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Loi sur le pouvoir d'achat : vers 15 milliards de dépenses supplémentaires ?

Pour faire face aux conséquences de l’inflation galopante estimée récemment par l’INSEE à 4,8% en avril, plusieurs dispositifs ont été mis en place récemment pour limiter une abrasion significative du pouvoir d’achat des Français. C’est ainsi qu’un décret d’avance a été transmis au Parlement le 23 mars 2022, avec effets du 1er avril au 31 juillet 2022, pour un montant gagé de 5,95 milliards d’euros. Mais précisément parce que ces mesures ne sont que temporaires et qu’il sera sans doute nécessaire d’en prolonger le bénéfice jusqu’à la fin de l’année, mais aussi qu’à l’issue de l’élection présidentielle, certaines promesses de campagne doivent être concrétisées (dégel du point de la fonction publique, effet de la hausse du SMIC au 1er mai 2022, etc.), plusieurs vecteurs sont à l’étude pour être présentés au Parlement sitôt passées les élections législatives (12 et 19 juin prochains). Ainsi le Président de la République a annoncé le 13 avril l’adoption « dès cet été d’une loi exceptionnelle pour le pouvoir d’achat », mais aussi un projet de loi de finances rectificative (PLFR-1 pour 2022) afin de porter le dégel du point de fonction publique. Logiquement les mesures annoncées dans la première loi devraient avoir leur traduction budgétaire par l’intermédiaire de la seconde.

Ce que coûterait la prolongation du décret d’avance jusqu’à la fin 2022 (5 mois supplémentaires), 6,9 milliards d’euros

Actuellement les mesures déjà prises en matière de pouvoir d’achat pour 2022 représentent près de 25,95 milliards d’euros. Les mesures se distribuent comme suit, entre mesures budgétisées dès la LFI 2022 (20,4 milliards d’euros) et celles mises en place par le décret d’avance de mars 2022 (5,55 milliards d’euros et en y ajoutant les mesures relatives à l’accueil des réfugiés ukrainiens (0,4 milliard d’euros) soit 5,95 milliards d’euros. Ces dépenses ne sont pas des dépenses supplémentaires mais financées par des annulations de crédits symétriques sur l’ensemble des ministères (et notamment via la réserve de précaution).

Source : Sénat, décret d’avances de mars 2022.

Cependant comme le relève le Sénat, « la mission Défense supporte les annulations de crédits les plus importantes, ce qui contraindra probablement le prochain Gouvernement à rétablir les crédits en loi de finances rectificatives. » En effet, celle-ci supporte des annulations de crédit à hauteur de 300,3 millions d’euros, dont les 2/3 sur le programme « équipement des forces » (n°146), c’est-à-dire sur le « matériel militaire ». 

Or avec la crise en Ukraine et les livraisons d’armes de la France à son voisin attaqué, celles-ci s’effectueront sur le stock existant (100 millions d'euros à l'heure actuelle). Le montant de cette « taxation budgétaire » sur le programme 146 représente 202,3 millions d’euros sur un total mis en réserve de 580,1 millions d’euros. Le reste étant annulé sur les programmes 144 (Environnement et prospective de défense) pour 50 millions d’euros et sur le programme 212 (Soutien de la politique de défense) pour 47,8 millions d’euros.

Si le gouvernement décide, suivant des modalités qui restent à définir (notamment s’agissant du soutien aux « gros rouleurs[1] », dont les contours ne sont pas encore arrêtés), cherchait à prolonger les mesures annoncées par le décret d’avance pour 4 mois (1er avril au 31 juillet), jusqu’à la fin de l’année (5 mois supplémentaires), les crédits supplémentaires représenteraient près de 6,9 milliards d’euros :

Mesures prises pour 5 mois (en milliards d’euros)

2022

Remise de 18 c. sur le prix hors taxe des carburants

3,7

Aide versée aux transporteurs routiers

0,5

Aide en faveur des entreprises énergo-intensives

1,9

Mesures relatives au secteur agricole

0,7

Soutien au secteur des travaux publics

0,1

Dispositif spécifique pour les pêcheurs

0,0

Total (si prolongation des mesures jusqu'au 31 décembre

6,9

Source : Calculs Fondation iFRAP mai 2022

Ce montant pourrait toutefois être revu à la baisse si la remise de 18 centimes était remplacée par une mesure ciblée sur les gros rouleurs, et conditionnée à raison du revenu (ce qui n’est pas le cas actuellement, la remise à la pompe étant générale).

