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Retours forcé à la frontière et OQTF : le bilan chiffré

Les derniers chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur (octobre) permettent de dégager un premier bilan à jour au troisième trimestre (T3) 2023 des éloignements des étrangers en situation irrégulière en France. Tout d’abord une tendance générale, si la tendance trimestrielle actuelle se poursuit au T4 2023, on observera un « plateau » concernant les éloignements forcés. Mais derrière cette apparente « stabilité », il apparaît que les éloignements forcés de personnes extra-européennes (hors UE) entrées en France montent en puissance (+44% entre 2021 et 2022, +13,7% entre T3 2023 en cumulé et T3 2022) au détriment de celles en provenance d’un autre point d’entrée de l’UE (-16,9% T3 2023/2022) ou de l’espace Schengen (entre 2022 et 2021, soit -14%). Les expulsions de ressortissants européens semblent baisser également dans tous les cas de figure. Il semble donc que la « priorisation » des expulsions extra-européennes s’effectuent à budget constant et donc cannibalisent les autres formes de retour. 

Enfin s’agissant des OQTF, le taux d’exécution reste faible (soit 6,8% en 2022 et 6,9% au T3 2023), en tout cas très éloigné du taux d’exécution avant crise (12% en 2019). Cette faiblesse rétroagit sur l’indicateur de performance taux de retour forcé après placement en CRA (centre de rétention administrative), qui atteint péniblement en 2023 les 43,2%. Très loin des cibles assignées de 50 et jusqu’à 70% d’ici 2026. Ces mauvais taux s’expliquent par le manque de moyens budgétaires mais aussi par la complexité du droit des étrangers en cas de recours (avec ou sans placement en CRA). D’où l’intérêt des simplifications procédurales posées par le projet de loi actuellement en discussion pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration

Des éloignements forcés en baisse au T3 2023

S’agissant des retours forcés, l’année 2022 montre une augmentation de +1.319 individus expulsés soit +13,1% par rapport à 2021. En revanche si l’on augmente la focale, la situation est beaucoup moins brillante. Par rapport au niveau d’avant-crise de 2019, leur niveau est encore de -39,6%, soit un différentiel de retour de -7.496 en 2022. Il n’y a donc pas eu d’effet de rattrapage en 2022 du niveau normal atteint en 2019.

Si l’on veut maintenant traiter des indicateurs sur base trimestrielle jusqu’au T3 2023, l’amélioration à venir est moins évidente encore pour 2023 : on assiste en effet à une baisse des retours forcés au T3 2023 (-8,3% à 2.759 individus) par rapport à leur niveau (en baisse au T3 2022 de -6,9% à 2.896 individus) et en hausse au T3 2021 (+11,7% à 2.705). 

Une évaluation comparative cumulée au T3, 2023 semble plutôt se présenter comme un plateau (-0,43%). Le volontarisme en matière d’éloignement forcé apparaît donc comme insuffisant pour dynamiser ces retours.

Une analyse des composantes qui appelle à nuancer ce premier jugement

Si l’on regarde cependant les sous-composantes des retours forcés, le jugement est plus nuancé notamment en vision cumulée :

Au niveau annuel (donc jusqu’en 2022), les données détaillées par rapprochement entre les statistiques publiées en janvier et celles mises à jour en juin puis octobre, les éléments sont les suivants :

 

2018

2019

2020

2021

2022

Var

Var %

Éloignements forcés (A) 

15 677

18 906

9 111

10 091

11 410

1 319

13,07

dont retours des ressortissants de pays tiers vers les pays tiers 

7 105

8 858

3 329

3 511

5 056

1 545

44,00

dont remises Dublin 

3 488

5 255

2 607

3 032

3 038

6

0,20

dont UE Réadmission Schengen

2 127

1 837

1 272

1 606

1 381

-225

-14,01

Union européenne

2 957

2 956

1 903

1 942

1 935

-7

-0,36

Source : ministère de l’Intérieur – retraitement Fondation iFRAP décembre 2023

Les retours des ressortissants de pays tiers vers les pays tiers à l’UE augmentent significativement, soit +44% entre 2021 et 2022 avec +1.545 retours effectués, contre un volume constant des « dublinés » (retour dans le pays de 1ère admission au sein de l’Union européenne), une baisse des réadmission Schengen (-14%) et un léger effritement des retours intra-européens (-0,4%).

Sur base trimestrielle intégrant le T3 2023 en cumul, les retours de ressortissants des pays tiers à l’UE vers ces pays augmentent de façon significative de +13,7% entre T3 2023 et T3 2022, soit +494 individus, tandis que les remises Dublin baisse de 16,9% (-420 individus) et que la catégorie Autres, cumulant les expulsions de ressortissant de pays de l’UE et les réadmissions Schengen baissent de 4,4% (soit -111 individus). 

