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Loi anti-terrorisme : de bonnes mesures qui ne vont pas assez loin sur la surveillance des radicalisés

Dans la séquence Sécurité intérieure ouverte actuellement par le gouvernement (5 textes en 5 mois), on se penche désormais sur le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, soit le texte relatif aux questions anti-terroristes et de renseignement. La présentation de ce projet a été accélérée suite au malheureux attentat de Rambouillet du 23 avril dernier… mais difficile de comprendre comment les dispositions du texte comptent réellement répondre aux menaces intérieures. Ce renforcement de l’arsenal législatif est pourtant indispensable dans un contexte persistant de menace terroriste (7 attentats perpétrés en 2020-2021, 36 attentats déjoués depuis 2017, 271 morts depuis 2012).  

Déjà, le projet de loi se présente comme un texte court. Il est donc peu bavard avec quatre chapitres, mais seulement 19 articles dont 7 relatifs aux adaptations des précédents en outre-mer. L’avis du Conseil d’Etat montre que des aller-retours nombreux ont eu lieu entre l’exécutif et les magistrats de la Place du Palais Royal avec pas moins de six saisines. Il faut dire que les pouvoirs publics cherchent à concilier l’équilibre entre un renforcement de la lutte anti-terroriste et l’adaptation des techniques de renseignements avec la préservation des droits et libertés constitutionnellement garantis portés par une jurisprudence constitutionnelle et administrative particulièrement évolutive, restrictive et dense sur ces sujets.   

En réalité, le texte est avant tout un texte de pérennisation des mesures de sécurité existantes intervenant dans le champ de la lutte anti-terroriste, ou de renseignement électronique, ou faisant intervenir l’intelligence artificielle (data learning). De pérennisation… et de perfectionnements, puisque le texte prévoit des extensions qui répondent aux exigences posées par la jurisprudence administrative et constitutionnelle. Ainsi les articles procèdent à des renforcements des dispositifs existants : fermeture des lieux de culte étendus aux « lieux dépendants », cumul de l’interdiction de déplacement au-delà d’un territoire déterminé et d’une interdiction de paraître dans des lieux désignés au sein de ce territoire (ce qui était impossible auparavant). Le texte prévoit aussi de renforcer la protection des grands évènements, d’étendre la durée maximale de surveillance des détenus sortis de prison de 1 à 2 ans pour les crimes terroristes (les plus lourds ou en cas de récidive), ainsi que des mesures d’accompagnement pour éviter les procédures dilatoires à l’occasion des renouvellements.  L’article 6, lui, renforce l’information des personnels chargés de leur suivis en y adjoignant les antécédents d’admissions psychiatriques.  

Autant de mesures de bon sens qui se retrouvent associées à d’autres plus spéculatives. C’est le cas notamment de la mesure de réinsertion des terroristes qui ressemble beaucoup aux tentatives de déradicalisation en prison qui montrent souvent leurs limites pour ne pas dire, leurs échecs. Une mesure qui a, d’ailleurs, déjà été censurée par le Conseil constitutionnel lors de l’examen de la loi « Braun-Pivet » du 10 août 2020. Cela apparait bien maigre, alors qu’au 30 mars 2020, 534 personnes prévenues et condamnées sont détenues en France pour des actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste et qu’entre 2020 et 2022, 153 seront libérés. Le procureur de la République antiterroriste, M. Jean‑François Ricard, évoquait le 10 février 2020 « plus qu’une inquiétude, une vraie peur » s’agissant du « devenir des dizaines de personnes qui vont sortir de prison, qui sont très dangereuses et dont les convictions sont absolues ». 

Viennent ensuite, les mesures de renforcement des moyens de renseignement. Le texte redéfinit alors les procédures de transmission des données entre services ou au sein d’un même service, instaure une traçabilité des données ainsi que la désignation d’un responsable par administration. Une procédure de destruction des données traitées est également mise en place. Par ailleurs un alignement de la durée de conservation des données informatiques recueillies (30 jours) sur celle des données captées (2 mois) est proposé. Il est toutefois toujours deux fois plus court que la durée de conservation des autres données informatiques collectées par les services concernés. Le texte prévoit aussi l’extension des relations avec les opérateurs de télécommunications électroniques, qu’il s’agisse de l’usage des IMSI-catchers à la faveur du déploiement de la 5G puisque les identifiants des terminaux mobiles deviennent temporaires, tout comme l’interception des données satellitaires de proximité étant donné la difficile réquisition des opérateurs étrangers.  

Finalement, le texte traite de la question du brouillage des drones présentant une menace pour l’organisation de grands événements sur le territoire national. Le texte présente donc des mesures complémentaires à la stratégie « offensive » des drones (avec usage par la police municipale sur autorisation du préfet) prise dans le projet de loi sur la sécurité globale et qui est actuellement examiné par le Conseil constitutionnel. Si l’ensemble de ces dispositifs semble adapté à leur mission, il faut regretter la fragmentation des mesures dans différents textes, concernant la justice et la sécurité intérieure, dont les orientations semblent plus pointillistes que prospectives et réactives ainsi que l'absence d'avancée sur la reconnaissance faciale.  

Tout cela, ne laisse pas présager d’une prise de conscience aigüe des menaces et d’une grande fébrilité sur le champ des libertés publiques.  Au final, le texte complète utilement notre droit mais n'avance pas significativement sur la reconnaissance faciale, pas plus que sur le suivi de longue durée des terroristes élargis et des radicalisés (port de bracelet électronique sans limitation de durée) ; enfin, rien sur le renforcement des obligations de quitter le territoire français pour radicalisation.