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Livret A : le doublement du plafond va nuire à l'investissement

Quel impact sur les logements sociaux, les banques et les entreprises ?

Le plafond du Livret A, 15.300 euros, n'a pas évolué depuis le 16 mai 1986. Son indexation régulière sur l'inflation l'aurait porté à 25.000 euros fin 2011, une augmentation de 63%. Faut-il « rattraper ce retard » et même doubler ce plafond à 30.600 euros comme le prévoit le gouvernement ? Ou bien ce « gel » était-il un signe de sagesse des nombreux gouvernements de droite et de gauche qui se sont succédé depuis 1986 ?

Sur la soixantaine de millions des livrets A, environ 5 millions ont atteint (ou dépassé) le plafond de 15.300 euros. Les divers livrets défiscalisés étant individuels, ce qui est en général considéré comme une épargne de précaution peut devenir pour un couple un capital significatif (deux Livrets A + deux Livrets Développement Durable = 42.600 euros). En cas de doublement des plafonds, ce couple sans enfant pourrait y placer 85.200 euros. Une somme importante par rapport au patrimoine moyen des ménages français (financier et immobilier) de 280.000 euros. Si tous les propriétaires de Livret A déjà au plafond doublaient leur dépôt, 70 milliards d'euros supplémentaires viendraient s'ajouter aux 210 milliards actuellement déposés sur ces comptes.

Le danger de l'argent facile

Pour la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), collecter les capitaux des différents Livrets est simple : les banques les lui livrent directement et à un taux privilégié fixé par l'État grâce à l'avantage fiscal consenti aux déposants. Sur les 200 milliards d'euros du stock qu'elle gère, la CDC en prête environ la moitié aux organismes HLM et investit l'autre moitié dans des placements plus rentables. La CDC étant en situation de monopole dans ce domaine, il est impossible de savoir pourquoi seulement une moitié de ces capitaux sont consacrés au logement : faiblesse de la demande des organismes HLM, exigence de dividende de la part de l'État ou choix de la CDC.

Si la collecte des capitaux du Livret A est facile, leur placement l'est aussi. Les collectivités locales se portant généralement garantes des prêts consentis par la CDC aux organismes HLM, sa responsabilité est limitée. Ses prêts ont servi à construire les centaines de milliers de logements HLM des quartiers à problèmes et les 100.000 en cours de destruction 40 ans seulement après leur construction, sans qu'elle en subisse de conséquence. Ce sont les mêmes prêts qui financent actuellement la construction de HLM dans des régions où ils sont inutiles, voire nuisibles, eux qui ont permis à des organismes HLM dits « dodus dormants » de profiter d'une trésorerie abondante et stérile, et eux encore qui financent des logements occupés par des locataires qui ne devraient plus s'y trouver, alors que les files d'attente sont très longues.

Un circuit d'argent complexe

Les capitaux déposés par les particuliers sur leurs Livrets A dans les banques sont rémunérés au taux actuel de 2,25% exonéré d'impôts sur le revenu et de contributions sociales. Environ 65% de ces capitaux sont ensuite transférés à la CDC par les banques qui perçoivent une commission de 0,5% en paiement de leur service. Curieusement la CDC en rétrocède ensuite une partie à des banques qui financent à leur tour des HLM aux taux prévus par la règlementation.

Montant des enveloppes de prêts sur fonds d'épargne (en millions d'euros)
PLSPSLAPLI
Enveloppe CDC 740 - 80
Enveloppe Établissements de crédits 2.960 600 120
Total3.700600200
Liste des établissements distribuant des prêts PLS, PLI et PSLA en 2012
PLSPSLAPLI
Caisse d'épargne oui oui
Crédit Agricole oui oui oui
Crédit Coopératif oui oui
Crédit Foncier oui oui
Crédit Mutuel oui oui oui
Société Générale oui
Source des deux tableaux ci-dessus : DGALN – Délégations de compétence et financement du logement – mis à jour le 14 mai 2012

Financement de l'économie

Le doublement du plafond du Livret A ne créerait évidemment aucun nouveau capital mais provoquerait un transfert entre les différents placements proposés aux particuliers : des livrets bancaires vers les livrets publics, des actions vers les livrets, des obligations vers les livrets. Le Président de la république avait estimé ce transfert entre 15 à 20 milliards. Ce débat a déjà eu lieu à propos du taux de centralisation à la CDC des capitaux du Livret A collectés par les banques, comme l'avait indiqué Christian Noyer au Point. Les banques redoutent ce déplacement des dépôts des particuliers alors que les nouveaux règlements de type Bâle III vont exiger une baisse de leurs ratios prêts/capitaux disponibles. Inévitablement, elles seront amenées à réduire leur financement de l'économie.