 3 premiers Trimestres cumulés

T3 2021

T3 2022

T3 2023

Var

Var %

Éloignements forcés (A) 

7 309

8 625

8 588

-37

-0,4

dont retours des ressortissants de pays tiers vers les pays tiers 

2 466

3 595

4 089

494

+13,7

dont remises Dublin 

2 176

2 481

2 061

-420

-16,9

dont autres

2 667

2 549

2 438

-111

-4,4

Source : ministère de l’Intérieur – retraitement Fondation iFRAP décembre 2023

On observe donc une montée en puissance – tant en 2022 par rapport à 2021 en rythme annuel qu’entre T3 2023 et T3 2022 en cumulé – des retours forcés vers les pays tiers de l’UE, même si cette montée en puissance s’effectue au détriment des « dublinés » en cumul au T3 2023/2022 contre une faible augmentation en rythme annuel 2021-2022, et des autres modes d’expulsion. Il semble donc il y avoir une « priorisation » des expulsions vers les pays tiers à l’UE et à l’espace Schengen qui se vérifie dans les chiffres. 

Les exécutions des OQTF restent encore faibles sur moyenne période

Les statistiques relatives aux OQTF (obligations de quitter le territoire français) ne sont pas directement fournies par le ministère de l’Intérieur dans le cadre de son suivi statistique annuel. Elles requièrent les demandes récurrentes sur base annuelle des rapporteurs spéciaux ou pour avis du Parlement lors de la discussion de PLF de l’année en cours.

Cette année, les statistiques[1] sur longue période[2] sont les suivantes :

Source : Ministère de l’Intérieur d’après les questionnaires des rapporteurs.

Il apparaît que le taux d’exécution des OQTF pour 2022 atteignent 6,8% (soit 9.078 unités), en hausse de 0,8 point par rapport à 2021. Le taux à la mi-année des OQTF en 2023 n’augmenterait que de 0,1 point, soit à un niveau quasi-identique à celui de l’année précédente. Il ne semble pas qu’il y ait donc d’accélération des exécutions. Par ailleurs le taux d’OQTF de 2022 est égale à celle enregistrée en 2020 au moment même de la crise sanitaire, alors que les transports étaient fortement paralysés. Le plus bas niveau annuel semble avoir été atteint en 2021, mais l’ensemble ne témoigne pas d’une accélération post-crise ni même d’un possible retour à la normale, le niveau de 2019 étant près de deux fois plus élevé avec 12%. Or il s’agit « de la majorité des mesures administratives d’éloignement des étrangers en situation irrégulière. »

Attention tout de même comme le relève la rapporteur spéciale : « le taux d’exécution des OQTF est un indicateur comportant plusieurs limites liées à l’existence d’un décalage temporel entre l’émission de la mesure d’exécution, à l’impossibilité d’exécuter certaines OQTF le temps que les recours juridictionnels les visant soient purgés, des difficultés à quantifier avec certitude le nombre de recours spontanés ainsi que la possibilité qu’un même étranger fasse l’objet de plusieurs OQTF distinctes. »

Des cibles d’éloignement à l’issue d’un placement en CRA toujours manquées

Ces difficultés se concrétisent dans l’indicateur « retour forcé après placement en CRA » au travers de l’indicateur 3.1 de la mission Immigration, asile, intégration, qu’il s’agisse de PAP (en PLF) ou de RAP[3] (en loi de règlement). Or ce qu’une rétrospective depuis 2020 (depuis que l’indicateur existe) nous enseigne c’est que les cibles n’ont jamais été atteintes. Pire, les indicateurs sont sans cesse redressés à la baisse à court terme après chaque exercice montrant que les cibles de ces indicateurs sont purement théoriques ou d’affichage – en l’absence des moyens politiques et budgétaires pour tenter de l’exécuter. On peut cependant montrer que la cible en 2023 introduite en 2022 et son actualisation dans le cadre du PLF 2024 semblent assez proches, mais la cible a ensuite été placée à 55% au PLF 2023. Là encore, la cible est donc largement manquée en exécution. Cela pose la double question des moyens budgétaire et humains alloués, mais aussi de la complexité juridique des procédures et de leur nécessaire simplification. 


[1] Sénat, Muriel JOURDAT, Philippe BONNECARRERE, avis n°134, annexé au PLF 2024, p.8. 

[2] Sénat, Marie-Carole CIUNTU, rapport spécial n°128, tome III, annexe n°16, annexé au PLF 2024, p.19. 

[3] PAP : projets annuels de performance et RAP : rapports annuels de performance.