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Le transport ferroviaire en France et en Europe

La SNCF face à l'ouverture à la concurrence

Le système ferroviaire français, toujours déficitaire, a coûté à l'État près de 10 milliards d'euros de subventions publiques en 2009. A force de retarder les réformes, notamment pour adapter notre marché à l'ouverture à la concurrence, la France a pris du retard face aux autres pays européens. Décryptage d'un échec français.

L'ouverture à la concurrence pour redresser le transport ferroviaire en Europe.

L'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire est une conséquence des directives européennes initiées à partir de 1991 afin de libéraliser ce mode de transport dans les États membres. Ces mesures avaient pour objectifs de stopper le déclin du trafic ferroviaire fortement concurrencé par l'augmentation de la route et la démocratisation des transports aériens, d'assainir leur situation financière et de renforcer leur indépendance.

[(Les champions du ferroviaire en Europe
Les champions sont les pays du Nord, notamment la Suède qui fut la première à expérimenter un gestionnaire pour ses infrastructures ferroviaires, une régionalisation ainsi qu'une ouverture à la concurrence du fret et des voyageurs. L'Allemagne, avec son entreprise historique, la Deutsche Bahn, a ouvert son marché à la concurrence en 1994. Partie d'une situation difficile elle a mis à profit l'ouverture de son marché pour renouer avec la compétitivité et obtint des résultats positifs dès 2004. La Grande-Bretagne a commencé un processus de privatisation global en 1996. Mais faute d'investissement de la part du privé, le réseau s'est considérablement dégradé, notamment avec une baisse de la sécurité ferroviaire due à une baisse de l'entretien. En 2001, les Britanniques sont obligés de revenir vers un modèle plus traditionnel avec une reprise en mains de la gestion du réseau par l'État.)]

Fret : une première étape de la libéralisation pour une activité sinistrée

Dans ce processus de libéralisation, les Français figurent parmi les plus en retard. Cette ouverture à la concurrence passe mal, les syndicats et cheminots sont systématiquement en opposition. Ainsi, ce n'est qu'en 2003, avec 10 ans de retard sur les Suédois, que la France ouvre à la concurrence le fret international et il faut attendre 2006 pour le fret domestique. De plus les procédures d'obtention de licence sont longues et complexes, problème auquel s'ajoute celui des normes différentes pour rouler sur les rails en fonction des pays. Le tout rend le marché ferroviaire français encore peu concurrentiel et plombé par des déficits structurels. En 2009, les résultats de la SNCF sont négatifs alors que l'exploitation est portée par plus de 7.7 milliards de subventions nationales et locales auxquelles s'ajoutent 2,3 milliards de subventions à RFF. Soit 10 milliards d'euros consacrés au système ferroviaire français !

Trafic de voyageurs : des blocages demeurent

Pourtant, la concurrence s'intensifie avec l'ouverture du trafic international de voyageurs en décembre 2009. Le premier cas sera peut-être un Paris-Milan opéré par l'entreprise italienne, Trenitalia. Là encore, la SNCF a des réticences sur ce projet. En cause, le cabotage – possibilité sur une liaison internationale d'effectuer plusieurs arrêts dans un même pays et contourner ainsi le monopole sur le trafic national – car la SNCF craint une concurrence sur la desserte Lyon-Paris, même si cette activité ne doit pas représenter plus de 50% des recettes de la ligne. Les tensions existantes entre la SNCF et Trenitalia ne sont pas des cas isolés. En effet, côté allemand, la DB regrette que le marché intérieur français de voyageurs ne soit pas ouvert à la concurrence alors que la SNCF, via sa filiale Keolis, effectue des demandes de sillons, c'est-à-dire des créneaux de circulation pour ses trains, en Allemagne. Et petit à petit, elle tisse un véritable réseau outre-Rhin : interviewé par Ville, Rail et transport, le président de la Deutsch Bahn, Rüdiger Grube explique que Keolis et les autres opérateurs français réalisent déjà 7% du trafic voyageurs.

Le monopole de la SNCF pose des problèmes aux régions

Une autre étape dans le processus de libéralisation pourrait se dessiner au niveau des régions. La commission réunie autour du sénateur Grignon étudie une possible expérimentation en 2011 d'appels d'offres à des prestataires autres que la SNCF, qui détient le monopole sur l'organisation des transports en région. Depuis le 1er janvier 2002, la loi SRU – solidarité et renouvellement urbains – a confié aux conseils régionaux l'autorité d'organiser les transports de voyageurs dans leurs régions. A ce titre, elles signent des conventions avec la SNCF par lesquelles elles s'engagent à participer, en subventionnant, à l'exploitation de lignes régionales, les TER, assurées par la SNCF. Ces investissements représentent 10 à 25% de leurs budgets. Or le service rendu par la SNCF est de plus en plus contesté. Le manque de productivité ou les dysfonctionnements des lignes sont souvent en cause. D'ailleurs les présidents de régions menacent souvent la SNCF de recourir aux tribunaux pour non exécution de mission. Car pour faire rouler les TER, les régions payent un prix en gros, qui représente une subvention annuelle de 3,3 milliards d'euros pour la SNCF. Les régions ont trouvé excessif, qu'en plus, la SNCF, en 2010, réclame, avant même la fin du contrat, un complément aux 22 conventions signées, pour combler les déficits du système de retraites. Pour une région comme la Bourgogne par exemple, le supplément représente la somme de 4 millions d'euros de 2009 à 2012.

