Actualité

Cette curieuse loi sur les entreprises publiques locales et les sociétés d’économie mixte

Tous les mercredis, avant le Conseil des ministres, Le Macronomètre, l'observatoire des réformes du gouvernement, lancé par la Fondation iFRAP, attribue une note aux réformes d'Emmanuel Macron. La note de la semaine du Macronomètre est présentée dans le Figaro. Cette semaine : 2/10 sur la sécurisation de l’actionnariat des sociétés publiques locales.

Quelle mouche a piqué les parlementaires ? Dans une proposition de loi relative à la sécurisation de l’actionnariat des sociétés publiques locales (SPL) et des sociétés d’économie mixte (SEM), examinée en moins de trois mois dans le cadre d’une fenêtre parlementaire et votée conforme par les deux chambres dès sa première lecture, les députés et les sénateurs font voler en éclats une jurisprudence pourtant de bon sens du Conseil d’État relative à la conformité entre l’objet social de ces sociétés et les compétences légales exercées par les collectivités actionnaires (14 novembre 2018 SEMERAP).

Rappelons que l’introduction des SPL en France par la loi du 28 mai 2010 était avant tout guidée par la volonté de déroger aux règles de la commande publique, puisque ces entités peuvent passer des contrats de délégation de service public ou des marchés publics sans publicité ni mise en concurrence préalables. Par ailleurs, le recours aux SPL contourne les rationalisations de compétences impulsées par la loi NOTRE et la suppression qui en a découlé de la clause de compétence générale pour les départements et les régions.

Un enjeu de taille pour les 1.300 entreprises publiques locales

Il faut dire que l’enjeu est de taille pour les quelque 1.300 entreprises publiques locales (941 SEM et 359 SPL, pour 13,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 65.300 salariés), dans la mesure où en contrôlant précisément la cohérence entre leur objet social et les compétences exercées, les hauts magistrats impactaient directement la possibilité pour ces entités publiques d’accueillir à leur capital des collectivités publiques de différents niveaux (type communes et départements ou régions, etc.)

Le lobbying efficace de la fédération des entreprises publiques locales a fait merveille. Mais, derrière le discours officiel de rationalisation et de mutualisation de l’action publique locale et la « souplesse » de la gestion privée de ces entités, on retrouve en fait la volonté de poursuivre le mécanisme touffu des cofinancements et l’enchevêtrement des compétences.

Face à cette proposition de loi, le gouvernement semble avoir décidé de lâcher du lest, et s’est bien gardé d’intervenir, alors même que l’opacité et la gestion de ces entités font l’objet depuis plusieurs années de rappels récurrents de la Cour des comptes et des corps d’inspection. La Cour des comptes a même appelé à créer une mission obligatoire dévolue aux commissaires aux comptes en matière de SPL.

Il en résulte qu’il suffira désormais « qu’une collectivité ou groupement de collectivité » puisse détenir « au moins une compétence sur laquelle porte l’objet social de la société » pour que son actionnariat soit valide. Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est assez large. En outre, les parlementaires ont refusé la proposition pertinente du gouvernement stipulant qu’il devait s’agir d’une compétence « à laquelle (la collectivité locale) consacre une part significative et régulière de son activité », estimant que cette précision « laissait une place excessive à l’interprétation de l’administration et de la jurisprudence administrative ».

Un garde-fou contre les optimisations budgétaires

Seul garde-fou : la proposition de loi « ne permet pas, dans le cas d’une entreprise poursuivant plusieurs activités, d’utiliser les capitaux apportés par une collectivité (…) pour une activité étrangère aux compétences de ladite collectivité. » On évite donc les optimisations budgétaires.

Au lieu de s’interroger sur une « rationalisation » nécessaire du périmètre et de la gestion des SPL et de leur nécessaire transparence, la proposition de loi désormais adoptée ne fait que consolider un état de fait qui contourne la répartition des compétences et permet de faire passer des dépenses de fonctionnement en investissement sans passer par la case Code des marchés publics et appels d’offres tout en brouillant les cartes des comparaisons possibles entre collectivités. La proposition de loi se propose d’avoir évidemment un effet rétroactif. Cette démarche va à rebours du besoin de réforme et de transparence du secteur. On peut légitimement se poser la question de l’intérêt général de cette loi.