Court terme vs Long terme

Les Français investissent traditionnellement très peu dans les entreprises mais beaucoup dans l'immobilier et les placements liquides de court terme. Une attitude défavorable aux entreprises (notamment les nouvelles) qui sont en France peu capitalisées et dépendent beaucoup des banques pour leur financement. Avec la crise, cette tendance s'est renforcée comme l'indique l'INSEE Première N° 1325 : « Un cinquième des ménages détiennent des valeurs mobilières en 2010, contre un quart en 2004 ». Pour contourner ce problème, l'État choisit d'intervenir par des structures publiques (OSEO, CDC, Grand Emprunt, FSI, Banque publique …). Le montant du déplacement de capitaux évoqué par le gouvernement en cas de doublement du plafond du Livret A, de 15 à 20 milliards d'euros, est significatif et correspond aux fonds propres du Fonds Stratégique d'Investissement créé par le gouvernement précédent. Les transférer des placements à moyen/long terme vers le court terme constitue un risque important et un signal contre-productif dans une période où l'économie a plus besoin d'investissement que de thésaurisation.

Taux du Livret A

La fixation du taux de rémunération du Livret A a toujours donné lieu à des interventions politiques contradictoires : rémunérer l'épargne populaire tout en baissant les taux des prêts aux organismes HLM. Ces manipulations se sont poursuivies malgré la fixation en 2004 d'une formule mathématique en principe automatique. En 2011 par exemple, le taux d'intérêt a été maintenu à un niveau très proche de l'inflation, parfois même inférieur certains mois. Un niveau qui, en temps normal, hors crise de confiance financière actuelle, ferait logiquement fuir les épargnants.

Le Livret A et ses homologues ont constitué un progrès par rapport au traditionnel bas de laine des Français pour un coût estimé par l'Inspection Générale des Finances à 1 milliard d'euros. Mais le doublement du plafond du Livret A constituerait un curieux retour à la mode des niches fiscales que les responsables politiques unanimes avaient déclaré vouloir supprimer : les revenus des capitaux transférés sur le Livret A seront exonérés de prélèvements sociaux et fiscaux [1]. Les Échos et l'Institut Montaigne chiffrages-dechiffrages2012 estiment à 520 millions d'euros par an le coût de l'extension de cette niche fiscale et sociale en faveur des ménages aisés. Mais pour l'État, la tentation de montrer sa puissance en dépensant lui-même l'argent des citoyens semble irrésistible. Ainsi, et malgré ses échecs répétés dans le domaine du logement, il semble convaincu que la construction est réalisée de façon plus efficace par le secteur collectif que par les Français eux-mêmes. Sans augmentation des plafonds, le total des dépôts sur les Livrets réglementés augmente déjà beaucoup plus rapidement que le PIB français (+17 milliards d'euros, soit +8% sur le Livret A en 2011). Les prêts de la CDC sur fonds d'épargne ont d'ailleurs été multipliés par cinq de 2004 à 2011 comme le montre le rapport de la FONDAPOL (page 25). Le choc d'un doublement du plafond du Livret A aurait un coût élevé pour les finances publiques et un impact négatif sur le financement de l'économie française sans aucune garantie d'accroissement de la construction de logements sociaux là où ils sont nécessaires [2].

[1] En l'état actuel les valeurs à revenu fixe subissent des prélèvements sociaux à hauteur de 13,5%, auxquels s'ajoute le Prélèvement Forfaitaire Libératoire à hauteur de 24% sur la totalité, prélèvements sociaux compris. Le projet socialiste entend substituer au PFL l'impôt sur le revenu au barème, soit jusqu'à 46%, voire 75%. C'est dire l'importance de la niche fiscale sur le Livret A.

[2] En plus du logement, la CDC consacre environ 5% des fonds du Livret A à des projets d'équipements et de renouvellement urbains, mais le doublement du plafond du Livret A semble destiné en priorité au logement. Les fonds provenant du doublement éventuel du plafond du Livret Développement Durable ou de la création d'un Livret Industriel ou PME pourraient financer d'autres projets.