Ce que coûteraient les mesures spécifiques promises par le Président de la République : 8,35 milliards

Beaucoup de mesures ont été promises par le candidat « Président » pendant la campagne électorale avant sa réélection. On peut citer la déconjugalisation de l’AAH (ou son individualisation), pour un coût sur 5 mois de 290 millions d’euros, mais de 0,7 milliard d’euros en rythme annuel. Par ailleurs le dégel du point d’indice de la fonction publique qui devrait avoir un coût le point de 2 milliards/an (0,9 milliard pour l’Etat, 0,1 milliard pour les opérateurs, 600 millions d’euros pour la FPT, 400 millions d’euros pour la FPH[2]) pourrait être réhaussé de près de 4 points. Dans ces conditions l’extension en année pleine de la mesure pourrait atteindre les 8 milliards d’euros, mais pour les 5 derniers mois celui-ci ressortirait à 3,33 milliards d’euros.

Il a également été annoncé la mise en place d’un chèque alimentaire de 50 euros/mois pour 8 millions de personnes pauvres. Le coût en est estimé en année pleine entre 4 et 6 milliards d’euros[3].

Les retraités se sont vus annoncer une réindexation des pensions sur l’inflation. En théorie cette mesure est de droit, mais des mesures spécifiques prises par les pouvoirs publics permettent en pratique de « désindexer » ces dernières. Le coût d’une revalorisation automatique des pensions serait de 7 milliards d’euros/an, soit pour les 5 derniers mois de 2022, un coût au prorata temporis de 3 milliards d’euros.

Enfin, l’impact de la revalorisation du SMIC au 1er mai de 2,26% à 1.649,48 euros bruts pour 1.268,64 euros nets, pour un gain de 42 euros bruts et de 34 euros nets, après une précédente revalorisation au 1er janvier 2022[4]. Dans ces conditions, celui-ci impacterait d’après le décret du 20 avril 2022, favorablement près de 694.000 agents publics. Il en résulterait un coût pour les finances publiques de près de 350 millions d’euros en rythme annuel et de 150 millions d’euros pour 5 mois.

Mesures spécifiques du collectif budgétaire (milliards d’euros)

2022

Déconjugalisation de l'AAH (individualisation)

0,29

Dégel du point d'indice de la Fonction publique (4 pts)

3,33

Chèque alimentaire (8 millions de personnes, 50 euros/mois)

1,67

Réindexation des pensions

2,92

Impact du SMIC sur les bas de grilles FP

0,15

Rallonge du financement de l'activité partielle

 

Rétablissement de crédits militaires ?

0,30

Total des mesures de pouvoir d'achat complémentaires

8,35

Coût des mesures prolongeant le décret d'avance

6,9

Total des mesures de pouvoir d'achat

15,29

Source : Calculs Fondation iFRAP mai 2022

Rappelons que le triplement de la prime « Macron », dite « PEPA[5] », qui atteindrait près de 6.000 euros (contre 2.000 dans le dispositif précédent), ne devrait pas avoir de coût pour les finances publiques en l’absence d’effets de substitutions avec les dispositifs existants et davantage fiscalisés.

Dans ces conditions le total des dispositifs que pourrait contenir le collectif budgétaire de juillet 2022 pourrait atteindre 15,3 à 15,6 milliards d’euros (y.c. rétablissement des crédits Défense).


[1] https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/inflation-croissance-macron-et-le-syndrome-giscard-d-estaing_2172744.html

[2]

https://www.lesechos.fr/economie-france/social/fonction-publique-la-hausse-du-smic-au-1er-mai-va-peser-sur-les-negociations-salariales-1404127

[3] https://www.challenges.fr/economie/consommation/cheque-alimentaire-qui-pourra-beneficier-de-cette-aide-proposee-par-macron_809829

[4] https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A15184. Après la dernière revalorisation du 1er janvier 2022 https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A15399

[5] https://www.linternaute.com/argent/guide-de-vos-finances/2615277-prime-macron-2022-un-sacre-coup-de-boost-pour-qui/