L'échec du système ferroviaire français : la réforme SNCF / RFF en cause

La séparation SNCF-RFF a été mise en œuvre en 1997. L'idée était qu'à la manière d'une autoroute, la SNCF, tel un routier, paie des péages au gestionnaire du réseau ferroviaire, Réseau Ferré de France (RFF). Avec cette séparation, l'objectif était de préparer l'ouverture du réseau français à de potentiels concurrents. Objectif auquel s'est ajouté la volonté d'alléger le poids de la dette de la SNCF pour lui permettre de rester compétitive en transférant près de 20 milliards d'euros de passif sur RFF sur un total de 30 milliards d'euros de dette SNCF en 1997. Mais plusieurs problèmes sont rapidement apparus. Tout d'abord, la SNCF a gardé tous ses cheminots (soit 160 000 en 2008) afin de ne pas heurter la « citadelle syndicale » qui refusait tout changement d'employeur. Or il est dans ce cas difficile pour RFF, avec 939 salariés en 2008, de prendre en charge l'entretien et l'organisation des voies ferrées. Ce manque cruel de ressources humaines empêche de surcroît RFF de remplir sa mission de manière indépendante. La seule solution s'offrant à RFF a été de déléguer la gestion d'infrastructure à… la SNCF, la seule qui puisse répondre à cet appel d'offre. A cette organisation imparfaite s'ajoute l'épineuse question des déficits : la SNCF paye des péages (par exemple en 2004 ; 2,2 milliards d'euros) mais facture à l'établissement public plus cher (2.6 milliards) pour la gestion des infrastructures. Ce qui accroît l'endettement de RFF. Autant de raisons qui ont rendu houleuses les relations entre SNCF et RFF.

L'affaire des caténaires en 2008 est un parfait exemple de l'irresponsabilité née de cette organisation. Le dialogue de sourds qui va s'opérer entre les deux établissements conduit l'État à mandater l'Ecole polytechnique de Lausanne pour étudier l'état du réseau français, qui confirme son « état critique » et explique qu'il est possible de réduire le coût d'entretien. La solution serait un véritable appel d'offres par ailleurs déjà proposé en 2004 par Hervé Mariton dans le cadre de la Mission d'évaluation et de contrôle à l'Assemblée nationale.

Le comportement syndical français nuit à la SNCF

La timidité des réformes entreprises à la SNCF tient à la volonté du gouvernement et des dirigeants de privilégier la paix sociale dans l'entreprise. Une attitude qui ne contribue pas à améliorer la compétitivité de la SNCF sur le long terme. Les coûts salariaux sont supérieurs de 30% à ceux du privé et du même coup les concurrents ne font que progresser depuis l'ouverture. Bruxelles interdisant à l'État français d'accorder des plans de relance, les syndicats de la SNCF n'ont désormais d'autre choix que de prendre leurs responsabilités sur la question de leur statut.

Un statut des cheminots trop favorable ?

Les conditions de ce statut ont contribué à une organisation du travail hypertrophiée incitant à l'inflation des rémunérations. Le salaire mensuel brut moyen de 2571 euros par agent est supérieur de 9% à celui du secteur privé dans son ensemble. Ce qui donne au total des charges de personnel représentant 8.2 milliards d'euros en 2007. Les agents bénéficient en plus de billets quasi-gratuits pour eux et leurs familles, même en tant que retraités. Ils ont accès aussi à des centres de loisir pour partir en vacances (66 en France), ainsi qu'une caisse de couverture maladie très avantageuse (salaire remboursé à 100% pendant 6 mois en cas d'arrêt maladie par exemple). Enfin la SNCF possède des milliers de logements de fonction et une filiale immobilière (ICF) qui possède 90.000 logements HLM. D'autres entreprises ont des politiques sociales généreuses, mais elles les adaptent périodiquement en fonction de leurs moyens financiers et de leurs propres ressources, et non pas avec ceux des contribuables.

Le régime spécial de retraite des cheminots : la réforme ne suffit pas

Dernier point, le régime de retraite des cheminots : En 1945, les syndicats ont préféré conserver leur régime de retraite traditionnel plutôt que de rejoindre un régime général moins généreux. Face à des charges qui représentent aujourd'hui 4,9 milliards d'euros, le régime qui est en déficit ne parvient à financer les pensions qu'en faisant appel à la collectivité. L'entreprise reçoit chaque année 300 millions d'euros pour compensation démographique du régime général et bénéficie d'une subvention d'équilibre de l'État de 3 milliards d'euros en 2010... La baisse du nombre de cotisants rapportée au nombre de retraités n'est pas le problème : ce sont surtout les départs prématurés (entre 50 et 55 ans) touchant 87% des cheminots et le mode de calcul de la retraite (75% du dernier salaire hors primes) qui aggravent les déficits. De plus, pour financer leurs retraites les cheminots contribuent moins que dans le privé (7,5% hors primes en 2010 contre 10,35% dans le privé). En tout et pour tout, chaque retraite coûte en moyenne près de 9000 euros à la collectivité. Les récentes réformes des régimes spéciaux n'ont pas eu d'impact sur la situation financière... un obstacle de plus dans la capacité d'adaptation de la SNCF face à des concurrents de plus en plus compétitifs.