaux pour gérer ces politiques publiques de proximité. D’ailleurs, 84% de nos compatriotes estiment que l’État ne peut plus exercer seul les compétences de l’éducation, de la police et de la santé. Mais renforcer l’échelon local suppose des initiatives d’explicitation en retour, du type « Where does my money go ? » qui doivent pouvoir se développer partout sur notre territoire. Or, aujourd’hui, la multitude des financements croisés et l’absence quasi-généralisée de comptabilité analytique normalisée dans les organismes publics, empêche cette information citoyenne de se constituer et de circuler.

  • Contrôler l’utilisation des deniers publics

Assemblée nationale, Sénat, Cour des comptes, Haut conseil des finances publiques, le pouvoir de ces organismes est réduit à la portion congrue par rapport aux grandes démocraties qui nous entourent. Ailleurs : le Parlement a les moyens d’évaluer les politiques publiques avec un organe d’audit dédié, l’équivalent du HCFP (Haut conseil des finances publiques) mais avec beaucoup plus de pouvoirs. Il peut évaluer également la charge administrative pesant sur les entreprises et les particuliers (NormenKontrollrat en Allemagne), réaliser des études d’impact dignes de ce nom avec des chiffrages précis et fournis… Ces études peuvent faire l’objet d’analyses contradictoires notamment au Royaume-Uni entre les What Work Teams des ministères et le contrôle effectué par le NAO (organe d’audit au service du Parlement britannique).

  • Liberté et souveraineté

 La France ne peut continuer à s’endetter sans compter en pensant que cela ne nous place pas à la merci de créanciers qui n’ont pas les mêmes valeurs démocratiques, éthiques et déontologiques que nous. Les Français font très bien le lien entre la dépense publique comme coût de son administration (dépenses de fonctionnement au sens large en dehors des dépenses sociales et d’intervention) et la « performance » de cette dernière. Dans cette optique, un pays souverain est un pays qui maitrise ses finances publiques et qui ne risque pas de se trouver dans l’impasse budgétaire en cas de remontée des taux sur la dette. Lorsque cette politique est donnée à voir avec des résultats tangibles, elle crédibilise l’administration elle-même et écarte l’image d’Epinal de l’Etat obèse et omnipotent. Bien maitriser nos finances publiques demande des règles claires : une règle de frein à l’endettement au niveau constitutionnel avec pour principe de ne pas s’endetter quand la richesse nationale est en croissance.

Servir en responsabilité, en transparence, en rendant des comptes aux Français et à leurs représentants tout en introduisant dans notre Constitution une règle de frein à l’endettement. Voilà ce qui rétablira la confiance envers nos administrations et nos institutions parallèlement à la mise en place de la contractualisation de la fonction publique. Les pays du nord de l’Europe l’ont compris très tôt et en tirent une grande stabilité institutionnelle accompagnée d’une confiance importante dans des services publics efficients et reconnus. Et ce, alors même que les personnels de leurs administrations sont très majoritairement des contractuels. L’idée d’un statut public à vie qui garantirait, à lui seul, des services publics de qualité, une bonne gestion publique et le service de l’intérêt général a fait long feu. Les Français l’ont bien compris.